Emmanuel Pahud varie les partenaires de talent dans Beethoven

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour violon et piano N° 8 (arr. Emmanuel Pahud pour flûte et piano) ; Sérénade pour flûte, violon et alto, Op. 25 ; Allegro et Menuet pour deux flûtes, WoO 26 ; Trio Concertant pour piano, flûte et basson. Emmanuel Pahud, flûte – Daniel Barenboïm, piano – Daishin Kashimoto, violon – Amihai Grosz, alto – Silvia Careddu, flûte – Sophie Dervaux, basson. 2020. 77’34. Livret en anglais, en français et en allemand. 1 CD Warner 0190295139742.

Il ne s’agit pas à proprement d’une intégrale des œuvres avec flûte de Beethoven, car il y manque les deux séries de Thèmes & Variations « pour le pianoforte avec accompagnement d’une flûte ou d’un violon ad libitum » de 1818 (6 pièces dans l’Opus 105, et 10 dans l’Opus 107), qui, à vrai dire, relèvent davantage de l’arrangement d’airs traditionnels (d'Écosse pour la plupart) que de l’acte créateur. Et puis, pour être exhaustif, il faudrait mentionner un Trio pour trois flûtes en sol majeur, et une Sonate pour flûte et piano, en si bémol majeur, qui figurent dans certaines intégrales (et qu’Emmanuel Pahud a d'ailleurs enregistrée dans le cadre d’un album dédiée à « La flûte romantique »), mais dont l’authenticité est douteuse ; et de fait, le génie de Beethoven ne s’y perçoit guère... L’on pourrait donc dire qu’il y a dans cet album toutes les œuvres réellement, et expressément composées pour la flûte par Beethoven. À noter que les pièces ici enregistrées datent toutes de sa « première manière » : le Trio Concertant de 1786, l’Allegro et Menuet de 1792, et la Sérénade de 1801. 

Emmanuel Pahud a choisi d’étoffer ce programme avec une œuvre qui n’était pas écrite pour la flûte, mais qu’il a transcrite, et qui date de 1802, soit le tout début de la « deuxième manière » de Beethoven, celle où, après l’aveu de sa surdité, il cherche, selon ses propres mots, une « nouvelle voie ». Il s’agit de la Sonate pour violon et piano N° 8, en sol majeur. Des dix sonates pour cette formation, elle est sans doute celle qui se prête le mieux à une transcription pour flûte, avec son premier mouvement virevoltant et bondissant, son second expressif et un rien charmeur, et son finale brillant et joyeux. Et, de fait, l’écoute de cet arrangement est plutôt plaisante. Il consiste, d’une part, en de très rares changements rendus nécessaires par des différences de techniques de jeu entre le violon et la flûte : articulations, trémolos joués en bariolages, et doubles cordes jouées en notes simples. Et d’autre part, rendus tout aussi nécessaires mais pour des questions de différence de tessiture (le violon possède quelques notes graves que n’a pas la flûte), en passages joués une octave plus haut. Ils sont assez peu nombreux, et s’il peut arriver qu’on y perde un petit effet qui ne prête guère à conséquences, le plus souvent cela fonctionne très bien. Il y a tout de même une exception, d’une certaine importance : le thème principal du Tempo di Menuetto (le mouvement médian, le plus long des trois, qui malgré son titre fait office de mouvement lent), dont une partie seulement est octaviée, de sorte qu’il est resserré sur l’ambitus d’une sixte ou lieu d’une neuvième dans l’original. Emmanuel Pahud, éminent musicien, a dû considérer que jouer tout le thème une octave au-dessus lui donnerait une couleur trop claire, trop brillante. Son choix permet à cette longue mélodie de rester dans une tessiture plutôt grave ; mais ainsi elle perd son amplitude. 

Le flûtiste est ici impressionnant, et se montre aussi convaincant que les meilleurs violonistes. Il faut dire qu’avec la puissance sonore dont il peut faire preuve, et sa capacité, extrêmement rare, de varier autant son vibrato, on a l’impression qu’il peut tout faire. Et avec Emmanuel Pahud, il se passe toujours quelque chose ; chaque note nous donne l’occasion de nous régaler d’une inflexion, d’une nuance, d’une articulation, d’une attaque... C’est plein de vie, avec toujours un caractère d’évidence que n’a pas absolument partout Daniel Barenboïm ; lui aussi a toujours quelque chose à dire, mais il le fait de manière parfois moins spontanée. Il est aussi un peu moins précis que dans son enregistrement de la version originale réalisé il y a presque un demi-siècle avec Pinchas Zukerman. La complicité entre les jeunes musiciens y était un régal que l’on ne retrouve pas à ce point ici. Mais ce sont là de minimes réserves.

Suit la Sérénade pour flûte, violon et alto Op. 25 qu'Emmanuel Pahud avait déjà enregistrée, il y a une trentaine d’années, mais dans la version pour flûte et piano, réalisée quelques années plus tard par un auteur anonyme, approuvée par Beethoven et publiée comme Op. 41. Cette fois c’est donc le flûtiste que l’on peut comparer avec lui-même, également dans une instrumentation différente. Certes, l’on peut préférer la version avec cordes, qui évoque plus facilement la musique de plein air qu’est une sérénade. Mais le timbre d’Emmanuel Pahud se mariait tellement bien avec le piano d’Éric Le Sage, et ils se répondaient avec tant d’entrain, que nous ne pouvions qu’être conquis. Avec ses collègues solistes au Philharmonique de Berlin, Daishin Kashimoto au violon et Amihai Grosz à l’alto, il est légèrement moins incisif, et c’est heureux car la fusion avec le velouté des cordes n’opérerait pas aussi bien qu’elle le fait ici. Cette fois, nous nous imaginons bien en plein air, et notre trio, plein de verve, exprime toute une gamme de sentiments, toujours avec une justesse et un naturel irrésistibles.

Silvia Careddu a été l’élève d’Emmanuel Pahud, et après avoir occupé des postes de plus en plus prestigieux au sein de formations symphoniques (le dernier en date : flûte solo au Philharmonique de Vienne, excusez du peu !), elle fait maintenant une carrière indépendante. Ensemble, ils donnent de l’Allegro et Menuet pour deux flûtes, qui n’est assurément pas du plus grand Beethoven, la lecture la plus réussie que l’on peut imaginer, trouvant même des couleurs qu’il fallait pourtant aller chercher...

Emmanuel Pahud avait déjà enregistré une version idéale du Trio Concertant pour piano, flûte et basson, il y a quelques années, avec à nouveau Éric Le Sage au piano, et Gilbert Audin au basson, dans un album des Vents Français consacré à Beethoven. Ici, il retrouve Daniel Barenboïm ; et Sophie Dervaux, qu’il a côtoyée comme contrebassoniste au Philharmonique de Berlin, avant qu’elle n’obtienne la place de basson solo au Philharmonique de Vienne, vient apporter le grain de la sonorité douce et soyeuse de son instrument. Cette interprétation est moins brillante, plus posée, plus poétique que celle des Vents Français. Daniel Barenboïm, légèrement en retrait, déploie magistralement ses idées musicales, même si l’on peut parfois le trouver un rien maniéré, et Sophie Dervaux nous enchante par sa fluidité. Tout comme Emmanuel Pahud, elle est confondante d’aisance et de sens musical. Elle paraît même par moments plus spontanée que lui.

Un album réjouissant, qui varie les formations puisque la flûte joue en compagnie, successivement, d’un piano, puis d’un violon et d’un alto, puis d’une autre flûte, et enfin d’un piano et d’un basson. Et quelle flûte ! Celle d’Emmanuel Pahud est décidément celle d’un immense musicien. Et il est ici superbement entouré.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Pierre Carrive

 

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