Un jeune chanteur, un « vieux » chef

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Une petite communauté de pêcheurs de perles sur une île exotique, Ceylan. Au temps de la pêche rituelle, Zurga en devient le chef. Surgit alors Nadir, de retour d’un long voyage. Tous deux naguère ont été épris ailleurs d’une même femme, la prêtresse Leïla. Pour préserver leur amitié, ils avaient juré de renoncer à leur amour. Arrive alors la prêtresse qui doit veiller sur la pêche, mais est obligée, pour cela, de rester cachée sous son voile et pure, sous peine de mort. C’est Leïla. Elle reconnaît Nadir, il la reconnaîtra. Ils s’avoueront leur amour. Zurga les découvrira. Ils seront condamnés. Mais Zurga, pour les sauver, se sacrifiera au nom de l’amour, au nom de l’amitié.

Tel est l’argument des Pêcheurs de perles que crée le jeune Bizet -il a à peine vingt-cinq ans- le 30 septembre 1863. Une œuvre qui ne connaîtra qu’un succès éphémère et sera oubliée jusqu’aux années 1970.

Ces temps-ci, elle connaît un regain d’intérêt. Ainsi la saison dernière, on l’a vue-entendue au Grand Théâtre de Luxembourg et à l’Opéra des Flandres, dans une mise en scène conceptuelle du FC Bergman : Zurga et Nadir très, très vieux, se souvenaient de leur jeunesse. Au lieu d’une « île exotique », le décor initial était une salle de gériatrie, hyper-réalistement reconstituée, la mer étant symbolisée par une immense vague figée sculptée. A l’Opéra de Liège, on s’est aussi abstenu d’une reconstitution « réaliste », « couleur locale ». Le metteur en scène japonais Yoshi OÏda a opté pour un minimalisme expressif : le fond du plateau est relevé à la façon d’une vague qui se forme ; quelques carcasses en osier de bateaux viennent suggérer l’activité principale de personnages dont les vêtements indiquent une origine orientale. Rien ne vient donc distraire l’écoute, ce qui, malheureusement peut-être, permet au spectateur de se rendre compte que cet opéra de jeunesse n’est encore qu’une esquisse, plutôt prometteuse certes. Il faudra attendre 1875 pour l’accomplissement de Carmen

Mais cette production liégeoise restera dans nos souvenirs grâce à un jeune chanteur et à un « vieux » chef. Les Pêcheurs, c’est surtout un air, la romance de Nadir : « Je crois entendre encore ». Merveilleux cadeau pour un ténor, mais périlleux dans sa subtilité exigeante. Cyrille Dubois nous en a offert une version magnifique. Symbolique d’ailleurs de sa prestation d’ensemble. Quelle maîtrise vocale, quelle expressivité, bien au-delà de tout effet gratuit, quelle clarté d’articulation, quelle présence scénique. 

Le chef, c’était Michel Plasson. Plus de quatre-vingts ans, une expérience orchestrale et lyrique sans pareille, une intelligence « en gestes » de l’œuvre. Quel beau travail il a réussi avec l’Orchestre de l’Opéra de Liège, amenant celui-ci à des dépassements, à des précisions accrues, à des raffinements d’interprétation. Quel bonheur que cet art où l’âge ne vous exclut pas, mais vous offre au contraire la liberté de partager toute une expérience technique et sensible accumulée.

Si Pierre Doyen est un Zurga qui s’impose et émeut dans son amitié malmenée, dans sa violence jalouse et son sacrifice final, Annick Massis convainc moins en Leïla. Le temps qui passe est sans doute plus cruel avec les solistes. Elle a gardé et prouve toute sa puissance, mais elle peine parfois à maintenir la voix dans les nuances de son rôle. 

Ces « Pêcheurs », pour parler comme aujourd’hui : une superbe rencontre intergénérationnelle…

Stéphane Gilbart

Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 16 novembre 2019

Crédits photographiques : Opéra Royal de Liège Wallonie

 

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