Quatre prétendants au Cantorat de Saint-Thomas servis avec beaucoup d’allure par l’ensemble Barokkanerne

par

« Er heißet Wunderbar ! ». Johann Friedrich FASCH (1688-1758), Er heißet Wunderbar, Rat, Kraft, Held, FR 408/1 – Christoph GRAUPNER (1683-1760), Der Herr wird König sein über alle Lande, GWV 1101/36 – Georg Philipp TELEMANN (1681-1767), Concerto en mi mineur, TWV 53:e2 – Johann Sebastian BACH (1685-1750), Schwingt freudig euch empor, BWV 36; « Bereite dich, Zion », extrait du Weihnachtsoratorium, BWV 248/I. Cecilia Bernardini, violon; Berit Norbakken Solset, soprano; Marianne Beate Kielland, mezzo-soprano; Anders J. Dahlin, ténor; Halvor F. Melien, baryton. Barokkanerne, dir. Alfredo Bernardini. 2018-67'38"-Textes de présentation en norvégien et en anglais-Textes chantés en allemand traduits en anglais-LAWO Classics LWC1169

Regrouper dans un même enregistrement les quatre compositeurs principaux pressentis par le conseil municipal de Leipzig pour succéder à Johann Kuhnau à la charge de cantor de l’église Saint-Thomas, l’idée est judicieuse. On le sait, la candidature de Bach finit par être retenue. Mais, au rang des favoris du conseil, le compositeur de 37 ans qui était alors maître de chapelle du Prince de Cöthen était devancé par Telemann, Graupner et Fasch; heureusement (pour lui comme pour nous !), les deux premiers furent dans l’impossibilité de prendre congé de leurs employeurs respectifs. Quant au dernier, il ne se porta pas candidat pour le poste à pourvoir. 

Les cantates de Bach, Fasch et Graupner qui sont ici mises à l’honneur présentent toutes la particularité d’avoir été composées pour les festivités religieuses entourant la période de l’Avent. L’œuvre de Bach est évidemment connue. Les deux autres le sont beaucoup moins. Bien que n’excédant pas six minutes, la cantate de Fasch, d’une beauté immaculée refusant tout effet d’esbroufe, méritait d’être tirée de l’ombre. Plus fastueuse, celle de Graupner a des accents opératiques -ce qui ne manque pas de faire sourire, lorsqu’on sait que le conseil de Cöthen hésita à embaucher Bach, jugeant sa musique excentrique et inadaptée à l’esprit du culte. Le Concerto en mi mineur pour violon, deux hautbois, cordes et basse continue de Telemann n’est pas moins flamboyant; il s’ouvre sur un Allegro tempétueux, repris da capo à l’issue d’un Andante attendrissant, et se referme sur un bref menuet tout en majesté. En deux parties, la cantate du « père Bach » se détache nettement du reste des œuvres précédentes par sa longueur, sa noble prestance et la science du contrepoint. Pourquoi donc avoir choisi de clore ce CD sur l’aria « Bereite dich, Zion » extraite de l’Oratorio de Noël du même Bach ? Présentée comme un bonus dans la notice accompagnant le disque, cette aria dépareillée nuit quelque peu à la cohérence du programme; le choral conclusif de la Cantate BWV 36 n’était-il pas mieux à même de mettre un point final à ce dernier qu’un air d’alto égaré en bout de chemin ? Une autre alternative valable aurait pu consister à mettre à l’honneur une page de Kuhnau. 

La lecture très soignée apportée à ces œuvres par l’ensemble de musique baroque norvégien Barokkarne est, globalement, d’une grande beauté. On ne s’en étonnera guère, sachant que cette phalange s’est adjoint par le passé la collaboration d’artistes aussi renommés que Rachel Podger, Emma Kirkby et Andrew Lawrence-King, et que son directeur artistique actuel, le hautbois Alfredo Bernardini (dont c’est ici le troisième enregistrement pour le label LAWO) s’est abreuvé de musique ancienne au sein de formations aussi prestigieuses que Hesperion XX, Le Concert des Nations, La Petite Bande, The English Concert, Bach Collegium Japan et The Amsterdam Baroque Orchestra. Cecilia Bernardini, fille du susdit Alfredo, s’illustre en particulier dans le concerto de Telemann, merveilleusement mis en valeur par le timbre velouté de son précieux instrument, un Nicolo Amati de 1643. Les violons, les altos et les bois sont de belle tenue. Le violoncelle, dont l’intonation vacille légèrement à l’entame du choral duetto de la Cantate BWV 36, aurait gagné à colorer un peu plus ses phrasés.

Les voix sont d’une jolie rondeur. La palme revient sans aucun doute à la mezzo Marianne Beate Kielland (qui vient par ailleurs de consacrer un disque aux lieder de Mahler). Très remarquée par la critique, celle-ci fit notamment ses classes auprès de Barbara Bonney et a servi sous Michel Corboz, Philippe Herreweghe, Fabio Biondi, Jordi Savall, Rinaldo Alessandrini, Christophe Rousset, Marc Minkowski, Masaaki Suzuki et Jos van Immerseel. Le ténor Anders J. Dahlin, qui collabore régulièrement avec Christophe Rousset, William Christie, Sir John Eliot Gardiner, Emmanuelle Haïm, Hervé Niquet, François-Xavier Roth et Mark Minkowski, ne démérite pas davantage -en témoigne, notamment, le splendide choral en si mineur de la cantate de Bach où excellent également les deux hautbois. La soprano Berit Norbakken Solset, au curriculum un peu moins étoffé que ceux de ses collègues, peut ajouter fièrement à celui-ci sa prestation presque sans failles. Sa justesse de ton n’est malheureusement pas toujours égalée par la basse Halvor Melien dont on saluera l’intonation mais dont l’emphase excessive ne sied guère à la tendre aria en ré majeur « Wilkommen, werter Schatz ! » inaugurant la seconde partie de la Cantate Schwingt freudig euch empor; c’est d’autant plus dommage que, dans les ensembles, les voix masculines sont, à l’inverse, un peu trop en retrait…

Au final, ce disque, qui bénéficie au demeurant d’une prise de son aérée et lumineuse, est un très bon parti. Au risque de conclure par une anecdote, signalons le soin apporté à la finition du livret : quoique faisant fi de la langue de Molière, ce dernier est rehaussée par des reproductions sur papier glacé de toiles de Rubens, Il Sassoferrato et Blanchard. Un plaisir pour les yeux autant que pour les oreilles !

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 10 – Interprétation 9

Olivier Vrins

 

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