Sublime Andras Schiff   

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Dans le cadre de sa prestigieuse série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence Caecilia réinvite régulièrement certains artistes qui peuvent ainsi déployer l’éventail de leur répertoire. Tel est le cas du grand pianiste hongrois Sir Andras Schiff, entendu en février 2018 dans un programme Schumann, Brahms, Mozart, Bach et Beethoven. Et cette fois-ci, pour le récital de vendredi dernier, il s’est concentré sur les seuls Beethoven et Schumann.

Utilisant un somptueux piano Bösendorfer de couleur acajou, il propose d’abord le Beethoven trentenaire de la Douzième Sonate en la bémol majeur op.26 dont il chante la profonde sérénité en s’appuyant sur la richesse des basses que lui fournit l’instrument. De ce motif initial semblent découler naturellement les traits d’ornementation et les variations qui s’enchaînent avec une implacable logique. Par un jeu très articulé, le Scherzo prend un tour bondissant dont le Trio calmera les élans par le balancement de son cantabile. La Marcia funebre sulla morte d’un eroe se déroule en un tempo allant qui ne deviendra maestoso que dans la section médiane où éclatera le drame sur le roulement en trémolo de la main gauche, tandis que le Finale renouera avec une désinvolture volontiers babillarde que produisent les doubles croches de la main droite.

Andras Schiff passe ensuite à Schumann et à son opus 11, la Première Sonate en fa dièse mineur dont il est difficile de restituer la grandeur architecturale. Le premier mouvement, extrêmement long, s’ouvre par une introduction oppressante d’où prend forme la mélodie que l’Allegro vivace pimentera de traits primesautiers, même si pointe par instants une tristesse passagère. L’Aria détend l’atmosphère par la suavité de son rubato, tandis qu’à la pointe sèche est ébauché un Scherzo impétueux qu’édulcorera le Lento alla burla à la saveur mondaine. L’on se perd un peu dans le Finale trépidant où, sous les tutti péremptoires, le pianiste sait écouter les voix intérieures. Puis il s’attaque à la non moins redoutable Fantaisie en ut majeur op.17 dont il fait déferler les houleuses doubles croches de la gauche pour claironner les octaves de la droite, sans pouvoir éviter le boursouflement du propos ; mais le deuxième thème corrige ce défaut en prêtant à la séquence Im Legendenton la veine de l’accalmie méditative. Dans le Mässig durchaus energisch, il privilégie la clarté des lignes pour en accentuer le caractère héroïque, avant que se dessinent un scherzando aux aigus aériens et une coda aux sauts impossibles que le pianiste égratigne, comme la plupart de ses collègues lors d’une exécution en scène. Par contre, le Finale retrouve une ligne épurée par sa cantilène presque immatérielle émergeant de la profondeur des arpèges.

Et le programme s’achève par une magistrale Waldstein, la 21e Sonate en ut majeur op.53 de Beethoven, débutant par une rapide battue de croches zébrée de fulgurances, débouchant sur un Dolce e molto legato négocié par un rubato suggestif. Lui répond un bref Adagio molto songeur auquel s’enchaîne un Rondò à la texture délicate amenant à un Prestissimo ahurissant qui fait hurler de bonheur le public conquis. Devant tant d’enthousiasme, Andras Schiff, manifestement touché, propose en bis son cher Bach, d’abord le Vif initial du Concerto italien en fa majeur, puis reparaît en enchaînant l’Andante et le Presto, à vous laisser bouche bée !  Sublime !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 11 octobre 2019

Crédits photographiques : Nadia F.Romani

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