Vérone rend hommage à Franco Zeffirelli

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Pour sa 97e édition depuis août 1913, le Festival des Arènes de Vérone affiche cinq productions lyriques, dont une Aida originale de 1913 reconstituée par Gianfranco de Bosio, ainsi que Carmen et Tosca dans les mises en scène de Hugo de Ana. Mais l’on a surtout fait appel à Franco Zeffirelli pour une nouvelle production de La Traviata et la reprise de son Trovatore de juillet 2001.

A ce qu’il déclare dans ses notes de régie intitulées « Violetta, mon amour », il a été heureusement surpris de recevoir, à la fin de l’été 2018, un appel téléphonique de Cecilia Gasdia, l’ex-soprano actuelle directrice artistique de la Fondazione Arena di Verona, qui lui proposait de réaliser une nouvelle Traviata, « l’opéra des opéras », selon ses dires. Bravant les affres de son âge vénérable (95 ans !) et l’altération progressive de son état de santé, l’infatigable créateur a investi toutes ses dernières forces dans la redoutable aventure, en jouant la carte de l’expansion du concept de base élaboré pour les représentations de juin et octobre 1958 à Covent Garden et à Dallas avec Maria Callas dans le rôle de Violetta. Mais il s’est éteint à Rome le 15 juin dernier, six jours avant la première véronaise du 21 juin. 

Était-ce donc une prémonition que de nous faire entendre, avant même que ne commence le Preludio, le glas sinistre qui ponctue l’apparition d’un cortège funèbre avec officiant et acolytes, précédant le convoi tendu de velours noir tiré par un cheval bai et suivi par une vingtaine de fidèles dont un seul se détache, un Alfredo, engoncé dans sa dignité, se remémorant le passé ?

Avec l’aide de Carlo Centolavigna, Franco Zeffirelli a conçu un décor unique, constitué par une structure de palais baroque avec contreforts de marbre qui, à l’ouverture du rideau de scène,  livre un salon d’apparat avec un escalier amenant à l’étage supérieur où se lovent un vestibule et une chambre à coucher, damassée de bleu tendre. Victime d’un malaise passager, Violetta peut s’y réfugier, tandis qu’en bas se presse une foule de mondains, faisant valoir les somptueux costumes imaginés par Maurizio Millenotti. Ce tableau aura pour pendant la scène de bal chez Flora Bervoix où de gigantesques miroirs à candélabres de bronze surplombent la vaste salle au mobilier raffiné. Par contraste, la maison de campagne, qui donne sur un sous-bois paisible sera suggérée par une verrière modern style, s’appuyant sur des colonnes de porphyre sombre. Et le dernier tableau verra un lit de fortune, empli de coussins blancs, descendu dans le salon lambrissé d’or, où l’héroïne vivra ses derniers instants. Et c’est surtout dans la caractérisation des personnages que se révèle le travail du metteur en scène et de son collaborateur Massimo Luconi, alors que les scènes d’ensemble donnent l’impression d’une simple mise en place et non d’une véritable direction d’acteurs. Quant à la chorégraphie de Giuseppe Piccone, elle est fonctionnelle avec un brin d’inventivité dans la fantasmagorie du carnaval qui envahit la demeure de la mourante.

Du côté de la musique, il faut d’abord relever que la partition, donnée intégralement, bénéficie autant de la cabaletta du ténor « O mio  rimorso ! O infamia ! » que de celle du baryton « No, non udrai rimproveri ». A la tête de la phalange orchestrale de bonne qualité et des chœurs magnifiquement préparés par Vito Lombardi, la baguette de Daniel Oren obtient une louable précision des ensembles, tout en déroulant le tissu narratif avec un remarquable équilibre des plans sonores. 

Sur scène, Irina Lungu est une Violetta au timbre fruité, voire même un peu corsé qui, d’emblée, joue la carte de l’expressivité de la ligne vocale, tout en abordant avec précaution la grande scena « È strano ! » où le bas medium est trop faible pour soutenir les passaggi de coloratura de « Sempre libera » à l’intonation précaire. Mais une fois passé cet écueil du premier acte, sa prestation est continuellement émouvante, notamment dans un « Dite alla giovine » à fleur de lèvres. Le fringant Pavel Petrov campe un Alfredo à l’émission claire qui possède les atouts du véritable lirico spinto, qualités que l’on retrouve chez un Simone Piazzola tout aussi jeune, dessinant un Giorgio Germont au phrasé contrasté. De bonne qualité, les seconds plans, Carlo Bosi (Gastone), Clarissa Leonardi (Flora Bervoix), Nicolò Ceriani (le Baron Douphol), Daniel Giulianini (le Maquis d’Obigny), Romano Dal Zovo (le Docteur Grenvil) et les ‘vétérans’ Daniela Mazzucato (Annina) et Max René Cosotti (Giuseppe).

A côté de cette Traviata fraîchement émoulue a été repris, pour cinq représentations, Il Trovatore, la deuxième des productions que Franco Zeffirelli avait conçues pour l’Arena à la fin juin 2001. Et là, sa griffe est beaucoup plus évidente dans un décor de tours métalliques, chariots amassant hallebardes et lances et monstrueuses statues de guerrier terrassant l’ennemi. Le campement des bohémiens n’est que tentures amovibles baignant dans le rouge orangé, préfigurant les ors rutilants du maître-autel du couvent de Castellor. La mise en scène fait appel à une centaine de figurants parmi lesquels se faufilent des pénitents à cagoules noires et des moniales portant de longs cierges immaculés, ainsi qu’un imposant corps de ballet qui agrémente le repaire des tziganes et les abords de la forteresse où sera exécutée une partie des danses du troisième acte, élaborées pour les représentations parisiennes de janvier 1857. Et les costumes de Raimonda Gaetani mettent en valeur une harmonie de coloris, caractéristique de chaque tableau. 

La presse internationale a abondamment publicisé ce spectacle que la télévision a filmé et retransmis, car y débutaient Anna Netrebko et son époux, le ténor Yusif Eyvazov, qui ont assuré les trois premières représentations, concédant un triomphe à la protagoniste. A la représentation du 26 juillet, leur ont succédé Anna Pirozzi et Murat Karahan, ce qui a permis à la soprano napolitaine de s’imposer comme le véritable drammatico di agilità voulu par le Verdi des années 1850 ; car la voix ample est émise avec une facilité qui lui permet de se répandre dans la superficie démesurée des Arènes, tout en sachant cultiver une ligne de chant magistrale qui lui concède les oppositions de coloris de « D’amor sull’ali rosee ». Face à elle, Murat Karahan, tant apprécié l’an dernier en Calaf de Turandot, incarne un Manrico engoncé dans un phrasé trop rigide qui finit par libérer ses aigus dans un « Di quella pira » véhément. Redevenue mezzo, Violeta Urmana s’accommode mieux de la vocalità d’Azucena que de celle d’Amneris, tant le grave consistant étoffe le medium et l’extrémité de la tessiture haute, même si elle peine au troisième acte dans la cabaletta de fureur « Deh, rallentate, o barbari », submergée par les forces chorales de Vito Lombardi. Absolument remarquable, le Ferrando de Riccardo Fassi, à l’élocution dramatique excellente, face au Conte di Luna beaucoup plus monocorde d’Alberto Gazale. Adéquats, l’Inès d’Elena Borin et le Ruiz de Carlo Bosi, alors que la direction de Pier Giorgio Morandi manque cruellement de précision et de souffle tragique. Mais le spectateur en fait peu cas, alors qu’il est totalement subjugué par la voix de la soprano. Et devant tant de beauté visuelle, on ne peut qu’espérer que, au cours des prochaines saisons, l’on ait la judicieuse idée de reprendre les productions grandioses de Franco Zeffirelli. 

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Ennevi / Fondazione Arena di Verona

 

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