Wiener Symphoniker et Philippe Jordan : une perfection sans nom

par

Philippe Jordan © Johannes Ifkovits

Richard Wagner (1813-1883) : Ouverture de Tannhäuser
Franz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano n°2 en la majeur, S. 125

Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°1 en do mineur
Wiener Symphoniker, Philippe Jordan, direction – Khatia Buniatishvili, piano

Sous l’effigie d’une tournée inaugurale, le Wiener Symphoniker était le temps d’une soirée à l’affiche du palais des Beaux-Arts. Quatre villes au programme : Cologne, Paris, Luxembourg et Bruxelles. Le nouveau directeur musical de l’orchestre, le suisse Philippe Jordan, a concocté deux programmes ambitieux et passionnants. Celui de Bruxelles se consacrait à la musique romantique allemande de Liszt, Wagner et Bruckner. Il va sans dire que l’entièreté du programme nous a convaincu. Dès les premières notes de l’ouverture de Tannhäuser, on est stupéfait par la parfaite harmonie et l’homogénéité des cuivres : douceur presque inimaginable, soin du détail, respirations communes précises et surtout une échelle de contrastes extraordinaires. Arrivent alors les cordes puis le tutti d’une manière toute aussi surprenante. L’orchestre sonne d’une voix et suit son chef avec une attention des plus captivante. Habitué de l’opéra -Philippe Jordan est directeur musical de l’Opéra national de Paris- le chef démontre ce soir qu’il maîtrise tout aussi bien le matériau symphonique pur. Aucune manipulation dans sa battue, mais davantage une tendance à magnifier l’expression de son art. Après une lecture incroyablement expressive et intense de Tannhäuser, place au Concerto pour piano n°2 de Liszt avec la pétillante Khatia Buniatishvili. Elle rentre dans le matériau orchestral sur des pas feutrés, presqu’en arrière plan avec le charme qui est le sien. Si le piano ne passe pas clairement au début, il tend à rendre plus expressif les vents dans leur mélodie suave. Mais une fois la machine lancée, plus rien n’arrête la pianiste. Il est d’ailleurs impressionnant de voir que cette pianiste joue de tout son corps au service de la musique tout en développant un dialogue ininterrompu avec l’orchestre. Cette fusion idéale, la jeune pianiste en profite et en tire toutes les conséquences notamment lorsqu’elle est devant l’orchestre. Battue plus sobre et précise pour Jordan qui remet ainsi tout le monde sur les rails. D’une virtuosité sans failles, Khatia Buniatishvili saisit toute la profondeur de l’œuvre, n’hésite pas à appuyer certains accents. En bis, elle offre au public le Prélude n°4, opus 28 de Chopin avec la même expressivité.
Après la pause, place au descendant de la nouvelle école allemande : Anton Bruckner. Véritable élection libre du corpus du compositeur, la Première symphonie possède un caractère allant, plus léger que les symphonies plus tardives. On y rencontre encore l’influence d’un Liszt ou d’un Wagner, pères de l’Ecole. Jordan y plonge avec confiance et assurance. Comme pour les deux premières œuvres, il fait preuve ici d’une grande maturité où le geste directionnel, à la fois clair et énergique, modèle à la perfection les différentes séquences. Chaque mouvement (quatre au total) trouve son idéal tandis que chaque pupitre atteint un niveau technique irréprochable. Jordan dirige presque de mémoire et ne semble pas effrayé par la structure générale, toujours complexe chez Bruckner. Tant les dynamiques que les couleurs sont issues d’une seule et même voix. Voilà des musiciens qui ont envie de jouer et qui s’en donnent les moyens à l’aide d’un directeur motivé et consciencieux. Les musiciens terminent avec une valse de Johann Strauss, toujours avec la perfection qui les caractérise.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 26 novembre 2014

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