« Au milieu de la vie, nous sommes dans la mort »
Simone de Bonefont (ca. 1500) : Missa pro mortuis cum quinque vocibus, Arnold von Bruck (1500-1554), Jacobus de Kerle (1531-1591), Orlandus Lassus (1532-1594), Nicolas Gombert (1495-1560). Huelgas Ensemble. Cantus : Axelle Bernage, Rosemary Galton, Helen Cassano, Sabine Lutzenberger. Tenor : Achim Schulz, Paul Bentley-Angell, Ozan Karagöz, Adriaan De Koster, Tom Phillips, Matthew Vine. Bassus : Romain Bockler, Guillaume Orly. Aristic director : Paul Van Nevel. 2018 - 58’21’’ - Livret en français, anglais, néerlandais. Textes chantés et traduction en français, anglais, néerlandais. Cypres Records-CYP1682.
Vient de paraître au disque, le 2 avril 2020, une œuvre de la Renaissance franco-flamande qui n’aurait pu résonner davantage avec l’actualité. Cette résonance particulière, nous la devons au label Cypres, connu et apprécié pour continuer à offrir aujourd’hui une place de choix au patrimoine musical, sans crainte de ressusciter des chefs d’oeuvre oubliés, de mettre au monde des créations, ou encore de décloisonner la musique par-delà les genres et les frontières.
Missa pro mortuis est une Messe de Requiem à cinq voix, datée du 12 août 1556 et signée d’un compositeur méconnu, Simone de Bonefont, qui fut chanoine et chantre à la Cathédrale de Clermont-Ferrand. Portée par les voix du Huelgas Ensemble et par la découverte tant inédite qu’opportune de son chef inspiré, Paul Van Nevel, la partition fait singulièrement sens au regard de ce que les arts tentent de tous temps d’incarner face au destin de l’humanité. Cette tradition de la liturgie des morts recèle ce qu’il y a de plus initiatique : toutes les parties, qu’elles soient obligatoires (Kyrie, Sanctus, Agnus Dei) ou facultatives (Introït, Gradual, Offertoire, Communion), cheminent vers l’accomplissement d’un rite. Telle une onde médiane, la sobriété dans la polyphonie tend ici à révéler la lumière intrinsèque au timbre pur des voix qui n’en font qu’une et qui consacrent de plus belle l’excellence de cet ensemble déjà primé à maintes reprises sur la scène internationale.
Derrière cette sobriété qui appelle effectivement à la méditation et au recueillement, se cristallise une esthétique de haut vol, tant dans l’écriture de la pièce que dans l’interprétation qui nous est ici proposée : ciselée, lumineuse et naturelle. Les mélodies grégoriennes participent à cette atmosphère tant spirituelle qu’intemporelle, et ouvrent un espace de rencontre où se rejoignent la douleur et l’apaisement.
Ce premier enregistrement mondial de Missa pro mortuis cum quinque vocibus est d’autant plus proche de nous qu’il a été magnifiquement capté en live à l’Abbaye de Parc (Louvain) par Markus Heiland. Il est suivi de quatre autres pièces de maîtres franco-flamands (Arnold von Bruck, Jacobus de Kerle, Orlandus Lassus et Nicolas Gombert) sur un texte essentiel du répertoire grégorien, Media vita in morte sumus : « Au milieu de la vie, nous sommes dans la mort ».
L’on appréciera également l’illustration choisie pour la pochette du disque, la Montée des bienheureux vers l’empyrée (extrait des Visions de l’au-delà) de Jérôme Bosch.
Si ce célèbre panneau devait évoquer ce que cette musique sacrée permet d’approcher, serait-ce déjà l’éblouissement ?
Son : 10 - Livret : 10 - Répertoire : 10 - Interprétation : 9
Clara Inglese
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