Pierre Fontenelle à propos des Concerts des Dames.
C’est dans le cadre enchanteur de l’Abbaye Notre-Dame Du Vivier de Marche-Les-Dames que j’ai rencontré Pierre Fontenelle. Membre de la rédaction de Crescendo Magazine, lauréat de nombreux concours, Namurois de l’année 2020, professeur à l’IMEP et maintenant directeur artistique des Concerts des Dames, le jeune violoncelliste de 24 ans est devenu un incontournable dans le paysage culturel wallon.
Votre festival prend place dans un lieu atypique, pouvez-vous m’en dire plus sur son histoire ?
Nous sommes à l'Abbaye Notre-Dame du Vivier, à Marche-Les-Dames. C'est une Abbaye cistercienne du douzième/treizième siècle fondée par des sœurs qui y ont mené une vie monastique durant plusieurs années. Ensuite, l'Abbaye a vécu énormément de péripéties que ce soit avec les guerres mondiales, les révolutions napoléoniennes, la Révolution française, etc. Elle a donc un passé considérable.
Au fil des excavations archéologiques, on y découvre de plus en plus de choses. Par exemple, on sait maintenant que le bois de la charpente vient de la même forêt et de la même époque que celui de la charpente de Notre-Dame de Paris. L’abbaye n’est pas encore très connue mais petit à petit, elle se fait connaître et c’est un véritable plaisir de suivre et accompagner sa transformation en véritable pôle culturel.
Quelles ont été vos motivations pour créer ces Concerts des Dames ?
J’ai toujours voulu programmer des concerts ou un festival. Je pense qu’une dimension artistique d'un musicien est dans la manière de programmer ses concerts : concevoir une histoire avec les œuvres jouées. En tant que programmateur, nous devons aussi pouvoir pointer du doigt ce qui vaut la peine d’être écouté, découvert ou redécouvert. Cela est très enrichissant.
Ensuite, d'un point de vue plus particulier, j’avais aussi la volonté de créer un espace pour les jeunes. Un espace où on pourrait faire un festival de musique de chambre avec des jeunes étudiants du conservatoire, ou déjà professionnels, et leur donner l'occasion de se faire un public à Namur. L'Abbay nous laissons carte blanche, nous pouvons programmer ce que nous voulons, et faire revenir plusieurs fois de jeunes musiciens qui auront plu au public. Cela permet de créer des liens entre les auditeurs et les jeunes de la région, et de tout le pays en général.
En Belgique, on a globalement un manque de confiance envers les jeunes. On a parfois peur de leur donner des occasions de se lancer, de penser par eux-mêmes et de créer quelque chose. Ici, nous mettons vraiment l’accent là-dessus. Jusqu'à présent, le public a répondu présent. Et les artistes ont vraiment fait de très beaux concerts.
Cette volonté de faire de la musique de chambre avec des jeunes nous permet de nous inscrire dans l’écosystème culturel namurois sans marcher sur les plates-bandes des autres festivals.
Cet écosystème namurois est en pleine expansion, notamment par le biais du collectif Na !. Pensez-vous en faire partie dans les années à venir ?
Avoir la chance de faire partie de ce groupe et d’interagir avec les autres acteurs culturels namurois serait absolument incroyable ! Avant cela, notre premier vrai défi est de d’identifier les envies et les particularités de notre public. Cela nous permettra de mieux collaborer avec les autres pôles culturels par la suite. Notre public pourra ainsi découvrir les programmations des autres partenaires et vice-versa. J’espère que cela pourra se faire !
Ce serait une grande plus-value pour Namur en général car plus il y a de programmateurs, plus la diversité,de l’offre est grande, plus le public découvre de nouvelles choses.
Mis à part apprendre à connaître son public, quels défis rencontre un jeune festival comme le vôtre ?
Tout d’abord, il y a le financement. Il faut trouver de l'argent pour inviter les artistes et les payer comme ils le méritent. Pour l’instant nous pouvons le faire grâce aux recettes de la billetterie : les concerts qui ont tous été sold out.
Il est sûr que les cachets demandés par de jeunes artistes ne sont pas les mêmes que ceux demandés par des musiciens plus expérimentés qui joueraient par exemple au Festival de Namur. Malgré tout, pour un concert comme la clôture du festival le 24 juillet, avec neuf musiciens, le budget est conséquent. Heureusement, nous recevons des subsides de la part de la ville de Namur. Maxime Prévot nous a fait confiance dès le début.
Dans le futur, j'aimerais ajouter à cela un système de mécénat à l'américaine. Nous pourrions être sponsorisés par des entreprises pour qui on pourrait faire, par exemple, un concert privé ou un partenariat avantageux pour tous. Le premier concert du festival, un récital de guitare, sera sponsorisé par Savarez, une compagnie de cordes. Cela nous aide beaucoup.
Nous souhaitons aussi pouvoir travailler avec des producteurs locaux. On pourrait par exemple inviter un producteur de vin local, et faire déguster ses produits avant, après ou pendant le concert. Nous pourrions choisir la musique interprétée en fonction du goût de ce vin afin de créer un concert multisensoriel.
Notre volonté est vraiment de créer un concept unique, particulièrement namurois, qui ne pourrait se faire qu'ici. Cela nous permettra aussi de nous crédibiliser.
Vous n'êtes bien sûr pas tout seul dans cette aventure, quelles sont les personnes qui vous accompagnent ?
Nous sommes trois principaux acteurs actuellement. Pour ma part, je suis le directeur artistique, même si je n'aime pas tellement ce titre. Mon rôle va de la recherche des subsides, au choix des artistes en passant par la programmation, les réservations, etc. Ensuite, nous avons monsieur Bouvier, propriétaire de l'Abbaye, avec qui je collabore pour tout ce qui est logistique. Et finalement nous avons la fabrique d'église, sans qui rien ne serait possible. Le tarif qu'ils nous font pour louer l'église est très bas, ce qui nous permet d’utiliser notre argent pour la programmation.
De plus, je travaille avec ma mère pour tout ce qui est des réservations, la création des posters, des affiches, l'organisation des répétitions avec les artistes. Ma mère n'étant pas musicienne, elle a le recul nécessaire pour se mettre à la place du public et se dire : " Est-ce que je voudrais vraiment aller écouter ça ? ". Ma compagne Coralie va aussi rejoindre l'aventure. On travaillera ensemble sur le réseau de sponsoring, les relations avec les entreprises, etc.
L'autre acteur que l'on oublie en général, c'est le public. On essaie de créer un événement auquel les gens du coin peuvent se rattacher. S'ils n'y trouvent pas leur compte, c'est que nous avons raté quelque chose. Cette année, par exemple, beaucoup de personnes ont découvert le violoncelle grâce au Concours Reine Elisabeth. Nous allons donc organiser une sorte de gala de violoncelle l'année prochaine afin de prolonger cette découverte.
Pour les jeunes musiciens qui nous lisent, pouvez-vous me décrire le profil type des talents que vous recherchez ?
Idéalement, j'ai envie de dire qu'il n'y en a pas, mais Il y a tout de même quelques points qui sont importants pour moi. Ce doit être un étudiant ou un ancien étudiant d'un conservatoire belge. Ce n'est pas que je recherche un côté nationaliste, mais je préfère promouvoir des musiciens vivant en Belgique, peu importe leur nationalité. Cela compte pour moi car cela compte pour le public.
Ensuite, je recherche évidemment des musiciens talentueux, ayant aussi une véritable personnalité artistique : des musiciens qui détonnent, des personnes qui, quand je les vois jouer, quand je les entends parler, respirent et vivent la musique. Il faut que le public soit tout autant transporté et attiré par la musique que par la personnalité de l'interprète. Un musicien se doit d’avoir quelque chose à dire, une vision à défendre.
Du 22 au 24 juillet, vous organisez le festival de clôture de cette première saison. Pouvez-vous nous expliquer en quoi il consiste ?
Le vendredi 22, nous aurons la chance d’assister dans l'après-midi à une masterclasse de Gaëlle Solal avec un jeune guitariste belge, Lionel Lutgen. Nous les retrouverons ensuite tous deux lors de leur récital de musiques brésiliennes et classiques aux alentours de 20h.
Gaëlle Solal est une artiste accomplie qui se produit partout en Europe et aux Etats-Unis. Elle nous présentera son album Tuhu, nominé aux Latin Grammy Awards en 2021.
Le deuxième concert, le 23 juillet, est un pari risqué. J’ai décidé de jouer, avec la fabuleuse pianiste Marie Datcharry, uniquement des œuvres de compositeurs belges trop peu connus. Nous interpréterons Méditation Op. 16 d’Eugène Ysaÿe, Vieux Quai de Georges Lonque, sur un poème de G. Rodenbach, l’Élégie de Henri Vieuxtemps ainsi que Souvenir de Spa d’Adrien François Servais.
Ce concert sera l’occasion de découvrir d’autres pièces belges pour piano et violoncelle que la célèbre sonate de César Franck. Nous emmènerons notre public en voyage à travers la Belgique. Nous passerons par Knokke, Bruges, Verviers et enfin Spa. De quoi revivre un peu la fête nationale.
Le troisième et dernier concert de ce festival, le 24 juillet, sera consacré à Caroline Shaw, une compositrice américaine toujours en activité. Ma volonté est que chaque année, nous puissions programmer au moins un concert dédié à un ou une compositeur/trice contemporain/e.
Caroline Shaw est une violoniste, chanteuse et compositrice très connue aux Etats-Unis. Ce concert sera l’occasion de découvrir neuf jeunes talents belges. Nous pourrons entendre Camille Hubert, Blandine Coulon et Julie Vercauteren dans Dolce Cantavi, une pièce pour deux sopranos et une alto qui semble être un mélange entre la sonorité du 21ème siècle et celle de Claudio Monteverdi.
J’interpréterai ensuite In manus tuas pour violoncelle seul, une pièce basée sur un motet de Thomas Tallis. Puis je poursuivrai en duo avec Gabriel Ducomble à la percussion pour Boris Kerner, une pièce pour violoncelle et…. pot de fleur ! C’est assez surprenant, surtout que la pièce ressemble parfois à du Bach.
Nous pourrons aussi entendre Louise Kollmeier dans la pièce pour piano seul Gustave le Grey. Cette pièce est une variante d’une mazurka de Chopin, c’est très intéressant.
Nous terminerons ce concert avec deux quatuors, le premier avec piano, violon, alto et violoncelle, et le deuxième constitué uniquement de cordes. Ce sera l’occasion d’entendre Leonid Anikin et Katerina Philippovich aux violons, ainsi que Jonny Viloria à l’alto. Les morceaux interprétés seront Thousandth Orange et Valencia, qui n’est non pas basé sur la ville espagnole, mais sur la sorte d’orange Valencia. La pièce explore le fruit dans ses textures, sa couleur, son acidité, etc.
Je suis sûr que ce concert ravira autant les connaisseurs que les non-initiés. J’ai choisi de ne pas programmer quelque chose de trop ardu à approcher. Les musiques qui seront interprétées se comprennent avec les tripes et les émotions. De plus, il ne faut pas oublier que les musiques d’aujourd’hui seront les classiques de demain, il est important que tout le monde soit au courant de ce qu’il se fait de bon de nos jours.
Qu’avez vous de prévu pour la saison prochaine ?
C’est un peu compliqué de dire ça comme ça. Je préfère ne pas me stresser avec une programmation prévue un an en avance, et plutôt me laisser guider par mes découvertes et les envies du public afin de leur proposer des concerts de qualité.
Ce que je sais, c’est qu’il y aura quelques reports de concerts qui n’ont pu se faire cette année-ci. J’aimerais aussi inviter un chanteur et un guitariste de Flamenco, développer le concept de masterclasse/concert, inviter des lauréats d’un concours de violoncelle, faire venir des quatuors à corde, etc.
De plus, nous espérons pouvoir organiser des concerts lors desquels le public serait “parrainé” par des étudiants de l’IMEP, qui seraient là pour répondre à toutes leurs questions sur ce qu’ils entendent ou sur la musique classique en générale. Nous aimerions aussi pouvoir faciliter l’accès aux concerts aux personnes les plus démunies.
Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais rien n’est encore gravé dans le marbre. Nous nous laissons le temps de mettre tout cela en place. Je dois aussi gérer ma vie de soliste à côté de cela, et je ne peux pas faire les deux en même temps. Mais j’aimerais tout de même pouvoir organiser un concert tous les deux ou trois mois, ce qui permettrait de ne pas surcharger le public qui n’est pas habitué à aller aux concerts et qui est parfois forcé de couper dans son budget culture ces temps-ci.
Pour le moment, tout se passe bien et le public répond présent. On espère pouvoir créer quelque chose de convivial où les gens des alentours pourront se retrouver. On est ouvert à toutes les propositions. Tout le monde a sa place.
Plus d'informations sur le festival.
Propos recueillis le 11 juillet par Alex Quitin, Reporter de l’IMEP.
Alex Quitin
Crédits photographe : Nico Draps Photography