François-Xavier Roth, Saint-Saëns et l'Atelier lyrique de Tourcoing 

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Le chef d’orchestre François-Xavier Roth est le récipiendaire d’un International Classical Music Awards 2021 pour son enregistrement de l’opéra de Camille Saint-Saëns, le Timbre d’argent. Alors que nous célébrons le Centenaire du décès du compositeur, Crescendo-Magazine s’entretient avec le chef d’orchestre sur l’art de ce musicien et les particularités de cet opéra de jeunesse. Nous abordons également son ambition pour l’Atelier lyrique de Tourcoing dont il est le directeur artistique. 

Quelle est pour vous la place de Saint-Saëns dans l’histoire de la musique et de la musique française en particulier ? 

Quand on évoque la figure de Saint-Saëns, c’est quelque chose de singulier dans sa personnalité, son œuvre et dans sa trajectoire. Il est un cas particulier dans l’histoire de la musique française et dans l’histoire du romantisme musical. On pourrait dire qu’il a eu le mauvais goût de vivre trop longtemps. On sait bien que les héros de la composition adulés du public, comme Mozart ou Schubert, ont eu des vies meurtries ou des destins trop courts. Ces aspects composent une sorte de légende avec une œuvre ramassée. Saint-Saëns, c’est l’inverse ! On peut le comparer à Richard Strauss, avec cette traversée des époques ! Dans sa vie, Saint-Saëns a incarné plusieurs compositeurs. Il fut tout d’abord un jeune prodige du piano qui s’empare de toutes les formes musicales dans une sorte de boulimie foisonnante, mais on peut également retenir le compositeur un peu académique qu’il était à la fin de sa vie ou vu comme tel, entrant dans un siècle qui musicalement lui échappait. On peut le rapprocher d’un autre compositeur français : Gossec. Autre musicien avec une vie et une carrière très longue qui lui permet de visiter des époques et des styles différents. Dès lors, c’est un compositeur polymorphe et il est délicat et difficile de le catégoriser sans prendre en compte toutes ses facettes. 

Qu’est-ce qui vous séduit chez Saint Saëns ? 

Je retiens en premier lieu l’inventeur musical quand il écrit la musique merveilleuse des poèmes symphoniques où l’invention musicale et orchestrale est foisonnante et étonnante, avec des emprunts à Wagner et Liszt tout en annonçant Dukas, Debussy ou même Dutilleux. C’est un innovateur à travers ce domaine alors aussi novateur que l’était le poème symphonique On peut aussi retenir l’immense compositeur pour l’art lyrique ! Bien évidemment, on connaît Samson et Dalila, mais il y a de nombreux autres ouvrages de très grande qualité : le Timbre d’argent, mais aussi Ascanio ou la Princesse Jaune. Ce sont des ouvrages qui devraient absolument être à l'affiche plus souvent ! De plus, il ne faut pas oublier son foisonnement créatif dans des genres à la mode comme la musique de chambre, il a composé de nombreuses pièces magistrales dans ses partitions de genre pour instrument avec orchestre à l’image de la Tarentelle en la mineur  pour flûte, clarinette et orchestre ou de l’Odelette en ré majeur pour flûte et orchestre. Une dernière chose qui me touche beaucoup, c’est sa redécouverte de la musique de Rameau, compositeur qu’il aimait particulièrement et à la reconnaissance duquel il a travaillé. 

On a l’image d’un Saint Saëns académique et conservateur, pourtant il a signé la première musique de film de l’Histoire : l’Assassinat du Duc de Guise. N’est-ce pas un peu contradictoire ? 

Je pense que ce n’est pas un hasard et on peut se référer au Carnaval des animaux qui est une œuvre également inclassable ! C’est une sorte de Pierre Desproges de la musique classique, avec de la provocation et de l’humour. Je pense que c’est la même chose avec l’Assassinat du Duc de Guise, il a pu se retrouver dans cette aventure musicale, comme s’il était un moderne malgré lui. 

Revenons au Timbre d’argent, qui est une partition passionnante. Comment avez-vous redécouvert cette œuvre ? 

J’étais en dialogue avec le Palazzetto Bru Zane. A la base, je pensais diriger Ascanio, une partition qui m’intéressait au plus haut point. En discutant, mon attention a été attirée sur ce Timbre d’argent. A la lecture de la partition, j’ai immédiatement été séduit et elle correspondait alors parfaitement au projet scénique que nous envisagions 

Qu’est ce qui fait la singularité de cette partition dans l'œuvre de Saint-Saëns ? 

C’est le début de son aventure lyrique et c’est la réalisation d’un compositeur qui veut se frotter au genre de l’opéra. Nous avons un grand choeur mixte, un orchestre à l’effectif imposant et des musiques de scène. Le Timbre d'argent est un grand opéra d’un jeune compositeur qui souhaite donner à entendre et à voir quelque chose de nouveau. J’ai d’emblée aimé cette brillante manière de faire de l’opéra. L’ouverture est déjà une symphonie en soi ! Le traitement du chœur et des solistes est également formidable. Saint-Saëns s’intéresse à plein de musiques différentes et il additionne des références : l’exotisme, les musiques italiennes, espagnoles ou même tirées du folklore français. Lors de la création, on lui reprochait cette diversité des musiques et un manque d’unité. Mais c’est l'œuvre d’un compositeur en démonstration. Le livret est également de très haut niveau avec un fond irréel pas si éloigné de celui des Contes d’Hoffmann. L’idée était alors de faire voyager le public vers d’autres cultures ou d’autres imaginaires. 

Voyageons vers Tourcoing ou les Siècles sont l’un des axes structurants de l'évolution de cette institution et dont vous assurez la Direction artistique. Quelles sont vos ambitions pour Tourcoing ?

Quand on m’a proposé de prendre la direction artistique de l’Atelier lyrique de Tourcoing, je voulais absolument m’inscrire dans l’énergie et le dynamisme de son créateur Jean-Claude Malgoire. L’Atelier lyrique est le fruit des années 1980 avec cette volonté de développer la culture dans un territoire de France situé dans une région en reconversion où la musique classique était plutôt absente et son cahier des charges est exceptionnel. Il y a ici une énergie autour de la Culture qui sort de l'ordinaire et qui permet de transcender les difficultés. Nous nous inscrivons dans le chemin que le visionnaire Jean-Claude Malgoire avait amorcé avec une effervescence de tous les instants pour faire redécouvrir toutes les musiques en les relisant avec la plus haute expertise. Aux côtés de mon orchestre Les Siècles, il y la présence structurante de l’orchestre Les Ambassadeurs-La Grande Écurie. Alexis Kossenko qui dirige cette formation est issu de l’orchestre de Jean-Claude Malgoire et j’aime voir cette continuité. Nous ambitionnons également de fédérer et de programmer les musiciens indépendants qui font la richesse de la scène musicale française. 

Vous avez aussi initié la résidence Tremplin Jean-Claude Malgoire destinées aux jeunes ensembles. En quoi cet axe vers les jeunes artistes est-il important pour le projet artistique ? 

Nous souhaitions associer le nom de Jean-Claude Malgoire à des initiatives dynamiques au bénéfice des jeunes artistes. Dès lors, cette idée de tremplin nous apparut comme correspondant à cette ambition car il était très attaché à accompagner les talents émergents. Tous les ans, nous analysons des projets soumis avec les jeunes ensembles et nous les programmons. Dans cette période post-covid, où l’enjeu envers la jeune génération est encore plus fort, il est stratégique d’aider et de soutenir les jeunes. Il ne s’agit pas seulement de les mettre à l’affiche mais également de les accompagner dans les nombreux aspects professionnels d’un début de carrière. 

La médiation et l’ouverture à tous les publics est également un axe de votre projet. Comment cela se manifeste-t-il ? 

Nous développons les actions sociales et un travail de médiation en lien avec des partenaires locaux qu’ils soient sociaux ou également socio-médicaux. Ainsi pendant les confinements, nous avons donné des heures et des heures d’actions musicales vers tous les publics. Un autre aspect qui m'est cher est le développement des recherches sur les bienfaits de la musique sur le cerveau, de la petite enfance aux troubles liés à la maladie d’Alzheimer. Nous collaborons avec des institutions médicales lilloises mais ce projet est également un moyen de faire un lien avec mon autre mandat auprès de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne car à Bonn, il y a un très important centre de recherches sur le cerveau. 

Tourcoing est une ville du nord de la France, mais elle est au carrefour des communications. Est-ce que vous allez développer un réseau avec les pays frontaliers ? 

Tout à fait ! Pour les productions lyriques, nous sommes en train de créer un réseau de coproduction qui va associer l’Opéra de Cologne, le Théâtre des Champs Elysées mais aussi des structures belges ou autrichiennes ! 

Le site de François-Xavier Roth : https://fxroth.com

Le site de l'Atelier lyrique de Tourcoing : https://www.atelierlyriquedetourcoing.fr

  • Au concert 

François-Xavier Roth sera au coeur du week-end de rentrée de l’Atelier lyrique : le vendredi 24. Le chef d'orchestre  dirigera les Siècles pour un concert Mozart / Mahler avec, en soliste, la formidable Sabine Devieilhe.  www.atelier lyrique de tourcoing.fr

Notons que François-Xavier Roth, Sabine Devieilhe et Les Siècles franchissent le Quiévrain pour un concert au Singel d’Anvers (23 septembre) pour interpréter Mozart et Beethoven. https://desingel.be/fr

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot / Crescendo-Magazine 

Crédits photographiques : Holger Talinski

 

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