Dans le cadre de sa venue à l’IMEP pour une journée de masterclasses, Philippe Litzler, trompettiste principal de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich, nous parle de sa carrière et de l’importance de la pédagogie dans celle-ci. Une rencontre passionnante !
Vous êtes ici à Namur dans le cadre d’une masterclass, quelle place a la pédagogie dans votre carrière ?
C’est une part très importante de ma carrière. Je pense que c’est un cycle tout à fait normal, arrivé à un certain âge il est temps de transmettre toute l’expérience que j’ai pu acquérir en plus de trente ans de carrière. J’apprécie ces moments de partage, avec des gens motivés, qui apprennent autant de moi que moi d’eux. Il me semble important pour un musicien d’orchestre de pouvoir donner cours. Et inversément, un professeur doit pouvoir jouer en orchestre pour savoir de quoi il parle.
Quels seraient les conseils les plus importants que vous souhaiteriez donner à un jeune trompettiste préparant des concours ?
Je lui dirais de bien réfléchir. Il doit savoir exactement dans quel poste il veut postuler. Certaines personnes sont plus enclines à jouer deuxième ou troisième trompette et c’est important de s’être posé les bonnes questions. Est-ce bon pour moi de faire ce concours-là ? Est-ce que j’ai les épaules pour être première trompette ?
Mais au final, le plus important reste la motivation. Si on veut réussir un concours, il faut tout donner, y aller en dilettante ne donne jamais rien de bon. Les places sont chères actuellement, il y a de plus en plus de monde qui se présente, des musiciens qui viennent parfois de loin, d’Espagne, du Portugal, d’Italie et des pays de l’est également. Il faut être le meilleur et être prêt à tout donner, sinon ça ne vaut pas la peine d’essayer.
Trompettiste principal de l’orchestre de la Tonhalle de Zurich depuis 2005, quelles conclusions pouvez-vous tirer de ces 19 dernières années ?
Je n’ai rien vu passer ! C’était pareil pour mes 14 ans au National de France, tout passe si vite. C’est un signe que le métier est toujours passionnant ! On ne s’en lasse pas, même si on joue souvent le même répertoire, au final c’est toujours avec des chefs différents et donc des points de vue musicaux différents, des expériences différentes.
Au fil du temps, la façon d’interpréter certaines œuvres évolue également. Et puis l’expérience arrive aussi. Quand je regarde en arrière, quand j’ai commencé en 1991 à 21 ans, je n'aborde plus du tout le répertoire de la même façon. Il y a une maturité qui s’installe. Le plus important est qu’à aucun moment je ne me suis ennuyé ces 33 dernières années.
Quels sont les plus beaux moments musicaux que vous avez pu vivre ?
Une chose qui m’a beaucoup marqué, ce fut durant mon année de stage à Paris. On avait fait la Symphonie n°3 de Mahler avec Ozawa. Très grand chef, un concert à Pleyel, j’en avais eu la chair de poule ! Il y a deux, trois moments comme ça qui sont vraiment inscrits à l’indélébile. Les Symphonies de Bruckner avec Kurt Masur, ce sont aussi des moments inoubliables. Les Symphonies de Brahms également avec Masur. Les concerts avec Bernard Haitink furent de très, très grands moments, tout comme ceux avec Riccardo Muti. Jouer avec de grands chefs comme ça, c’est super, on redécouvre le répertoire.
C’est vrai que ces moments-là, ces “Highlights”, on peut les compter sur les doigts de la main, ça n’arrive pas tous les jours. Bien sûr, il y a des concerts super, mais ces moments où on a ce frisson, c’est rare.
Vos débuts en orchestre ont été réalisés dans un orchestre français, tandis que la plus grande partie de votre carrière l’a été dans un orchestre de culture germanique. Comment votre conception du son a-t-elle été influencée par cette expérience ?
Pour l'anecdote, quand j’ai passé le concours pour Zurich, les gens que je rencontrais me disaient “Ah tu viens de Paris, mais pourquoi tu quittes le National ?”. Les gens ne comprenaient pas la démarche, les deux orchestres étant pratiquement du même niveau. Mais la façon dont les deux orchestres jouent est très différente, et ça se ressent par exemple quand on fait de la musique française à Zurich. Il n’y a pas ce style français, cette légèreté, ça reste toujours un peu pompeux.
Concernant ma façon de jouer, j’ai effectivement dû changer quelque peu le matériel, avec un son un peu plus sombre généralement, moins articulés, sauf avec certains chefs qui savent exactement ce qu’ils veulent comme son. Un autre orchestre, c’est une autre tradition, une autre façon d’aborder l'œuvre. Cela se présente également par une certaine façon de jouer des cordes, une justesse différente, etc.
La salle change aussi la manière de jouer. À Zurich nous avons la chance de répéter et jouer dans la même salle, ce qui nous permet de mieux adapter notre jeu. À Paris ce n’était pas le cas, on devait toujours trouver de nouveaux repères entre les répétitions et les concerts.
J’ai donc dû faire quelques adaptations, mais ce n’est pas quelque chose de très flagrant. Le pupitre de trompette à Zurich est dans une mouvance style français, nos prédécesseurs ont travaillé et étudié en France, donc on a quand même ce côté pétillant, cette légèreté et cette façon d'articuler typiquement française au sein du pupitre. Tandis que le pupitre de trombone c’est plutôt une tradition américaine et celui des cors plutôt germanique.