Hommage au chef d'orchestre Michael Gielen

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Le chef d’orchestre Michael Gielen est décédé à l’âge de 91 ans, Crescendo Magazine revient sur le parcours de ce chef d’orchestre et compositeur qui aura marqué son temps par la rigueur de son art et de son engagement dans la défense de toutes les modernités. Michael Gielen fut également, entre 1969 et 1973, directeur de l’Orchestre national de Belgique, mandat sur lequel nous revenons dans le cadre de cet hommage.

  • Premiers succès   

Michael Gielen voit le jour à Dresde en 1927. Il baigne dans le monde des arts dès son enfance avec un père metteur en scène et sa mère une actrice qui avait cessé sa carrière pour s’occuper de sa famille mais qui avait participé à la création à Dresde du Pierrot lunaire de Schöenberg. Son père Josef Gielen est réputé et collabore avec de grandes maisons d’opéras et de théâtre. Prise dans le tourbillon de la tragédie nazie, la famille s’exile, en 1940, en Argentine. Invité à mettre en scène au Teatro Colón, il peut obtenir des papiers d’immigration pour sa famille. De nombreux artistes allemands comme son oncle le pianiste Eduard Steuermann et les chefs Fritz Busch et Erich Kleiber se sont alors réfugiés en Argentine permettant au jeune homme d’évoluer dans un milieu intellectuel stimulant. Michael Gielen fait ses premières armes de musicien professionnel au Teatro Colón comme pianiste répétiteur. Il accompagne même les récitatifs d’une Passion selon Saint-Matthieu de Bach dirigée par Wilhelm Fürtwangler ! Mais déjà défenseur de la modernité : il donne, en 1949, la première en Argentine des oeuvres pour piano d’Arnold Schöenberg. Gielen commence également à composer, fortement influencé par le style de la Seconde école de Vienne, esthétique à laquelle il restera fidèle.

Au début des années 1950, il se réinstalle en Europe suivant son père à Vienne où ce dernier dirige le prestigieux Burgtheater tout en mettant en scène au Festival de Salzbourg. Gielen travaille alors au Staatsoper de Vienne et se bâtit un métier en étant répétiteur et chef d’orchestre tout en assistant les grands noms de l’époque qui passent par la fosse viennoise : Herbert von Karajan, Karl Böhm ou Clemens Krauss. En 1960, Gielen décroche un premier poste de directorat à l’opéra de Stockholm ! Si la fonction n’est pas la plus convoitée du milieu musical, elle permet au chef d’imposer sa marque et de frapper les esprits par des collaborations osées comme ce Rake’s Progress de Stravinsky mis en scène par Ingmar Bergman. Le propos du metteur en scène qui voyait l’oeuvre comme une passion chrétienne choqua le compositeur qui s’était déplacé à la Première !

Libéré de son mandat suédois, Michael Gielen dirige en Allemagne et aux Pays-Bas, il donne à Cologne (en 1965) la création mondiale des Soldaten de Zimmermann, alors réputés injouables. On le retrouve à Kiel où il offre la première de Ein Traumspiel, premier opéra d’Aribert Reimann et à Francfort pour enregistrer, en 1968, le Requiem de Ligeti dont il avait donné la première mondiale en Suède (Wergo). En 1969, il est à Düsseldorf pour la création du Requiem für einen jungen Dichter de Zimmermann, avec les forces chorales et instrumentales de la radio de Cologne.   

  • Gielen à Bruxelles

Le nom du chef commence à circuler chez les décideurs pour sa compétence et son audace. En 1969, il est désigné, à la surprise générale, directeur musical de l’Orchestre national de Belgique. Pour l’ONB et son public, c’est une révolution ! L’orchestre sort de la période André Cluytens décédé prématurément et dont le brillant mandat avait été centré sur le grand répertoire et la musique française. L’accession de Gielen au poste de chef est simultanée avec l’arrivée d’Hervé Thys à la fonction de Directeur des programmes de la Société Philharmonique de Bruxelles. Ensemble, ils entendent faire des concerts des références en matière de modernité. Gielen, plein d’enthousiasme, s’exécute multipliant les audaces et en tournant sa programmation vers la défense des avant-gardes. C’était un défi majeur pour l’Orchestre National de Belgique qui n’avait que très rarement abordé la musique contemporaine la plus radicale (un concert avec Pierre Boulez en 1968 avait même tourné au désastre : Boulez considérant l’ONB comme “le plus mauvais orchestre du monde”). Dès sa première saison, Gielen soumet à rude épreuve la sensibilité d’un public plutôt conservateur. Tous les contrastes étaient permis entre le passé et le présent dans une optique où toutes les frontières devaient exploser : la musique contemporaine ne devait plus être une niche mais elle devenait une partie de la programmation des concerts traditionnels : les compositeurs classiques, chéris du public, se retrouvaient réduits à portion congrue. Berg, Schöenberg, Ravel et Debussy devenaient les classiques et Berio, Bartholomée, Pousseur, Boesmans, Bussotti, Globokar, firent leur entrée au répertoire de l’ONB. Gielen entendait défricher des pans entiers de la modernité à l’image d’un concert intégralement dédié au compositeur américain Charles Ives, une figure alors parfaitement inconnue en Europe ! Le public manifeste son mécontentement lors des concerts se mettant même à hurler sa désapprobation, les musiciens reprochent au chef la désaffection du public alors que les commentateurs lui trouvaient un style trop rigoureux et rigide. Gielen donna sa démission en 1973. Pourtant, en termes de notoriété, cette période fut marquée par des concerts à travers l’Europe et par une belle tournée aux USA. Au terme de cette tournée, Gielen commenta : « après cette expérience, je n’hésite pas à dire que, chez nous, l’ONB a tendance à être sous-estimé. » De cette période, il ne reste que des enregistrements d’oeuvres d’André Laporte et de Pierre Bartholomée.

  • Succès et accomplissements

En 1977, Gielen pose ses valises à Francfort où il assure la direction de l’opéra et des concerts symphoniques. Dans cette capitale économique et intellectuelle, le chef marque les esprits par la qualité de sa programmation et de ses collaborations avec des jeunes metteurs en scène comme Hans Neuenfels ou Ruth Berghaus, le Regietheater avant l’heure ! Il redécouvre même les Gezeichneten de Franz Schreker, opéra alors tombé dans l’oubli. Le public et la critique jubilent ! C’est avec ses forces de la Hesse que le chef donna à La Monnaie, en 1983, la création belge des Soldaten de Zimmermann. Il assure également le très symbolique concert de réouverture de l’ancien opéra de Francfort (1981) avec la Symphonie n°8 de Mahler (dont il reste un enregistrement Sony). Le mandat de Gielen est même qualifié d’ère Gielen quand le maestro quitte son poste en 1987. Entretemps, le chef se sera permis un petit passage à Londres comme chef invité principal du BBC Symphony Orchestra mais aussi il signa pour six années à la tête du Cincinnati Symphony Orchestra de 1980 à 1986. Quelques enregistrements pour le label Vox dont une magistrale Symphonie n°3 de Beethoven donnent une idée de la réussite artistique de ce mandat. Mais inflexible sur ses principes, le chef défendit des contemporains dont Witold Lutoslawski et Elliott Carter.

En 1986, Gielen est nommé directeur musical du Sinfonieorchester des Südwestrundfunks de Baden-Baden et Freiburg, dans le sud-ouest de l’Allemagne. Au pupitre de cet orchestre, Gielen va connaître un accomplissement musical digne des plus grands tandems artistiques. Il faut dire que la phalange allemande a tout pour satisfaire les exigences du maestro : elle est rompue à tous les styles et elle est une fidèle accompagnatrice des modernités par sa résidence annuelle au festival de Donaueschingen, temple de l’avant-garde la plus radicale. De plus une institution de radio est la seule qui puisse lui permettre de monter les programmes plus audacieux sans trop se préoccuper de la rentabilité, car en plus de diriger fréquemment le grand répertoire allemand, Gielen est un explorateur hors normes et sans oeillères, programmant : Morton Feldman, Carl Ruggles, Charles Ives, Colin McPhee, Edgar Varèse, Ferruccio Busoni, Max Reger, Franz Schreker, Paul Hindemith, Goffredo Petrassi et même Giacomo Puccini...Fort heureusement, la radio allemande enregistre ses concerts et le label SWR nous permet désormais d’apprécier l’art de ce chef : un style assez analytique mais sans froideur, concentré sur la logique architecturale des oeuvres et le respect du texte musical. A ce titre, l’intégrale Mahler, issues de bandes radios, est une référence incontournable dans notre compréhension de l’art du compositeur. Avec cet orchestre, Gielen tourna régulièrement à travers l’Europe, marquant plusieurs festivals par la qualité de ses concerts dont le festival de Salzbourg 1995 avec une exécution de l’hallucinant Requiem für einen jungen Dichter (Sony, à rééditer) de Zimmermann alors que la salle Henry Leboeuf de Palais des Beaux-Arts se remémore un magistral Chant de la Terre de Mahler.

Gielen était également proche de la Staatskapelle de Berlin et du Berliner Sinfonie-Orchester, et fut assez régulièrement invité du Chicago Symphony Orchestra. En 2014, il avait quitté les podiums pour raison de santé.  

Chef d’orchestre qui compose, ami et voisin de Pierre Boulez, les oeuvres de Michael Gielen restent peu connues bien qu’assez vastes par les nomenclatures instrumentales choisies. Pour se faire une idée de son art, il faut se mettre en quête d’un album du LaSalle Quartet avec son quatuor intitulé  Un vieux souvenir (DGG).

Crédits photographiques : Patrik Müller

Pierre-Jean Tribot

 

  

 

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