Le Mozart de Marc Minkowski

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Pour la seconde fois depuis mai 2009, Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre sont les invités du Service Culturel Migros de Genève. En entrant sur la scène du Victoria Hall, le chef prend la parole pour présenter son programme et s’émeut en évoquant le souvenir de sa grand-mère qui avait fait ses classes de chant au Conservatoire de la Place Neuve, et en la rapprochant de notre ténor veveysan adulé, Hugues Cuenod, l’un de ses grands amis, qui avait été un interprète notoire de la musique religieuse de Mozart.

Nous est proposé d’abord le K.592, l’Ode à Sainte Cécile de Haendel, réorchestrée en 1790 par l’auteur de Don Giovanni, en répondant ainsi à une commande du baron Gottfried van Swieten qui lui avait enjoint de remettre au goût du jour Acis and Galatea, le Messie et Alexander’s Feast. En quoi consiste ce travail de ré-instrumentation ? Pour remplacer les parties d’orgue et de trompette suraiguë (appelée clarino), le musicien recourt aux clarinettes, flûtes et cors, auxquels Marc Minkowski adjoint un luth et un glass harmonica, cette harmonie de verre qui donnera un tour si mystérieux à l’aria de soprano « Doch o ! Wer preiset ganz ». Notons aussi que le texte anglais de John Dryden avait été traduit en allemand pour ce remaniement. Pensant aux pratiques d’exécution de la fin du XVIIIe, le chef recourt à une formation réduite d’une vingtaine de musiciens, incluant par exemple huit premiers et six seconds violons. Et le chœur comprend treize chanteurs, au nombre desquels figurent les solistes. Dès l’Ouverture tripartite, s’impose un coloris haendelien jouant des oppositions de coloris, des nuances et de la précision du trait. Le jeune ténor Stanislas de Barbeyrac met en valeur son art de la diction dans son recitativo accompagnato « Natur lag » puis dialogue avec trompette et timbales dans ses deux arie aux accents guerriers, accents que récupérera la basse Norman D. Patzke dans son pathétique « Orpheus gewann ein wildes Volk». Mais c’est à la soprano roumaine Ana Maria Labin qu’incombent les pages les plus expressives, comme ce « Leidenschaften stillt »où elle répond au magnifique solo de violoncelle ou ce tragique « Der Flöten Klageton » où elle développe un legato plaintif en s’appuyant sur les interventions du luth et de la flûte à bec.

En seconde partie figure la Grande Messe en ut mineur K.427 dont Marc Minkowski évoque la création incertaine et la probable exécution à l’Eglise Saint-Pierre de Salzbourg le 26 octobre 1783. Dans cette partition inachevée manquent toutes les séquences du Credo qui suivaient l’ « Et incarnatus est », ainsi qu’une large section du Sanctus et l’Agnus Dei en son intégralité. Le chef l’aborde dans un pianissimo très lent qui nimbe le Kyrie eleison, d’où découlera naturellement la phrase du Christe eleison. Le Gloria revêt une grandeur triomphante, même si les soprani constituant le chœur tissent une bien vilaine étoffe par leur acidité, rendant même anguleuse la section du « Qui tollis peccata mundi » ; mais les voix d’hommes, beaucoup plus homogènes, pallient ce défaut dans le fugato du « Cum Sancto Spiritu ». Au niveau des solistes se révèle le timbre opulent de la mezzo Ambroisine Paré irradiant le « Laudamus te » d’une lumière dorée avant de dialoguer avec la soprano dans le « Domine Deus » et avec le ténor dans le terzetto du « Quoniam tu solus sanctus »- En répondant aux soli de basson, flûte et hautbois, Ana Maria Labin émeut par son fervent « Et incarnatus est ». Et c’est par les élans vainqueurs de l’ »Osanna in excelsis » que s’achève brillamment ce concert qui suscite l’engouement d’une salle comble à la veille de Noël.

Paul-André Demierre

 Genève, Victoria Hall, 13 XI 2018

Crédits photographiques :  © AFP / Georges Gobet

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