Camille de Rijck, directeur de collection

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Figure incontournable de la chaîne radiophonique RTBF Musiq3, Camille de Rijck est également à la tête, avec Sylvain Fort, d’une nouvelle initiative éditoriale en matière de livres sur la musique aux Éditions Papiers Musique. À l’occasion de la sortie des trois premiers titres de la collection “Via Appia”, il revient sur la genèse et l’ambition de ces parutions. Cet entretien est également l’occasion d’évoquer le site internet ami Forumopera dont Camille de Rijck est le co-fondateur et qui célèbre cette année ses 20 ans.  

Vous lancez, avec votre compère Sylvain Fort, la collection “Via Appia” aux Éditions Papiers Musique du groupe Humensis. La première question est tout simplement : pourquoi lancer une nouvelle collection de livres ? Quel sera son ADN ?

Nous avons constaté une raréfaction de la parole musicale dans la presse papier et dans le domaine de l’édition. La crise économique qui frappe très sévèrement les différents acteurs culturels en est évidemment l’une des causes. Quand le groupe Humensis nous a proposé de travailler à plusieurs collections, il n’a pas fallu très longtemps pour qu’une ritournelle d’envies nous saisisse. L’une d’elles consiste à donner la parole aux musiciens (collection Grand Socco), l’autre se concentrera sur les villes et la musique (collection Via Toledo) et la troisième, celle que vous évoquez (Via Appia), est une collection ouverte aux musicographes. Ceux qui commentent la musique à distance respectueuse. Voilà pour l’ADN. Le reste est une page blanche.

À une époque qui voit le contact avec la musique omniprésent dans notre société ultra-connectée via les réseaux sociaux, les plateformes de streaming, les smartphones, les tablettes. Quelle est la plus-value du livre sur la musique ?

La réponse est dans la question. Ce constat que vous faites est très dichotomique ; il y a le temps de la diffusion, qui est devenu frénétique et roboratif et il y a celui de la réflexion. Le livre est porteur de réflexion car il porte en lui la notion très contemporaine du slow. La lenteur est devenue un luxe. Pour tourner des pages, il faut du temps, du courage, de l’envie. Il faut presque un projet éducatif. Le livre est porteur de cette coquetterie qui aujourd’hui apparaît dans nos vies comme une incongruité. Lire un livre, c’est le plaisir de l’odeur du papier, de son toucher. C’est une fête des sens. C’est la joie d’empiler ces petits objets chez soi. Et pour ceux qui y sont rétifs, il reste les tablettes, les smartphones, les liseuses, qui vous téléchargent des PDF en deux temps trois mouvements.

À qui s’adressent principalement ces titres ? Aux mélomanes avertis ou aux profanes qui débutent dans la découverte de la musique classique ?

À tout le monde ! Le parcours académique de Sylvain Fort donne le tournis. Le mien est plus anémique. Cependant, nous nous accordons sur l’idée d’une collection de sapience douce.

Votre première série de parutions propose 3 titres : “Les 100 maux de l’opéra” de Christophe Rizoud ; “In Memoriam” de Sylvain Fort et “Mozart le visiteur” d'André Tubeuf. Comment avez-vous sélectionné ces trois parutions qui semblent très différentes les unes des autres par leurs sujets et leurs auteurs?

J’avais le projet de proposer à un éditeur un recueil d’articles nécrologiques de Sylvain Fort. Depuis presque quinze ans, je le vois à l’œuvre. On lui apprend la nouvelle d’un chanteur qu’il aime et il se met à écrire. Le texte sort d’une traite, en une heure ou deux. Il n’y a jamais la moindre correction à apporter et dans la majorité des cas, je finis en larmes. J’avais donc réuni une dizaines d’articles. Mais tant que Sylvain était attaché au palais de l’Elysée, il était impensable qu’il publie. Nous l’avons donc gardé sous le coude et quand nous avons lancé la collection, le livre était déjà là. C’est Bertrand Dermoncourt qui nous a proposé le Mozart d’André Tubeuf. Il l’édite depuis des années chez Actes Sud et, sachant qu’André est un des maîtres à penser de Sylvain, il a voulu lui faire ce cadeau. Christophe Rizoud est le directeur de Forumopera depuis 2004. C’est l’un de nos plus proches collègues. L’associer au projet dès sa naissance nous est apparu comme une évidence. Il nous a offert ce délicieux recueil de mauvaise humeur pure, rappelant qu’il n’est pas de réelle monomanie sans une considérable dose de mauvaise foi.

On connaît la haute qualité de votre plume : serez-vous l’auteur d’une prochaine parution ?

Je n’aime pas l’idée de me publier. Mais je travaille à un projet d’entretiens avec le pianiste Pavel Kolesnikov. L’idée de départ est de tracer des parallèles entre la musique et les parfums. Pavel est un immense connaisseur de fragrances et sa réflexion sur la musique -sur l’art, en général- m’apparaît comme l’une des plus originales de notre temps. Il est très jeune, très secret. Ce n’est pas simple de le saisir. Il est comme un chat très précieux qui se faufile et qu’on n’attrape qu’au prix d’infinis subterfuges. L’idée, justement, de saisir la pensée d’un artiste insaisissable m’amuse beaucoup. Le livre ne paraîtra peut-être jamais, ce qui est encore plus marrant.

Quelles seront les prochaines étapes du développement de la collection ?

Des entretiens : de Philippe Jaroussky, William Christie, René Jacobs, Nikolaus Harnoncourt. Des villes, aussi. Vienne, vu par Dominique Meyer, le directeur français de la Staatsoper, qui connaît la place forte des Habsbourg comme sa poche. Jean-Guihen Queyras écrira sur Bach. Il y a les éditoriaux de Sylvain Fort publiés sur Forumopera et qui sont comme un collier de petites bombes à retardement. Nous allons aussi éditer les écrits de William Christie, ses interventions au Collège de France, à Harvard, à la Juilliard. Je viens de recevoir l’ensemble de ses écrits inédits. C’est une exploration passionnante.

Vous êtes également co-fondateur du site Forumopera, site incontournable du paysage musical qui célèbre cette année ses 20 ans. Quel regard portez-vous sur le parcours ce site ?

Celui d’un parent très déconcerté par l’évolution de son enfant. Forumopera est une grande chose très incontrôlable, peuplée de talents singuliers, de personnages hauts-en-couleur. Je ne suis pas certain d’être très en paix avec ses grandes polémiques historiques, mais la polémique est un élément constitutif de l’opéra, alors il faut vivre avec. Mais les chiffres et l’évolution du site -sa croissance numéraire et humaine- sont des motifs d’immense fierté.

Ne fallait-il pas être un peu rêveur pour lancer, au tournant des années 2000, à la grande époque des modems 56k et de leur lenteur protohistorique, un média pure player dédié à l’opéra et à la voix ?  

On s’ennuie beaucoup à la fin de l’adolescence. Internet était un domaine largement inexploré. Y passer du temps, c’était partir à l’aventure. On a fait ce qu’on avait envie de faire sans se poser de question.

Quand on regarde les acteurs présents dans le domaine de la presse musicale en ligne, on constate certes l’apparition de nouveaux venus, mais une grande stabilité. C’est à dire que les sites les plus âgés (même si 20 ans c’est fort jeune, en âge numérique cela semble une éternité) font toujours la course en tête de la notoriété. Quelle est la recette selon vous ?

Les sites qui ont vingt ans aujourd’hui sont nés dans le sillage immédiat de l’explosion de la bulle internet. Tous ceux qui avaient spéculé s’étaient cassé les dents. Restaient quelques irréductibles -des profils associatifs- qui ne se sont simplement pas posé la question du modèle économique avant de développer leur petit bidule. Ils ont réuni des amis et les sites ont grandi, lentement mais sûrement. Ce qui m’étonne c’est que Forumopera connaisse chaque année un taux de croissance à deux chiffres dans le lectorat. Voilà pourquoi ces pachydermes survivent et se développent encore. Leur tour viendra de disparaître, d’être bouffés par de nouveaux acteurs. C’est bien normal. En attendant, dansons, tant que ça nous est permis.

Le site des éditions Papiers Musiques : https://www.papiersmusique.fr/

Le site Forumopera : https://www.forumopera.com/

Crédits phorographiques : Stevie Rose

Props recueillis par Pierre-Jean Tribot

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