Avec Jakub Józef Orliński, la richesse inépuisable du Seicento musical

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Beyond. Airs et récitatifs de Claudio Monteverdi (c. 1567-1643), Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651), Giulio Caccini (1551-1618), Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Barbara Strozzi (1619-1677), Francesco Cavalli (1602-1676), Johann Caspar von Kerll (1627-1693), Claudio Saracini (1586-1630), Carlo Pallavicino (c. 1630-1688), Pietro Paolo Cappellini (1641-1660), Giovanni Cesare Netti (1649-1686), Antonio Sartorio (1630-1680), Biagio Marini (?), Giuseppe Antonio Bernabei (1649-1732), Adam Jarzebski (c. 1590-1649), Giovanni Battista Vitali (1632-1692), Carlo Francesco Pollarolo (1653-1723) et Sebastiano Moratelli (1640-1706). Jakub Józef Orliński, contre-ténor ; Il Pomo d’Oro. 2022. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes des airs chantés, sans traduction. 82’18’’. Erato 5054197726453.

Octobre  pianistique avec Rachmaninov à l'OPMC

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L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo a programmé l'intégrale des concertos pour piano et plusieurs œuvres symphoniques à l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Serge Rachmaninov avec la venue de deux grands pianistes Evgeny Kissin et Francesco Piemontesi.

Evgeny Kissin devait déjà interpréter l'année passée ce concerto, mais suite à une tendinite il a dû le remplacer par un concerto de Mozart moins exigeant.  L'artiste revient cette année en très grande forme pour ce RACH3 et la salle est comble, tous les billets ont été vendus. Kissin prend le premier mouvement dans un tempo très mesuré, nettement plus lent que la plupart des interprètes, ce qui lui permet d'assurer une continuité de tempo entre les différents épisodes. La progression dramatique de l'interprétation est magnifique. Le finale est chargé de toute l'énergie accumulée précédemment, c'est un feu d'artifice de virtuosité époustouflant. La clarté architecturale, un jeu raffiné des lignes et la lumière toujours changeante. Son interprétation est noble et sublime, héroïque et déchirante. Elle traverse votre âme dans sa pureté cristalline et son intensité passionnée. On écoute la musique d'un compositeur de génie, par celle d'un pianiste de génie. Le dialogue avec l'OPMC et Kazuki Yamada est en parfait accord C'est un triomphe et Kissin offre en bis la “Mélodie” et la “Sérénade” extraits des Morceaux de fantaisie de Rachmaninov. 

Après l'entracte on découvre la Symphonie n°3 de Rachmaninov. C'est la première fois qu'elle est jouée à Monte-Carlo. Par ses contours mélodiques et son rythme, c'est sa symphonie russe la plus expressive, en particulier dans les rythmes de danse du finale. Ce qui est étonnant dans cette symphonie c’est sa grande économie d’énonciation par rapport aux deux précédentes. Le style épuré, apparent pour la première fois dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini, renforce la puissance émotionnelle de l'œuvre. Que ce soit le trio mélancolique entre cor, violoncelle et clarinette au début de la symphonie, puis l'explosion émotionnelle extatique qui éveille tant d'émotions, ou le deuxième mouvement déchirant avec son beau thème. La virtuosité de tous les instrumentistes est vraiment admirable. Kazuki Yamada est très à l'aise dans ce répertoire évocateur et séduisant pour l’oreille. Il dirige son excellent orchestre à un tempo variable et avec une dynamique artistiquement maîtrisée. 

Hommage à Dupré, sur un nouvel orgue polonais capté avec un réalisme époustouflant

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Marcel Dupré in memoriam. Marcel Dupré (1886-1971) : Ave Maris Stella 1-4 [Quinze versets pour les Vêpres du commun des fêtes de la Sainte Vierge, Op. 18] ; Cortège et Litanie Op. 19 no 2 ; Symphonie-passion Op. 23 ; Lamento Op. 24 ; Entrée, Canzona et Sortie Op. 62. Tomasz Głuchowski, orgue Klais du Forum National de Musique de Wroclaw. Livret en polonais, anglais. Mai 2021. TT 61’13. NFM 79 ACD 296

Yibai Chen et le BNO à Bozar

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Ce samedi 21 octobre, c’est un beau programme que nous a proposé le Belgian National Orchestra, placé sous la baguette de Hugh Wolff. En première partie, nous avons pu entendre le Divertimento for string orchestra de Grażyna Bacewicz ainsi que le Concerto pour violoncelle et orchestre n°1, op.107 de Dmitri Chostakovitch. En deuxième partie, les musiciens du BNO ont interprété la Symphonie n°3, op.55, « Eroica » de Ludwig van Beethoven.

Composé en 1965 par l’artiste polonaise Grażyna Bacewicz, le Divertimento for string orchestra fut une belle entrée en matière pour les cordes du BNO. Divisée en trois parties, cette pièce fut surtout l’occasion d’observer la direction chirurgicale du chef américain. Claire et précise, sa battue ne laisse place à aucune ambiguïté, ce qui rend le rapide dialogue entre les pupitres (leitmotiv de cette œuvre) très lisible.

Après cette mise en bouche, nous avons eu la chance d’entendre le lauréat du Concours Reine Elizabeth 2022, Yibai Chen, dans le Concerto pour violoncelle et orchestre n°1, op.107 de Chostakovitch. Avec une aisance et une virtuosité impressionnantes, le soliste du jour a survolé l’œuvre d’un bout à l’autre, bien soutenu par l’orchestre. Pour citer les moments les plus poignants, il y a eu le passage entre le corniste (particulièrement inspiré tout au long du concert) et le soliste lors de l’arrivée du 1er thème du 2e mouvement, la coda de ce mouvement avec l’entrée du célesta, la cadence du 3e mouvement ainsi que le final du 4e mouvement. Attentif au moindre geste du chef Hugh Wolff, les musiciens du BNO ont livré une prestation sans faute, si ce n’est un malheureux décalage de son et de style entre les timbales et le reste de l’orchestre.

Callas-Paris 1958, film- document, en salle les 2 et 3 décembre

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Lorsque Maria Callas fait ses débuts à l’Opéra de Paris, elle a 35 ans. Elle est à son zénith physique et vocal. Pourtant la vulnérabilité affleure déjà.

Ce concert mythique du 19 décembre 1958 est présenté aujourd’hui pour la première fois en entier et en couleurs -plus de 250 000 images retravaillées une à une- avec un son 4K format numérique haute définition. La fusion de sources multiples, certaines anciennes, d’autres plus récentes, avec la retransmission en eurovision, donne l’impression de participer soi-même à l’événement. Car il s’agit bien d’un évènement et à plus d’un titre. Mondain, artistique et personnel, l’enjeu électrisant est rendu palpable tout au long de ce quasi-opéra en deux actes.

Après la montée des marches du Palais Garnier par le « tout Paris » en guise d’ ouverture, le premier offre des extraits de Norma, du Trouvère et du Barbier de Séville puis le second, l’acte II de Tosca mis en scène avec des partenaires d’élite, Tito Gobbi, Jacques Mars et Albert Lance notamment tandis que les Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Paris sont dirigés par Georges Sebastian.

La présentation de la soirée dans son intégralité et dans sa continuité permet d’abord d’en ressentir la dynamique parfaitement agencée culminant avec l’acte 2 de Tosca tendu comme un arc.

La colorisation quant à elle met en évidence la suprême maîtrise de la « mise en scène » et de la stylisation gestuelle de la cantatrice. Ainsi de la longue robe rouge dont le tapis, en milieu de plateau, exactement de la même couleur, semble la traîne infinie.

Yvette et François Carbou évoquent 50 ans de passion discographique et leur ami Pierre Labric

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Le label FY-Solstice vient de célébrer son cinquantième anniversaire. À cette occasion, ses deux fondateurs ont bien voulu retracer son histoire, par les disques et artistes qui ont marqué ce demi-siècle. La récente réédition de l’enregistrement des dix symphonies pour orgue de C.M. Widor par Pierre Labric, réalisé au début des années 1970, et dûment saluée dans nos colonnes, vient de s’achever par la publication d’un double-album consacré aux symphonies 7 et 8. François et Yvette Carbou évoquent aussi quelques souvenirs au sujet de ces sessions, et du doyen des grands organistes français.

Votre label a fêté l’an dernier ses cinquante ans, pourriez-vous en retracer les étapes ? Quelles furent les orientations éditoriales ? Vous rappelez-vous les tout premiers disques ? Tous répertoires confondus, quelles sont les réalisations dont vous êtes la plus fière ? Quels artistes vous ont le plus marquée ?

YC. Commençons par le commencement qui, me semble-t-il, mérite que l’on s’y attarde puisque l’histoire de FY (François, Yvette) -notre premier label-, naît à la tribune de l’orgue de Notre-Dame, ce qui de facto annonce une production prioritairement dédiée à l’orgue, mais pas seulement.

Mais revenons à Notre-Dame à la fin de 1971 où, en tant que scripte à l’O.R.T.F., j’accompagnais une équipe légère venue filmer le maître des lieux, Pierre Cochereau, qui enregistrait un disque consacré à Messiaen, l’un de ses tout derniers, pour la firme Philips. Je me souviendrai toute ma vie de l’intense émotion qui me saisit à mon arrivée à la tribune en découvrant le grand-orgue. Un instrument hors norme ! Qui plus est, la cathédrale étant vide de par les circonstances, l’immense nef à demi éclairée, l’épais silence qui régnait, tout cela était impressionnant puis, comme un coup de tonnerre, l’orgue retentit de tous côtés, ce fut un choc inouï, difficile à analyser mais dont je garde le souvenir vivant et que je retrouverai à l’issue d’une magistrale improvisation de Pierre donnée à l’issue d’un récital.

Ce fut aussi ce jour-là que je fis la connaissance de celui qui deviendrait quelques mois plus tard mon mari. François (Carbou), en effet, assistait Pierre à la console chaque fois que nécessaire, mais ça n’était pas là sa principale activité. Formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, section architecture, il avait également une autre passion, la prise de son : « dada » qu’il partageait avec Cochereau. C’est ce contexte réunissant ses connaissances de l’orgue (il avait pris, adolescent, quelques leçons avec Pierre Labric -déjà !) et sa fréquentation assidue de Notre-Dame, qui avait fait naître le projet, disons-le plus qu’ambitieux, d’enregistrer les grandes œuvres liturgiques données jadis à N.-D. tels le Te Deum, le Magnificat, le De Profundis etc. alors que FY n’existait pas encore !

L’enregistrement eut lieu avec le concours de la maîtrise et des chœurs de Notre-Dame et un Pierre Cochereau enthousiaste au grand-orgue. Le disque vinyle parut sous la référence FY001… ce fut un succès mondial ! Le LP devenu entre-temps un CD est toujours au catalogue dépassant aujourd’hui le million d’exemplaires vendus ! Phénomène unique dans le répertoire classique. 

Quelques temps après ce « coup de maître », Pierre un beau matin s’adresse à François et lui dit : « Si tu crées ta maison de disques, je serai ton premier artiste ! ». Vous imaginez sa surprise mais c’est sans attendre qu’eut lieu la création de l’entreprise artisanale FY en 1972 -l’aventure commençait pour de bon… 

La production d’orgue de ces années-là (1972-1980) est marquée par quelques trésors : la première intégrale Duruflé réalisée sur l’orgue de Pithiviers, de la même façon l’œuvre d’orgue de Darius Milhaud à Chartres par George Baker (récompensé par le Grand Prix Charles Cros), des préludes et fugues de Max Reger par le même interprète à Saint-Sernin, Le Chemin de croix de Marcel Dupré à N.D. avec Rolande Falcinelli à l’orgue et une comédienne qui dit le texte de Claudel, l’œuvre d’orgue de François Couperin par Philippe Lefèbvre à Saint-Gervais, les six symphonies de Louis Vierne par Cochereau à N.-D. Grand Prix du disque également, la Messe de Vierne, puis celle de Jean Langlais avec Pierre Cochereau et la maîtrise de Notre-Dame.

Mais, il n’y a pas que l’orgue ! Dans les années 1972-80, deux réalisations majeures viendront distinguer le jeune label FY-Solstice : d’une part l’édition de l’oratorio Jeanne au Bûcher d’Arthur Honegger -33 ans après la version historique dirigée par Louis de Vogt- récompensé par le Grand prix du disque, puis l’année suivante ce sera un disque Ravel avec Le Tombeau de Couperin, Ma mère l’Oye par Yvonne Lefébure (également couronné par un Grand Prix du disque), l’autre grande figure qui marquera à son tour durablement le catalogue.

Yvonne fut sans aucun doute la personnalité qui m’aura le plus marquée. Ce que je sais d’important en musique, c’est à elle que je le dois, pas seulement en l’écoutant jouer mais plus encore lorsqu’elle parlait de musique avec intelligence et clarté. Elle aimait les élèves et je l’entends encore dans un de ses slogans favoris : « la perfection, ça n’existe pas, le perfectionnement, oui ! » Pédagogue passionnée, elle voulait transmettre un savoir et se disait elle-même : « musicienne avant que pianiste ».

Hommage à Catherine Collard

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Il y a trente ans, le deuxième numéro de Crescendo prenait la route.

Il était lourd du deuil qui avait frappé quelques jours plus tôt la famille des musiciens et notre équipe rédactionnelle.
Catherine Collard s’en était allée.

Il y a trente ans, mais nous nous souvenons.

Michelle Debra

De ce point de vue, la rencontre entre Catherine Collard, Bernadette Beyne et Michelle Debra appartient à celles qui modifient le cours des choses et agissent en révélateurs. Les deux dernières nommées sont alors sur le point de concrétiser un rêve longtemps mûri, celui de créer un magazine musical de référence en Belgique francophone. Ce sera Crescendo, toujours présent aujourd’hui après s’être digitalisé. La première est alors au sommet de son art, une pianiste d’exception, racée, essentielle, sublime.

Constater à quel point la vie, la destinée humaine, repose d’abord sur des rencontres relève certes de l’évidence. Mais il y a une sorte de hiérarchie à ce propos, qui s’étend de l’échange fugace aux moments essentiels, de ceux qui comptent pour toujours.

De cette rencontre est née une incomparable complicité, sur les routes des festivals où la pianiste se produit, en solo ou en compagnie de partenaires fidèles tels Jean-Claude Pennetier, Alain Planès ou Sonia Wieder-Atherton, ou à la découverte de fabuleux enregistrements qu’elle réalise pour le label Lyrinx entre 1989 et 1993. Et puis, Catherine Collard agit à la manière d’une marraine pour Crescendo, dont elle suggère le titre à Bernadette et Michelle. L’aventure peut commencer !

Artiste rare et exigeante, Catherine Collard n’a dispersé ni son talent ni son énergie mais les a rassemblés au contraire au service de prestations inoubliables qui laissaient à penser que la musique que l’on venait d’entendre était certainement celle imaginée par les compositeurs avant même qu’ils la couche imparfaitement sur le papier. Tous ont été servis avec la même maestria, à la fois discrète et souveraine, de Bach à Gilbert Amy et André Boucourechliev en passant par Haydn, Mozart, Franck, Debussy, Messiaen et Schumann, sans doute le plus cher à son cœur. 

Ce talent unique a été fauché en plein vol, en 1993, à la manière d’une Jacqueline du Pré ou d’une Kathleen Ferrier.

C’était il y a longtemps… C’était hier…

Le souvenir demeure … brûlant, intense, radieux…

Jean-Marie Marchal, membre du comité de rédaction depuis plus de 30 ans.