Révélation de la version récemment orchestrée des cycles vocaux de Paderewski
Jan Ignacy Paderewski (1860-1941) : Quatre mélodies Op. 7 ; Six mélodies Op. 18 ; Douze mélodies Op. 22 [arrgmts Marcin Gumiela]. Suite en sol majeur. Nocturne en si bémol majeur, Op. 16 no 4 [arrgmt Marius Smolij]. Alina Adamski, soprano. Agata Schmidt, mezzo-soprano. Marius Smolij, Capella Bydgostiensis. Livret en anglais ; pas de texte des paroles mais elles sont disponibles sur le website de Naxos, en langue originale non traduite. Août 2020. TT 71’06. Naxos 8.579085
Les guerres, les invasions, les frontières redessinées... La terrible actualité que nous connaissons remémore une anecdote relatée par une biographie de Rom Landau (Musician and Statesman. New York, Crown, 1934). L’art, la politique, le patriotisme. Quand Paderewski, signataire du Traité de Versailles en 1919 au nom de son pays natal, apprit que les Alliés reconsidéraient l’intégration de Gdansk, de territoires silésiens et de Prusse orientale dans la nouvelle carte polonaise, il se présenta au Quai d’Orsay où Georges Clémenceau lui demanda s’il était apparenté au célèbre pianiste. « Et vous êtes devenu Premier Ministre, quelle régression ! » répliqua benoîtement le Tigre. Malgré son engagement diplomatique, son rayonnement philanthropique et son intense activité de concertiste, se souvient-on aujourd’hui quelle fut la notoriété de cet homme adulé aux États-Unis où il donna récital dans les plus grandes salles comme dans les moindres bourgades ? En 1937, il apparut même comme acteur, jouant son propre rôle, dans le film britannique Moonlight Sonata. À sa mort en 1941, ses funérailles attirèrent des dizaines de milliers de personnes au cœur de Manhattan ; le Président Roosevelt ordonna une inhumation au Arlington National Cemetery. Il repose depuis trente ans à la Cathédrale Saint-Jean de Varsovie où sa dépouille fut transférée.
Dans la décennie 1880, il fut l’élève de son compatriote, l’éminent pédagogue Teodor Leszetycki, et fut acclamé à Vienne, Paris, Londres, avant de connaître sa gloire transatlantique et internationale. Au sommet de ses quelques 70 opus, on lui doit un opéra Manru, une imposante symphonie, un concerto en la mineur enregistré par le grand Earl Wild (RCA), une sonate en mi bémol mineur. Plus modestes mais non moins intéressantes, les œuvres reproduites sur ce disque datent du début de sa carrière (1884-1903) : trois séries de mélodies vocales avec piano, que nous entendons ici dans une version orchestrée en 2019 par Marcin Gumiela pour ensemble à cordes, commanditée par la Philharmonie de Poméranie.
L’opus 7 illustre quatre poèmes d’Adam Asnyk, l’opus 18 six poèmes d’Adam Mickiewicz et Franciszek Morawski ; ils sont chantés en polonais par la soprano Alina Adamski, ardente, accompagnée par les archets de la Capella Bydgostiensis qui en avait assuré la première audition. D’un langage plus dépouillé et d’une harmonie plus recherchée, volontiers chromatique, déployé sur un format d’une demi-heure, le captivant opus 22 visite douze poèmes de Catulle Mendès, chantés par la mezzo Agata Schmidt, dont l’onctueuse interprétation semble hélas peu familière de la prononciation française. En voici le tout premier enregistrement, à l’instar de la Suite en sol majeur exhumée en 1986 et créée quelques mois après à Cracovie. Le programme est complété par un lancinant et lumineux Nocturne (la pièce réussit l’oxymore), arrangé par Marius Smolij d’après l’original pour clavier. Doté de voix amples (parfois un peu trop) et chaleureuses, voici un remarquable et révélateur CD, qui en cette année 2022 marque le soixantième anniversaire de la Capella Bydgostiensis.
Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 9
Christophe Steyne