Interviews
La violoniste serbe Lana Zorjan, est lauréate du prix Découverte 2024 des International Classical Music Awards. Elle s’entretient avec Anastassia Boutsko, du média allemand Deutsche Welle.
Vous avez tout juste quinze ans et vous êtes déjà une musicienne chevronnée qui peut déjà se targuer d'une belle carrière : de nombreuses apparitions en solo avec de grands orchestres, des prix importants... Mais comment en êtes-vous venue à être musicienne ?
Cela va sans doute vous paraître trop simple : je viens d'une famille de musiciens. Mes parents sont musiciens, mon père est chanteur d'opéra, ma mère est violoniste, elle est professeur de violon. Mes deux grands-pères sont également musiciens.
Vous n'aviez donc pas d'autre choix en ce qui concerne votre profession - en général. Et le choix de l'instrument -le violon- était également une décision claire ?
Pour être tout à fait honnête, le violon a toujours été un cadeau. J'ai toujours aimé entendre son son. Dès mon plus jeune âge, j'ai commencé à demander à mes parents : "Puis-je jouer du violon ? Puis-je jouer du violon ?" Et à l'âge de quatre ans, trois ans et demi, j'ai eu mon premier instrument, un tout petit violon. Et vous savez, j'en suis tombée amoureuse dès le premier regard !
Vous venez de remporter le prix de la découverte des ICMA. Que représente ce prix pour vous ? Comment une jeune musicienne peut-elle se développer entre succès et attention et le besoin de calme et de tranquillité pour évoluer ?
Pour tout vous dire, ce prix décerné par les ICMA et prendre part au concert de gala représentent déjà la plus grande étape pour moi ! Je vais faire de mon mieux pour que tout le monde soit fier de moi. Pour l'instant, je me concentre sur mon amélioration en tant que violoniste et en tant que personne. Je travaille sur moi et sur l'instrument. Évidemment, la perfection n'existe jamais. Vous savez, il faut toujours rechercher la perfection, mais elle n'existera jamais.
On dit que les jeunes de votre génération ont du mal à consommer du contenu plus long qu'une vidéo TikTok de 59 secondes environ. C'est absurde ?
Chaque personne est différente. Je suis de nature très détaillée, j'aime donc me concentrer sur une chose pendant longtemps. Par exemple, lorsque je lis sur un morceau et que je joue, je peux me concentrer sur la lecture de ce que le compositeur a voulu écrire pendant des heures. Et je veux dire littéralement pendant 3 ou 4 heures !
Pour être tout à fait honnête - oui, j'ai aussi Instagram et les médias sociaux. J'aime ça parce que j'ai beaucoup d'amis qui ne viennent pas de Serbie. Ma meilleure amie vient de Corée, par exemple. Je pense que nous devons tous faire attention à ne pas devenir dépendants. Nous devons également être présents dans le monde réel, et dans les médias sociaux, vous savez, vous pouvez avoir beaucoup de fausses informations. Il est très important que nous ayons aussi ce type d'apprentissage par la nature, c'est-à-dire les livres et, pour moi, les notes de musique.
Les pianistes turques Güher et Süher Pekinel sont les récipiendaires du Lifetime Achievement Award 2024 des International Classical Music Awards. Ce prix récompense les presque cinquante ans que les Pekinel ont passés sur la scène internationale, à partir des années 1980, lorsque seule une poignée de musiciens turcs pouvaient se frayer un chemin sur la scène de la musique classique. Leur musicalité unique, leur présence sur scène et leurs connaissances artistiques approfondies ont ouvert la voie à cette récompense très importante. Ces dernières années, les soeurs Pekinel ont consacré la majeure partie de leur temps à des projets éducatifs et à la préparation de jeunes musiciens talentueux de toute la Turquie à la scène, ce qui fait d'elles des ambassadeurs musicaux assidus. Elles ont été interviewées par Feyzi Ercin, membre du jury turc d'Andante.
Vous êtes un duo aux innombrables réalisations et aux nombreuses récompenses. Que signifie un prix pour un artiste, et qu'est-ce que celui-ci signifie spécifiquement pour vous ?
Ce prix s'est une fois de plus avéré être une source de motivation importante pour nous. L'un de ses principaux mérites est la reconnaissance de nos efforts par d'autres musiciens, ce qui est un indicateur de notre résonance dans le domaine artistique. En outre, la nature éminente du prix, décerné par un jury composé de représentants de l'ensemble des publications et diffuseurs musicaux européens, lui confère une signification encore plus grande. En effet, cette récompense sert continuellement de phare, allumant la volonté de se perfectionner par l'auto-réflexion.
Votre principale caractéristique est de jouer sans contact visuel, sur des pianos parallèles, mais pas côte à côte. Comment et quand cette idée a-t-elle germé en vous ? Depuis que vous avez adopté cette approche, quels résultats avez-vous obtenus en tant que musiciennes ? Votre style, votre son ou votre réaction à la musique ont-ils changé ?
Les pianos que nous allions jouer lors de nos tournées ne nous satisfaisaient pas entièrement. L'absence de contact visuel contribue à établir une distance très créative. Nous devenons réceptives aux risques grâce à notre concentration de sensations. Lorsque les pianos sont placés l'un en face de l'autre et que le couvercle de l'un d'eux est retiré, le son du second piano n'atteint la salle qu'avec une perte de 65 % de sa pureté d'origine. En outre, les pédales apparaissent souvent floues, ce qui fait perdre à la sonorité une grande partie de son caractère. Par ailleurs, nous affinons sans cesse notre conception du son symphonique. Pour nous, cet emplacement est le plus logique et le plus naturel. Nous n'avons plus besoin de nous voir. Nous nous sentons néanmoins plus fortes sans le contact visuel. Nos oreilles nous servent d'yeux et nos yeux d'oreilles. Notre chemin musical est déterminé par deux aspects : tout d'abord, il y a la respiration fluide que nous cherchons à expérimenter plus profondément et plus longtemps. Deuxièmement, et tout aussi crucial, le risque. Plus nous sommes contrôlées, plus nous voulons être libres. Dans cet état de liberté, synonyme de contrôle total (l'un ne va pas sans l'autre), nous faisons l'expérience d'une liberté absolue face à un risque maximal, que nous pouvons définir comme la "réalisation de l'élan".