Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Krystian Zimerman à Anvers : un grand maître contrarié

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Pour ceux qui suivent la carrière exemplaire de Krystian Zimerman depuis son triomphe au Concours Chopin en 1975, l’évolution du pianiste polonais -modèle de grâce, de spontanéité et d’instinct dans ses jeunes années, devenu au fil du temps un exemple de sagesse et de profondeur voire d’ascèse- a quelque chose de fascinant.

On sait le soin que met Zimerman à concevoir ses programmes et il en offrit un bel exemple dans ce récital anversois qu’il ouvrit par une superbe interprétation de la Deuxième Partita en ut mineur, BWV 826 de Bach. Après une Sinfonia énergique, l’Allemande fut interprétée avec une merveilleuse sérénité, une grâce aérienne, d’admirables nuances ainsi qu’une irréprochable rigueur rythmique. L’espiègle Courante apporta un bienvenu moment de détente avant la simplicité et le dépouillement de la Sarabande, jouée avec une profondeur dépourvue de toute lourdeur. Le Rondeau si français (Couperin n’est jamais loin) fut rendu avec grâce et subtilité, alors que Zimerman faisait du Capriccio final un éblouissant jeu d’esprit.

On ne peut que s’incliner devant la façon infaillible qu’à ce grand interprète tout ramener à l’essence de la musique. Et comment ne pas admirer la clarté absolue de son jeu ainsi que l’usage très fin fait de la pédale, employée sans jamais brouiller la polyphonie?

A l’OSR, un artiste en résidence, Frank Peter Zimmermann  

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Depuis quelques années, l’Orchestre de la Suisse Romande invite un artiste en résidence qui se produit plusieurs fois au cours de la même saison. Pour 2021-2022, le choix s’est porté sur le violoniste Frank Peter Zimmermann que l’on entend régulièrement à Genève. 

Pour le concert du 29 septembre que dirige Jonathan Nott, le soliste opte pour deux œuvres peu connues. La première est une page brève de Béla Bartók  datant de 1929, la Rhapsodie n.2 Sz.90 dont les tutti massifs laissent percevoir la veine tzigane. Le violon semble improviser librement avant de mettre en évidence le caractère rythmique de chaque motif. L’accumulation de ces phrases produit une danse effrénée occasionnant de périlleux sauts de cordes.

Tout aussi rare, la Suite concertante que Bohuslav Martinů réélabora entre novembre 1943 et février 1944 à l’intention du violoniste Samuel Dushkin qui la créa à Saint-Louis en décembre 1945. Qui sait pourquoi l’œuvre disparaîtra de l’affiche durant plus de cinquante ans. Frank Peter Zimmermann nous en révèle la virtuosité explosive avec ses véhéments coups d’archet qui accusent les dissonances de la Toccata initiale, alors que l’Aria baigne dans un lyrisme méditatif que rend expressif le cantabile du soliste. Le Scherzo est un ‘saltarello’ bondissant alors que le Rondò final a une quadrature plus rigoureuse que le violon émiettera au gré de traits brillants amenant une conclusion explosive qui déchaîne l’enthousiasme des spectateurs. En bis, le soliste fait table rase de tout artifice pour délivrer un Largo de Bach qui est musique pure…

Concert anniversaire à Monte-Carlo 

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Ce concert commémore un double anniversaire. Tout d’abord, le centenaire de la disparition du compositeur Camille Saint-Saëns en 2021 mais aussi les 100 ans du décès du Prince Albert Ier de Monaco  (1840-1922). Le Prince Albert Ier dit le “Prince savant”  a donné une vive impulsion à l'activité musicale à Monaco. Il a bénéficié de ses liens privilégiés avec les compositeurs Jules Massenet et Camille Saint-Saëns, ses collègues à l'Institut de France. Saint-Saëns a composé l'Ouverture de fête pour l'inauguration du Musée océanographique de Monaco en 1910.

C’est avec le Concerto pour violon et orchestre n°3 de Saint-Saëns que concert célèbre le compositeur français. On ne présente plus l’excellent Daniel Lozakovich qui fait désormais  partie des violonistes majeurs de sa génération. Enfant prodige et boxeur à ses heures perdues, le jeune homme de 20 ans tarde un peu à entrer sur scène et il s’accorde longuement  ! La cause : il a dû remplacer une corde de son instrument en dernière minute et jouer avec une nouvelle corde entraîne la nécessité d'accorder plus souvent. Mais dès les premières notes, le jeune homme  est maître à bord et domine la situation. On salue la précision d'intonation et d'attaque ainsi qu’une intensité d'expression combinée à des prouesses de vélocité. L'orchestre sous la direction de Kazuki Yamada est superbe, c'est une performance absolument incroyable.Après une ovation debout, Lozakovich offre deux bis. Le très virtuose Scherzo de Fritz Kreisler et une Allemande de Bach.

Beniamino Paganini et Musica Gloria : le triomphe de la jeunesse et du talent

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Il est de tradition que le lauréat du Prix du Jeune musicien décerné par l’Union de la Presse musicale belge se voie offrir la saison suivante la possibilité de se produire au Palais des Beaux-Arts. Et  c’est ainsi que pour le premier concert du cycle Bozar Next Generation de cette saison, la maison bruxelloise qui souhaite à juste titre mettre en avant des talents prometteurs dans cette belle série du dimanche matin accueillait Beniamino Paganini, Jeune musicien de l’année 2020, à la tête de son ensemble Musica Gloria. 

Avant le début du concert, Jérôme Giersé -responsable de la musique à Bozar- et le signataire de ces lignes en tant que président de l’UPMB présentèrent donc au public le jeune claveciniste et flûtiste brugeois qui, après deux très brefs discours retraçant rapidement son parcours, se vit remettre les chaleureuses félicitations des précités et la médaille qui récompense le lauréat de ce prix qui a ces dernières années distingué d’aussi beaux talents que le pianiste Florian Noack ou la violoniste Sylvia Huang..

Fin connaisseur du répertoire baroque, Beniamino Paganini (c’est son vrai nom) avait choisi de consacrer ce concert à un florilège de la musique qu’on aurait pu entendre autour des années 1730-1740 à la petite Cour d’Anhalt-Zerbst où Johann Friedrich Fasch (1688-1758) oeuvra de 1722 à sa mort.

Ouverture mémorielle à l’OPMC : Beethoven par Kazuki Yamada

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L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo nous offre pour débuter cette nouvelle saison un monument de la musique classique : la Symphonie n°9 de Beethoven.

Le programme de ce concert était prévu la saison passée, mais pour des raisons sanitaires il était impossible de faire venir le Chœur de l'Orchestre Symphonique de Londres comptant plus de 80 chanteurs.

Ce concert d'ouverture de la saison 2021-22 se couvrait d’émotion car l'événement  était dédié au Maestro Gianluigi Gelmetti, ancien Directeur artistique et musical de la phalange et chef honoraire depuis 2016, qui nous a quittés au mois d'août. Trait d’union dans l’histoire de l’orchestre : c’est  Gelmetti qui avait dirigé, il y a 8 ans, cette symphonie de Beethoven pour la dernière fois à Monaco. 

Dans  un texte publié dans  le programme, Kazuki Yamada rend hommage à son prédécesseur qu'il a entendu à l'âge de 16 ans lors d'une tournée au Japon et qui l'a inspiré à se lancer dans la direction d'orchestre. Après une minute de silence, le concert commence par l'ouverture Léonore II de Beethoven que Kazuki Yamada dirige avec énergie, vigueur et éloquence. 

Dès les premières mesures de symphonie, Yamada se montre en très grande forme et fait briller l'orchestre de tous ses feux. L'introduction provoque un sentiment d’attente, de mystère et d’interrogation et l'orchestre se déploie progressivement d'un pianissimo dans un grand crescendo, guidé par une direction qui gère les gradations avec le sens du drame requis :  c'est vigoureux, imposant et majestueux. Tout au long de la partition, le maestro japonais cerne l’esprit des mouvements ciselant les interventions solistes avec le sens des couleurs requises.  

La sélection du mois d'Octobre de Crescendo Magazine

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On commence ce parcours avec le concert du festival Voce & Organo dont le concert du 1er octobre propose une affiche de prestige avec Bernard Foccroulle (orgue) et Reinoud van Mechelen (ténor) avec une affiche plantureuse : Frescobaldi, Monteverdi, Froberger, Sances, Schütz, Weckmann, Buxtehude, Bach. Ce concert, en co-organisation avec le festival Voix en ville animé par Clara Inglese dont vous avez pu lire des articles sur Crescendo Magazine, se déploie avec brio en ce début octobre. 

A Bruxelles, La Monnaie fait l'évènement avec deux belles affiches, les Concertos Brandebourgeois de Bach chorégraphiés par Anne Teresa De Keersmaeker (du 1/10 au 06/10), mais surtout les représentations en concert de l’opéra De Kinderen der Zee de Lodewijk Mortelmans sous la direction d’Alain Altinoglu (17/10 au 20/10). 

A Namur, le Namur Concert Hall accueillera le Belgian National Orchestra pour un concert avec le Chant de la Terre de Gustav Mahler. Le directeur musical sortant Hugh Wolff accompagnera deux grands chanteurs : la mezzo soprano Michelle DeYoung, et le ténor Ben Gulley (23/10). Ce concert du BNO est également proposé à Bozar (22 et 24 octobre).  

A Tourcoing, l’Atelier lyrique propose un concert Vivaldi / Bach avec l’Orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Écurie sous la direction d’Alexis Kossenko avec Alex Potter en soliste (église du Sacré Coeur de Marcq-en- Baroeul le 8 octobre) et on ne manquera pas une version de concert de l'Orpheus de Telemann avec les Belges de B’ROCK Orchestra & Vocal Consort (28/10) sous la direction de René Jacobs. 

L’Atelier Lyrique de Tourcoing lance sa saison

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Le lancement de saison 2021-2022 de L’Atelier Lyrique de Tourcoing s’achevait ce 25 septembre par deux récitals baroques, d’esprit antinomique et complémentaire : affliction puis réjouissance. À 18 heures en l’église Saint-Christophe : un programme principalement italien titré « Il pianto della Madonna » s’inscrivait dans la thématique pascale de la Passion et des larmes de la Vierge. L’ordonnancement, quoique cohérent, dérogeait à la notice distribuée aux spectateurs et reprenait la structure du disque homonyme réalisé en août 2015 à Deauville pour le label B Records par l’Ensemble Desmarets. On en reconnut d’ailleurs la plupart des musiciens investis dans une nouvelle structure (Acte 6) : Robin Pharo à la viole, Marc Wolff à l’archiluth, Maïlys de Villoutreys au chant, complétés par Julie Dessaint (viole) et Samuel Hengebaert (viola da spalla) qui assurait la codirection artistique avec Ronan Khalil (clavecin/orgue).

Après le Salve Regina à nu, exhalé derrière les musiciens qui lui répondirent par une Recercada de Diego Ortiz, on entendit son élaboration par Barbara Strozzi (1619-1677). Dans la fermeté (ad te clamamus, exules filii Evæ) comme dans la nuance (in hac lacrimarum valle), la soprano domina les enjeux expressifs de l’antienne de la compositrice vénitienne, jusqu’à un dulcis Virgo Maria blanc comme le lys qui révélait une voix plus claire que chaleureuse. La brève Passacaille de Luigi Rossi dissipa l’imploration et transigea vers la célèbre Lamento d’Arianna de Claudio Monteverdi : sa version sacrée incluse dans le Selva Morale e spirituale, qui transpose sur le terrain spirituel la déploration d’Ariane pour Thésée. Les estompes (mi Fili), les soupirs (Mea spes, mea vita), le filé de la voix : une subtilité manquant peut-être seulement de cette souplesse latine qui lui apportât un surcroît de flamme avant l’ultime vacillement du Matris amore.

Le sommet du récital advint avec l’hypnotique et douloureux Hor ch’è tempo di dormire de Tarquinio Merula : l’arche d’intensité fut suggérée par des effets spatiaux (Maïlys de Villoutreys remonta la nef vers le chœur) et par le renforcement progressif de l’accompagnement, pour un captivant effet dramatique. Ce que cette berceuse peut receler de monotone se trouva transfiguré. Humble et bouleversant, de loin la meilleure interprétation qu’on en ait entendu, y compris au catalogue discographique. Cordes pincées, solo d’orgue : l’intermède amena le Stabat Mater de Giovanni Felice Sances (1600-1679) conclu par des vocalises et des zébrures de viola da spalla qui moiraient la vision de gloire du paradis. En termes de timbre, stabilité d’émission et séduction, c’est le fervent O Maria de Strozzi qui montrait la jeune chanteuse à son meilleur et refermait ce précieux concert par un rayonnement collectif gagé par l’alléluia. Les applaudissements rappelèrent plusieurs fois les six artistes qui se séparèrent de l’assistance par un bis.

A Genève, l’OSR rend hommage à Armin Jordan    

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Il y a quinze ans disparaissait, le 20 septembre 2006, Armin Jordan, le chef le plus emblématique de l’Orchestre de la Suisse Romande après son fondateur, Ernest Ansermet. Titulaire de la direction artistique et musicale de 1985 à 1997, il laisse le souvenir d’un musicien au répertoire immense, s’ingéniant à faire découvrir nombre de créations contemporaines et d’œuvres françaises, germaniques ou russes oubliées. 

Pour lui rendre hommage, l’Orchestre de la Suisse Romande a organisé, au Victoria Hall le 23 septembre, un concert qui a été pris d’assaut par tous les auditeurs genevois qui ont gardé en mémoire tant l’artiste que l’homme simple à la générosité proverbiale qu’il s’ingéniait à pimenter d’un humour souvent caustique. 

L’on a donc fait appel au chef bernois Stefan Blunier qui, depuis 1992, a œuvré dans les théâtres de Mayence, Augsbourg et Darmstadt avant de devenir Generalmusikdirektor à Bonn de 2008 à 2016. Le Grand-Théâtre de Genève l’a applaudi dans les productions de Wozzeck et de Der Zigeunerbaron.

Son programme débute par la page la plus célèbre d’Arthur Honegger, Pacific 231, évoquant la mise en marche d’une locomotive effarante qui accélère progressivement comme un ‘pas d’acier’ que se partagent bois et cuivres et que ponctuent sèchement les cordes. Puis le ralentissement s’étale en un diminuendo de valeurs longues…

Les Dissonances dans Ravel, Enesco et Stravinsky : une sacrée leçon de musique 

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Heureux les Parisiens d’avant la Première Guerre mondiale qui ont pu, en moins d’un an, assister à deux créations des Ballets russes qui ont marqué l’histoire de la musique !

En effet, le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées, c’était le fameux scandale du Sacre du Printemps, le public n’ayant pas supporté cette musique barbare, inouïe, insoutenable, unique dans la production d’Igor Stravinsky, tellement insensée qu’elle n’eut pas réellement de descendance. Et le 8 juin 1912, au Théâtre du Châtelet, les Parisiens avaient découvert Daphnis et Chloé, immense fresque bouleversante de sensualité contenue, de lyrisme pudique, de transparence aux mille couleurs, qui ne pouvait qu’être l’œuvre de Maurice Ravel. Si cette création n’a pas fait autant de bruit (c’est doublement le cas de le dire, à la fois par la délicatesse des timbres et par la réaction des spectateurs) que celle du « Massacre du tympan », c’est aussi parce qu’elle avait été éclipsée par un autre événement chorégraphique, quelques jours avant et toujours par les Ballets russes, qui fit également scandale pour son érotisme : le Prélude à l’après-midi d’un faune, sur la musique écrite vingt ans plus tôt par Claude Debussy. Oui, heureux Parisiens de ce temps-là !

Ces deux œuvres étaient au programme de ce concert des Dissonances, séparées par une œuvre qui, si elle n’a pas eu en elle-même le même impact historique, est parfaitement représentative du courant contemporain qui introduisait la musique traditionnelle dans la musique dite savante, et qui exerça une influence décisive. L’on ne peut évoquer ce courant sans citer le Hongrois Béla Bartók, bien sûr, mais aussi, dans la Roumanie voisine, Georges Enesco, et en particulier ce Caprice Roumain pour violon et orchestre, qui venait donc s’intercaler entre Daphnis et le Sacre.

Beethoven Celtique à Rennes

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Lorsqu’un magicien à la flûte celtique reprend les thèmes beethoveniens, le public n’a qu’à le suivre. S’agit-il d’un autre hommage rendu à Beethoven ? Visiblement non, car le symbole même de la culture germanique n’est ici qu’un point de départ pour une odyssée autour de la culture celte.

Le plus cosmopolite des orchestres français, l’Orchestre National de Bretagne (ONB) a démarré sa nouvelle saison au son des danses celtiques. Sous la direction de Grant Llewellyn, Carlos Núñez, cornemuses et flûtes celtiques, ainsi que le baryton basse Bryn Terfel ont envoûté la musique de Beethoven, trop souvent associée aux héroïsmes. Justement, ce n’est pas le caractère teutonique, mais bien les délicieuses sonorités folkloriques qui ont donné le ton de la soirée. 

Après des mois de silence, l’ONB a réveillé son public en déconstruisant le rite sacré qu’est l’exécution d’une symphonie sans interruption et sans applaudissement entre les mouvements. Divisé en quatre groupes géographiques (Irlande, Écosse, Pays de Galles et Bretagne) dont chacune contenait un mouvement de la 7e Symphonie, le concert a posé son regard sur le lien unissant Beethoven et le monde celtique. Pour une fois, le public n’a pas été jugé à cause de son enthousiasme exprimé par des ovations. En effet, les trois volets d’Omaggio de Benoît Menut sont venus se glisser à la fin de chaque mouvement de la 7e Symphonie, qualifiée par Richard Wagner de « l’apothéose de la danse ». En partant des thèmes, des rythmes et des idées orchestrales de Beethoven, Omaggio a prolongé l’expérience beethovenienne en l’enveloppant dans des sonorités plus contemporaines. Une vraie extension d’une symphonie en forme plus concise.