Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

À Radio France, la confirmation Antoine Tamestit dans Bartók, la révélation Félix Benati dans Debussy

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Ces derniers jours, pendant qu’une petite partie de l’Orchestre Philharmonique de Radio France jouait avec Nicolas Altstaedt, le gros des troupes répétait le programme de ce soir, avec leur directeur artistique Mikko Franck. Malheureusement, à peine plus d’une heure avant le début du concert, il a dû renoncer à diriger pour un problème de santé. Nous lui souhaitons vivement de se rétablir au plus vite.

C’est son jeune assistant Félix Benati qui l’a remplacé. Rarement l’expression « au pied levé » aura été si littérale... 

Il y avait deux parties distinctes, mais sans pause entre les deux : tout d'abord le Concerto pour alto de Béla Bartók, puis deux célèbres pièces orchestrales de Claude Debussy : le Prélude à L’après-midi d’un faune, et La Mer.

En 1945, Bartók meurt à New York, laissant inachevés deux concertos entrepris pendant son exil américain : son Troisième pour piano, et celui pour alto, commande du légendaire William Primrose. C’est alors Tibor Serly, ami du compositeur, qui est chargé de reconstituer les parties manquantes, et d’orchestrer ce qui ne l’avait pas été. Son travail a abouti, en 1949, à une version qui s’est imposée, tout en suscitant des controverses. En 1995, à la suite de travaux des altistes Atar Arad, Csaba Erdélyi et Donald Maurice, une autre version a été éditée, préparée par Nelson Dellamaggiore, sous la direction de Peter Bartók (fils cadet de Béla), avec le concours de l’altiste Paul Neubaer. C’est celle-ci qu’a choisie Antoine Tamestit pour ce concert.

Si certaines différences ne concernent que des détails, d’autres sont plus impactantes (suppression d’un trait de basson entre les deux premiers mouvements, ou de la trentaine de mesures que Serly avait ajoutées par exemple). 

Est-ce ce changement de chef de dernière minute qui l’a gêné ? Dès le début, après une première phrase épatante où, seul, avec aussi peu de notes, il exprime autant, Antoine Tamestit, qui jouait par cœur, a paru mal à l’aise. Et, en effet, il a eu un trou de mémoire. En regardant la partition du chef, il a réussi à se rattraper très rapidement. Félix Benati n’a pas semblé trop déstabilisé. Mais, de fait, pendant un bon moment, on a senti l’inconfort des musiciens. Et puis, servie par un impérial soliste, et un chef aux petits soins, la musique a fini par reprendre ses droits.

Images sonores mérite une meilleure visibilité

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Puisque, cette fois, je sais où je vais, plus exactement où se situe le Mom, son sous-sol à l’acoustique finalement surprenante, son bar d’après concert où l’on sert la Badjawe, une bière blonde dont le nom (« pipelette » en wallon) prédestine au partage et à la papote, je prends le temps de manger mon sandwich au square en haut de la rue, où je capte, sur un banc incliné comme un siège baquet, les derniers rayons de soleil de la journée.

A l’initiative de Centre Henri Pousseur, le Festival Images Sonores allie, chaque année depuis 1999 à Liège, instruments acoustiques et électronique – avec un soin particulier apporté à la diffusion dans l’espace.

Entre Steve Reich et Pierre Boulez : Patrick Lenfant

Le programme du premier des quatre jours met Patrick Lenfant en sandwich entre deux monstres sacrés de la musique du 20ème siècle (lui-même en a fréquenté quelques-uns, de John Cage à Iannis Xenakis, en passant par Tristan Murail ou Luigi Nono) – pour deux pièces aux esthétiques divergentes mais au procédé semblable (l’instrumentiste simultanément en direct et en différé) –, avec une pièce, fondatrice d’une démarche à laquelle (le terrible) Lenfant restera fidèle – une « autopsie » sonore éloquente de l’instrument. Duocto, écrit en 1981, m’initie à la musique du compositeur, né à Paris en 1945, ancien directeur artistique du Centre de Recherches Musicales de Wallonie (qui renforce alors l’orientation de ce qui devient bientôt le Centre Henri Pousseur vers la musique mixte), avec Rudy Mathey à la manœuvre (membre notamment de l’Ensemble Hopper), se jouant de la clarinette basse (pour surligner, attendrir, expanser, surpasser la proposition, serein dans le chaos organisé d’un monde sonore aussi complexe, fortuit et adapté que le vivant – intensément densifié par ses parties enregistrées de clarinette (sans effets électroniques) : sons fendus (obtenus en jouant entre deux harmoniques naturelles, qui roulent et granulent), bruits de clés, sons voisés (le musicien chante dans l’instrument) et sons crépusculaires (le second degré de l’écho) sont diffusés à travers un réseau de huit haut-parleurs qui cernent le public. Impressionnant.

A Genève, Jordi Savall collabore avec le Ballet Slovène de Maribor

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Durant cette saison 2024-2025, le Service Culturel Migros s’est investi dans une mission didactique qui a permis aux interprètes d’expliquer leur conception d’une œuvre en donnant des exemples musicaux avant d’en livrer l’exécution intégrale. Deux autres programmes ont eu pour but de mettre en valeur la danse en l’intégrant dans un programme de concert, ce qui concède à Jordi Savall dirigeant Le Concert des Nations de tenter l’expérience en collaborant avec le Ballet du Théâtre National Slovène de Maribor.

Sur la seconde partie de la scène du Victoria Hall, prend place Le Concert des Nations qui, sous la direction de son chef fondateur Jordi Savall, présente une Suite d’orchestre tirée du dernier ouvrage lyrique de Jean-Philippe Rameau, Les Boréades, datant de 1764. Dès l’Ouverture, se révèle une magistrale articulation des phrasés où les cors en forme de cornes se taillent la part du lion, avant de revêtir l’Entrée des Peuples d’une cérémonieuse grandeur que semble contredire la Contredanse en rondeau avec ce perpetuum mobile des cordes laissant échapper les bribes d’une joyeuse envolée. L’usage d’une machine à vent dramatise l’apparition des éléments en furie que tenteront d’apaiser les deux flûtes volubiles pimentant les deux Gavottes pour les Heures et pour les Zéphyrs. Les deux Menuets renouent avec le caractère solennel que le violon accapare pour dialoguer avec l’alto. Et la Contredanse très vive confère au Final une effervescence jubilatoire qui a un impact immédiat sur les spectateurs subjugués.

Nicolas Altstaedt emmène un excellent Philhar’ dans un exaltant voyage de Schumann à Haydn

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Nicolas Altstaedt est assurément l’un des musiciens actuels les plus complets, et à qui tout semble réussir. Violoncelliste, autant spécialiste de musique baroque qu’à l’aise dans la création contemporaine, il est recherché comme chambriste par les instrumentistes les plus enthousiasmants du moment, et invité comme soliste par les orchestres les plus prestigieux. Il commence aussi à l’être comme chef d'orchestre, activité dans laquelle il semble aussi doué et probant qu’avec son violoncelle. 

Pour ce concert, il était à la fois soliste et chef d’un Orchestre Philharmonique de Radio France en formation réduite, qui jouaient tous debout (à l’exception, naturellement, des violoncelles). Ils nous proposaient un programme tout à fait épatant.

Tout d'abord, le Concerto pour violoncelle de Robert Schumann. Nicolas Altstaedt en a réalisé un superbe enregistrement (étonnamment couplé avec les Variations Rococo de Piotr Ilitch Tchaïkovski, aussi virtuoses que Schumann l’est peu, et l’inclassable Concerto de Friedrich Gulda, dans lequel il y a à boire et à reboire, ce que notre violoncelliste franco-allemand accomplit avec une maestria consommée). C’était en 2009, et il était accompagné par un véritable orchestre symphonique (le Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz), sous la direction d’un chef chevronné (Alexander Joel).

Contexte très différent à Radio France, avec seulement dix violons (également répartis entre premiers et seconds, qui se faisaient face), quatre altos, trois violoncelles et trois contrebasses. Alors que, souvent, il faut un temps d’adaptation quand les effectifs ne sont pas ceux que nous avons l’habitude d’entendre, ici nous avons été immédiatement à l’aise. Avec cette texture aérée, et cet équilibre idéal, la lisibilité de toutes les parties, et en particulier des vents, est optimale.

Même dans les passages où il ne joue pas, et où il doit se retourner pour faire face à l’orchestre, plutôt que de réellement diriger, Nicolas Altstaedt donne des impulsions. La dimension chambriste, qui culmine dans le mouvement lent, est exceptionnelle. Les musiciens adaptent merveilleusement leurs nuances au soliste, et dans le finale, c’est plutôt le soliste qui s’insère dans l’orchestre. Sa vision d’ensemble, avec des transitions époustouflantes, est d’une cohérence qui dément magistralement la réputation de décousu qui est parfois celle de ce concerto. 

Du point de vue instrumental, la variété du jeu de Nicolas Altstaedt force l’admiration : vitesses d’archet, plus ou moins près du chevalet ou sur la touche, vibratos et plus généralement toutes les articulations de main gauche... Chaque note pourrait être commentée ! Il ne privilégie pas le beau son à tout prix, mais l’énergie, et surtout une certaine joie, bien loin de l’image d’un Schumann torturé que ce concerto, pour certains, reflète.

Sokolov, récital monegasque

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Grigory Sokolov prolonge une relation intense avec le public monégasque qui se presse à en grand nombre à l'Auditorium Rainier III pour se laisser enchanter par la musicalité débordante du pianiste. La salle est plongée dans le noir et la scène est dans la pénombre. 

Sokolov entre sur scène complètement introverti, immergé dans son art. Il fait oublier le temps et l'espace.

Avec un génie qui garantit toujours une perspective unique sur chaque œuvre à laquelle il se consacre, Sokolov se dédie à un seul programme chaque saison, projetant sa vision dans chaque pièce aussi profondément que possible. Tout est fignolé jusqu'au moindre détail.

Le public de Berlin, Barcelone, Budapest, Buenos-Aires, Helsinki, Paris, Salzbourg, Vienne et Zürich découvriront au même titre que Monte-Carlo le programme très contrasté de cette saison. Deux compositeurs séparés par près de trois cents ans : le compositeur de la Renaissance William Byrd et le romantique Johannes Brahms.

Byrd au piano...  Que Sokolov, maître des styles, remonte jusqu’à la Renaissance n’est qu’une preuve supplémentaire de sa maîtrise. Il explore la musique de Byrd depuis plus de 15 ans.

Tout comme pour Purcell qu'il a interprété il y a deux ans, il n'y a aucun problème à adapter Byrd à un instrument moderne. Au contraire, cela apporte quelque chose en plus à cette musique, qu'il recrée avec une touche de modernité.

Il imite, intentionnellement ou non, le clavecin. Le rythme exceptionnel de Sokolov, son articulation et son toucher exceptionnels sont tout simplement époustouflants. L'interprétation est convaincante, sans exagérer la dynamique. 

Mireia Tarragó et Victoria Guerrero : Lieder ou Cabaret songs ?

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Sous le titre générique « Lotte Lenya, de Vienne à Hollywood », ces deux jeunes artistes ont construit un captivant parcours sur l’évolution du « Lied » à la république de Weimar et à Vienne dans les années qui ont précédé la débâcle culturelle provoquée par le nazisme. Ce fut une période   d’expérimentation tous azimuts. Alban Berg écrivit, à ce propos, que les compositeurs « étaient assis sur un volcan en pré-éruption… ». En français, le terme Chanson de cabaret a une certaine connotation grivoise, évoquant de bons bourgeois allant s’encanailler dans des antres à la fréquentation douteuse... À Berlin ou à Vienne, dans les années trente du siècle passé, c’étaient plutôt des endroits favorisant la recherche artistique moins conventionnelle où peintres, écrivains ou créateurs de musique échangeaient sans façon des idées ou des œuvres avant-gardistes. Cela explique, en partie, pourquoi des compositeurs aussi « sérieux » ou académiques qu’Arnold Schönberg ou Erich Korngold y ont consacré une part non négligeable de leur production. Et la frontière entre le « Lied » ou mélodie érudite et la chanson populaire ou de cabaret s’en trouva complètement estompée. Lotte Lenya ne possédait pas une voix particulièrement séduisante pour nos critères actuels, mais son aura d’artiste et le charme absolu de ses performances en firent la muse indiscutable de Georg W. Pabst, de Bertolt Brecht (Les sept péchés capitaux et L’opéra de quat’sous furent écrits pour elle) ou de Kurt Weil, qu’elle épousa en 1926. À l’exception de la comtesse croate Dora Pejačević, disparue très jeune en 1923, tous les compositeurs de la soirée ont dû émigrer pour fuir les persécutions nazies et contribuèrent largement au développement de la musique vocale et orchestrale des films hollywoodiens. Le cas de Hanns Eisler, marxiste convaincu, est le plus paradoxal : émigré aux U.S.A. il y fut persécuté par le maccarthysme, pour se retrouver en Allemagne Orientale dans le viseur de la tristement célèbre Stasi. Bien sûr, tout rapprochement avec les faits se déroulant ces derniers mois aux States serait une pure coïncidence…

Triomphe de Julia Fischer avec l’ONL à Bozar

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Ce jeudi 24 avril 2025 a lieu le concert de l’Orchestre National de Lyon, invité par le Belgian National Orchestra. La phalange lyonnaise est placée sous la baguette de son directeur musical Nikolaj Szeps-Znaider. Nous retrouvons la violoniste allemande Julia Fischer en soliste. Au programme de cette soirée, deux œuvres phares du répertoire : le Deuxième Concerto pour violon en mi mineur, Op. 64 de Félix Mendelssohn et la Septième Symphonie en mi mineur WAB 107 d’Anton Bruckner.

Le Concerto n°2  pour violon en mi mineur de Mendelssohn est une pièce phare du répertoire violonistique. La soliste du soir est la violoniste allemande Julia Fischer.

Après deux mesures d’introduction, c’est déjà au tour de la soliste de rentrer en piste dans cet Allegro molto appassionato. Le début de l’exposition du thème se fait dans un piano intimiste mais très élégant. Le deuxième thème est amené avec beaucoup de délicatesse par les bois avant d’être rejoint par la soliste. Dans la cadence écrite, Julia Fischer fait preuve d’une virtuosité impressionnante de par son élégance et sa sobriété. Elle se met au service de la musique et non l’inverse. De belles intentions musicales et surtout de beaux contrastes font de cette cadence une grande réussite. La coda, brillante et puissante, s’achève sur une note tenue du basson qui lance l’Andante. Ce deuxième mouvement est interprété avec une grâce rêveuse et sentimentale. Les longs ondoiements qu’elle exécute sont tout simplement d’une grande élégance. Le dernier mouvement, Allegro molto vivace, est amené par l’Allegretto non troppo qui assure la transition entre cette partie lente et la partie rapide qui suit. Cette dernière partie laisse place à un dialogue plus serré et volubile entre l’orchestre et la soliste. Julia Fischer parachève ce mouvement avec une interprétation d’une excellence manifeste et indéniable.

Un air slave souffle sur les pays de la Loire par François Hudry

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Directeur musical désigné de l’Orchestre Symphonique de Prague à compter de la saison prochaine, le chef tchèque Tomáš Netopil était l’hôte de l’Orchestre National des Pays de la Loire pour trois concerts donnés à Nantes et à Angers. Sous sa baguette frémissante, précise et dynamique, la soirée angevine a débuté sur les chapeaux de roue dans un train d’enfer avec l’Ouverture de la Fiancée Vendue de Bedřich Smetana. Rien de tel pour jauger de la cohésion, de la précision et de la virtuosité d’un orchestre, un défi remarquablement tenu par un ONPL apparemment subjugué par son chef invité. Traditionnelle entrée en matière dans les programmes d’autrefois et malheureusement abandonnée de nos jours, une ouverture de concert est pourtant particulièrement bienvenue pour mettre en condition l’orchestre autant que le public. C’est tout un pan essentiel du répertoire symphonique qui est ainsi abandonné, les ouvertures de Beethoven, Weber, Mendelssohn, Brahms ou Rossini étant désormais reléguées dans l’oubli.

Le concert se poursuivait par la très rare et flamboyante Fantaisie pour violon et orchestre de Joseph Suk. Élève, puis gendre d’Antonin Dvořák et grand-père du grand violoniste portant le même nom et le même prénom, Josef Suk, fut reconnu dans sa patrie comme un compositeur ouvrant la voie à l’école moderne tchèque qui verra fleurir Janáček et  Martinů. Konzertmeister de la prestigieuse Philharmonie Tchèque, pilote d’avion et sourire ravageur, le jeune violoniste Jan Mráček est un des solistes les plus en vue de la République Tchèque. Son interprétation très engagée, à la fois romantique et virtuose, n’est jamais écrasée par la puissante orchestration de la partition. Son jeu est précis, sa sonorité puissante et son intonation parfaite. Visiblement surpris et ému par l’accueil chaleureux du public qui découvrait une oeuvre quasi inconnue en France, Jan Mráček lui offrit un bis de Paganini ébouriffant et semé d’embûches enchantant l’auditoire comme les musiciens de l’orchestre qui lui envoyèrent de vigoureux bravos.

Festival de Pâques de Deauville : la musique de chambre en partage

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Du 12 au 26 avril se tient la 29e édition du Festival de Pâques de Deauville. Consacré à la musique de chambre, le festival a la particularité de se dérouler dans la Salle Élie de Brignac-Arqana, une salle de vente de pur-sang. Pour son deuxième week-end, des œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach à Fauré sont au programme, avec une forte présence de musique germanique.

En 1997, autour de Renaud Capuçon, de jeunes musiciens — dont Nicholas Angelich — se réunissent pour explorer un vaste répertoire de musique de chambre. Cinq générations de musiciens et d’ensembles se sont succédé depuis. Le festival est devenu une pépinière de talents qui rayonnent aujourd’hui à l’international.

Le pianoforte prend la parole

Parmi eux, Justin Taylor. C’est ici qu’il a touché pour la première fois au pianoforte, un instrument viennois Baumbach resté dans son jus, dont la caisse évoque encore celle d’un clavecin. C’est sur ce même instrument, préparé par Olivier Fadini, qu’il donne ce soir un concert avec l’Ensemble Sarbacanes, ensemble de vents explorant principalement le répertoire du XVIIIe siècle (Gabriel Pidoux, hautbois ; Roberta Cristini, clarinette ; Alejandro Pérez Marín, basson ; Alessandro Orlando, cor). Au programme : Mozart (Fantaisie en ré mineur K. 385g ; Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur K. 452), CPE Bach (Variations sur les Folies d’Espagne H. 263) et Beethoven (Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur op. 16). Le jeu de Justin Taylor est d’une grande flexibilité, notamment dans le traitement du tempo — la fluctuation de celui-ci dans la Fantaisie de Mozart est surprenante, voire légèrement déstabilisante — comme si la musique naissait à chaque instant d’une improvisation. Les lumières de la salle, conçues pour valoriser le corps des chevaux, ne semblent pas s’adapter à l’instrument délicat, qui se dérègle facilement. On sent les efforts des musiciens pour s’y ajuster. Dans les quintettes de Mozart et Beethoven, les vents résonnent avec des timbres plus crus et bruts que ceux des instruments modernes, conférant à la musique un charme singulier. Certains phrasés sont soulignés avec évidence, d’autres passent d’un air de rien, mais le plaisir de jouer et d’écouter demeure constant — et c’est bien là l’essentiel, tant pour les musiciens que pour le public !

 A Genève, un concert OSR marqué par un deuil   par Paul-André Demierre  

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Un orchestre vit parfois de douloureux moments. Tel est le cas de l’Orchestre de la Suisse Romande qui, le dimanche 14 avril, a été confronté à la disparition de l’une des violoncellistes, Caroline Siméand Morel, victime d’une rupture d’anévrisme cérébral à l’âge de 48 ans, laissant derrière elle un époux, Olivier Morel, lui aussi violoncelliste de l’OSR, et une fille de 11 ans. Et c’est à sa mémoire que sont dédiés les concerts des mercredi et jeudi 16 et 17 avril qui sont placés sous la direction de la cheffe hongkongaise Elim Chan, première femme à avoir remporté la Donatella Flick Conducting Competition en 2014.

Dans une ambiance chargée d’une lourde émotion, le programme commence par une page de la compositrice américaine Elizabeth Ogonek, actuellement professeur de composition à la Eastman School of Music de Rochester, All These Lighted Things. Cette suite de trois danses a été créée en 2018 par Riccardo Muti et le Chicago Symphony Orchestra. La première, Exuberant, Playful, Bright, baigne dans une atmosphère empreinte de mystère par les cordes soutenant le dialogue des bois et cuivres ponctué par une percussion brillante, avant de reprendre la primauté dans Gently, Drifting, Hazy éthéré se développant en éventail de sons étranges. Sur un pizzicato des cordes graves, Buoyant a la véhémence d’un fugato débridé que finit par dominer le péremptoire choral des vents.

Intervient ensuite Renaud Capuçon que l’on entend régulièrement ici mais qui se fait l’interprète d’une œuvre rare, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur op.8 écrit par un Richard Strauss qui avait 17 ans en 1881 et qui tint la partie de piano lors de la création du 5 décembre 1882 en la Salle Bösendorfer de Vienne, alors que Benno Walter, son cousin et son professeur de violon, en assumait la partie soliste.  La création de la version orchestrale n’aura lieu qu’en 1890 à Leipzig sous l’archet d’Alfred Krasselt. De cet ouvrage dont le compositeur se désintéressera rapidement, Renaud Capuçon se fait le défenseur en répondant au pathétique de l’introduction par un cantabile nuancé auquel il sait donner ampleur en faisant sourdre une généreuse émotion qui se pare d’inflexions lancinantes dans le dialogue avec cor que produit le Lento.  Le Final sacrifie à la virtuosité brillante par des traits en cascades que le soliste inscrit dans un lyrisme généreux bannissant l’effet factice. En bis, manifestement bouleversé par le douloureux moment, Renaud Capuçon développe avec une sobriété extrême une page peu connue de Richard Strauss, la Daphne-Etude en sol majeur inspirée d’u motif de l’opéra Daphne.