Pour raconter Mozart, la flûte élégante et raffinée d’Emmanuel Pahud
Mozart Stories. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates pour violon et piano K. 296, 304, 378 et 379, transcrites pour la flûte. Emmanuel Pahud, flûte ; Eric Le Sage, piano. 2022. Notice en français, en anglais et en allemand.73’00’’. Warner 5054197893520.
On ne présente plus le flûtiste franco-suisse Emmanuel Pahud, né à Genève en 1970, qui a commencé l’étude de la flûte à six ans dans la capitale italienne et achevé sa formation au CNSM de Paris en 1990. Engagé dès ses 23 ans comme flûtiste solo à la Philharmonie de Berlin, il est depuis lors sollicité dans le monde entier comme soliste ou en musique de chambre. Ce que l’on dit peu dans sa biographie, c’est que le jeune Emmanuel a passé une petite dizaine d’années à Bruxelles, son père officiant dans notre pays comme ingénieur pour une compagnie américaine. Inscrit au Lycée français d’Uccle et à l’Académie de musique communale, encouragé par son professeur Michel Moinil et par Carlos Bruneel, flûtiste solo à la Monnaie, il poursuivra son apprentissage au Conservatoire de Bruxelles. En 1985 (il a quinze ans), il est lauréat du Concours de musique du Crédit communal de l’époque, avec la plus haute cote attribuée, toutes disciplines confondues, ce qui lui permet de se produire avec l’Orchestre national de Belgique, sous la direction de Michel De Bock. Il joue le Concerto n° 1 pour flûte de Mozart, l’une de ses partitions fétiches. Cette période moins connue de ce grand virtuose permet de considérer qu’Emmanuel Pahud a de solides racines belges au cœur de sa formation. Il ne l’oubliera pas dans un entretien avec Emmanuel Dupuy en septembre 2001 : La manière dont j’ai développé ma sonorité tient probablement au fait que j’ai longtemps étudié en Belgique, un pays qui, dans le domaine des vents, est marqué autant par le monde anglo-saxon, que par la France ou l’Allemagne.
Mozart ! Dans la vaste discographie qu’il compte à son actif, Pahud a en toute logique gravé ses concertos à Berlin, sous la direction de Claudio Abbado, ainsi que des pages de sa musique de chambre. Son répertoire éclectique va de la période baroque aux pages de notre temps, avec des créations d’Elliott Carter, Philippe Hersant, Wolfgang Rihm et quelques autres. Le présent album est un retour à Mozart, avec quatre sonates prévues initialement pour le violon. Denis Verroust, président de l’Association Jean-Pierre Rampal qu’il a fondée en 2005, rappelle dans la notice que, malgré la vogue qu’elle connaît à l’époque classique, la flûte ne dispose alors que d’un répertoire assez limité. On va donc puiser dans les sonates pour violon de Mozart, modèles du genre, idéales dans leur équilibre et la richesse du dialogue. Une démarche justifiée, plusieurs adaptations d’entre elles étant parues dès la fin des années 1790.
Des quatre sonates au programme, trois proviennent du recueil opus 2, publié en 1771 et édité avec une partie de flûte en 1799. La première, K. 296, en do majeur, a été terminée à Mannheim en mars 1778. C’est une page en trois mouvements pleins d’esprit et de gaieté, avec des moments lumineux et un Andante d’une grande tendresse. La sonate K. 378, en si bémol majeur, date sans doute des premiers jours du retour de Mozart à Salzbourg, au début de l’année suivante. Trois mouvements pour une partition qui baigne dans une sérénité joyeuse, avec un Andantino souple dans son expressivité et un final débridé. Quant à la K. 379 en sol majeur, composée à Vienne en 1781, elle intrigue par ses deux mouvements contrastés, entre intensité et sensibilité, qui s’achèvent dans la douceur. L’affiche est complétée par la K. 304, composée à Paris deux mois plus tard que la K. 296 ; sa tonalité en mi mineur lui confère un côte plus dramatique. C’est l’époque où la mère de Mozart décède. Ici aussi, deux mouvements seulement, qui expriment la douleur et la pudeur dans la solitude, y compris dans le Tempo di Minuetto qui s’achève de façon soudaine.
Emmanuel Pahud, faut-il le dire, est parfaitement en phase avec ces univers mozartiens qui rivalisent de grâce, de couleurs et d’élégance. Son jeu subtil souligne toutes les nuances avec l’expressivité raffinée qui est l’une des caractéristiques de son art. Eric Le Sage (°1964), partenaire régulier, est en osmose avec lui ; son piano offre toute l’attention requise. Cet enregistrement a été effectué du 31 octobre au 4 novembre 2022, au Grand Manège de Namur. L’occasion, pour Emmanuel Pahud, de se souvenir concrètement de ses années de formation en Belgique.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix