Un berliozien émérite pour Les Troyens au Grand-Théâtre de Genève 

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Le Grand-Théâtre de Genève présente en deux concerts  l’intégralité des Troyens. Et la réussite exceptionnelle de l’entreprise est due à la baguette de Charles Dutoit, éminent berliozien s’il en est un ! Galvanisant les Chœurs du Grand-Théâtre de Genève, remarquablement préparés par Alan Woodbridge, et le Royal Philharmonic Orchestra, formation dont il est le directeur artistique et le chef principal, il fait montre, dès la scène d’entrée de La Prise de Troie, d’une énergie indomptable, presque invraisemblable chez un homme de près de quatre-vingts ans. Restaurant des pages oubliées telles que le Prélude de 1863 pour la seconde partie, il brosse cette vasque fresque en accusant les contrastes de coloris, tout en sachant ménager le lyrisme extatique de scènes sublimes  comme le duo « Nuit d’ivresse et d’extase infinie ». Il faut dire aussi qu’il a à sa disposition de bons chanteurs : remplaçant au pied levé Clémentine Margaine, Béatrice Uria-Monzon est une remarquable Didon : une fois passé le premier tableau où la voix doit trouver son assise, elle dessine une fière souveraine qui saura s’immoler après avoir cédé à une passion destructrice.  Unique francophone de la distribution, elle est  la seule que l’on comprend, alors que tous les autres ‘s’accommodent’ de la langue de Racine.  Mais Ian Storey a au moins le grain cuivré du timbre et  l’aigu éclatant et résistant d’un Enée de classe. Par contre, Michaela Martens ébauche Cassandre avec l’ampleur d’un grand mezzo dramatique trahi par sa diction pâteuse. Face à elle, Tassis Christoyannis  (qui est aussi le Dieu Mercure) est un Chorèbe intelligible, dévoré par ses angoisses existentielles. Empêtrée dans son élocution, l’Anna de Dana Beth Miller possède néanmoins  le grain sombre d’un contralto, noirceur impressionnante que l’on retrouve chez le digne Narbal de Günes Gürle et en l’autoritaire Panthée de Brandon Cedel.  Amelia Scicolone a la jeunesse fringante d’Ascagne, Dominick Chenes, la veine élégiaque d’Iopas, Rodrigo Garcia et Phillip Casperd, la roublardise des deux sentinelles. Et au dernier moment, Bernard Richter accepte de remplacer un Hylas malade, en évoquant avec élégance le vallon sonore de ses couplets.
Paul-André Demierre
Genève, Grand Théâtre, les 15 et 17 octobre 2015

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