Rencontres

Les rencontres, les interviews des acteurs de la vie musicale.

Bram Van Sambeek, virtuose du basson

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Photo: Marco Borggreve

À l’occasion de la sortie de son dernier album chez le label BIS, incluant un captivant Concerto d’Édouard Du Puy (c.1770-1822) tiré des oubliettes, nous avons contacté le bassoniste Bram Van Sambeek afin d’expliciter les circonstances de sa découverte. Et la façon dont il conçoit cette œuvre.

Votre enregistrement en juin 2009 pour Brilliant comprenait une œuvre d'Édouard Du Puy, un concerto arrangé d’après son Quintette. Était-ce votre premier contact avec ce compositeur ?

En effet, c'est grâce à une parution antérieure chez BIS (un merveilleux enregistrement de Cristian Davidsson avec le Sundsvall Chamber Orchestra/Willen) que ce quintette avait déjà été ajouté au répertoire standard des bassonistes. 

Dans le livret du SACD, vous expliquez qu'en demandant une copie de ce Quintette à la Bibliothèque nationale de Suède, vous avez reçu par erreur un exemplaire d'un Concerto en ut mineur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette découverte ? En quelle année était-ce ? Dans quel état et sous quelle forme se présente la partition autographe ? Comment peut-on expliquer qu'un chef-d’œuvre aussi exaltant ait pu rester caché pendant si longtemps ? Peut-on imaginer qu'il n'ait été joué au XXe siècle ?

Lorsque je préparais mon propre enregistrement du Quintette de Du Puy en 2008, j'ai demandé à la Bibliothèque royale de Stockholm de m'envoyer le manuscrit original. J'ai réalisé que le travail sur l'enregistrement précédent de Davidsson était un arrangement du quintette. Mais dans ma demande à la bibliothèque, j'ai utilisé le nom "Concerto" parce que l'éditeur (Orlando Musikverlag) a utilisé ce nom au lieu de "Quintette". C'est là que cet heureux malentendu a commencé ! J'ai été très surpris de trouver cette musique substantielle et spectaculaire, ainsi que toute une série de musique de chambre supplémentaire (probablement aussi inédite) de la main de Du Puy.  Nous pouvons être reconnaissants envers ces bibliothécaires zélés. Cependant, le quintette que j'avais demandé manquait, et n'a été envoyé que plus tard dans l'année.

L'état autographe est très clair et préparé avec soin. Compte tenu de la faible quantité de notre répertoire soliste datant du début du romantisme, il est certes presque inimaginable qu'une pièce aussi importante et belle soit restée impratiquée mais, à ma connaissance, on ne trouve aucune mention de représentations après 1830.

L'œuvre a très probablement été écrite pour deux des trois frères Preumayr, bassonistes, nommés Franz et Johann Conrad. La raison pour laquelle elle n'a pas été jouée pendant si longtemps ne peut s’expliquer que dans l'utilisation absolument extraordinaire de notes aussi aiguës, et par une virtuosité qui était jusqu'alors quasiment inégalée. On peut imaginer que d'autres bassonistes la considéraient comme trop attachée aux spécialités virtuoses de ces frères Preumayr et n'osaient pas y toucher. Franz Preumayr, qui des trois était le plus actif en tant que soliste, a peut-être même été l'un des tout premiers et des rares, sinon le seul bassoniste, à faire une tournée européenne en tant que tel.

Preumayr nous a laissé un journal dans lequel il a consigné ses expériences de cette tournée ; ses observations plutôt négatives sur les célèbres bassonistes parisiens de l'époque sont amusantes à lire. Considérant les comptes rendus de ses concerts et les éloges qu'il a reçus de ses collègues français (et qu'il a décrits dans son journal), ses qualités sur l'instrument étaient inconnues auparavant.

François-Frédéric Guy : Mon rêve est que Beethoven soit toujours dans nos cœurs !

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Le pianiste français François-Frédéric Guy est incontestablement l’un des plus grands beethovéniens actuels. Le projet de l’intégrale des sonates avec des jeunes pianistes, initialement prévu en mars dernier, voit enfin le jour ce week-end à Paris. Le musicien nous a parlé de sa passion pour le maître de Bonn.

Vous avez donné l’intégrale des sonates de Beethoven en novembre dernier au Japon et les cinq concertos de Beethoven en janvier de cette année à Paris avec l’Orchestre de Chambre de Paris. Pourriez-vous parler de ces deux séries ?

L’intégrale des 32 sonates au Japon était pour moi un événement très important. D’abord, c’était la dixième fois que je jouais ce cycle. C’était donc une sorte d’anniversaire d’un projet fou que j’ai fêté à Tokyo – Vous savez, j’ai un amour inconditionnel pour le Japon ! J’ai eu une chance inouïe d’avoir pu réaliser cette série de neuf concerts dans la magnifique salle de Musashino Civic Cultural Hall, d’autant que le public était enthousiaste. Tous les concerts étaient complets. Et après chaque concert, dédicace de disques pendant des heures, un rituel typiquement japonais… Il y a eu une standing ovation tout à la fin, au dernier concert, les auditeurs étaient emportés, déchaînés, ils poussaient des cris, comme dans un concert de rock ! Pour ma part, je n’ai jamais vu ça au Japon ! Les Japonais sont d’habitude très calmes et très disciplinés, même quand ils aiment, ils gardent une distance, ils sont réservés, par politesse aussi, peut-être. Mais là, c’était… merveilleux. Vraiment merveilleux.

Ensuite, à Paris, nous avons également eu un grand succès avec l’Orchestre de Chambre de Paris, au théâtre des Champs-Élysées, pour les cinq concertos en une soirée que nous avons joués à guichets fermés. Nous avons d’abord donné un premier concert, suivi d’une pause longue pendant laquelle les gens pouvaient dîner, moi aussi d’ailleurs ! Puis, un autre concert et après 20 minutes de pause, enfin le Cinquième Concerto. C’était un grand voyage exceptionnel. Je suis depuis trois ans un artiste associé à l’Orchestre de Chambre de Paris et nous avons construit beaucoup de projets originaux ensemble. Nous avons joué plusieurs concerts à Paris, dont beaucoup en jouer-diriger. J’ai fait mes débuts en tant que chef d’orchestre avec eux à Paris avec la Cinquième Symphonie de Beethoven, en 2018, en première partie le Triple Concerto dirigé du piano. Un moment inoubliable pour moi !

« Je ne conçois pas une intégrale comme un marathon,
mais comme un grand voyage »

L’idée de donner l’intégrale des concertos ou des sonates en un temps court n’est pas de faire un marathon, mais plutôt celle d’un voyage. Offrir au public une occasion d’entendre ces œuvres dans la continuité et de suivre son évolution, depuis des compositions de jeunesse qui imitent encore Mozart pour arriver, en ce qui concerne les sonates, à la maturité, à ces dynamites beethovéniennes, à l’explosion du style classique.
Pour les sonates qui sont échelonnées sur toute sa vie, je les considère comme une autobiographie.

Ralph van Raat, pianiste sans frontières 

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Le pianiste Ralph van Raat construit une discographie essentielle dans son exploration des répertoires de notre temps. Pour Naxos, il publie un nouvel album centré sur des oeuvres rares de Boulez, Debussy, Messiaen et Ravel. Cet album est important car il propose en première mondiale une oeuvre de jeunesse de Pierre Boulez : Prélude, Toccata et Scherzo. Ralph van Raat nous entretient de la place de cette oeuvre dans l’univers de Pierre Boulez tout en nous présentant sa vision de la musique. 

Votre nouvel album s'intitule “raretés française pour piano”. Pourquoi avez-vous décidé de réunir Boulez, Debussy, Messiaen et Ravel sur un même enregistrement ?

La musique française en général m'a toujours séduit -Debussy et Ravel que j'ai connus vers l'âge de dix ans, et Messiaen et Boulez quelques années plus tard. C'est la musique que j'ai écoutée tout au long de mon adolescence -au lycée, Boulez me fascinait par son énergie et, parfois, par sa crudité ; Messiaen par son monde harmonique de couleurs, et Debussy et Ravel que je considérais à l'époque comme une étape parfaite entre la musique classique que je jouais, et le jazz, de Bill Evans par exemple, que j'écoutais aussi beaucoup. Certaines des pièces de l'album que j'ai toujours eu en tête d'enregistrer, mais pour lesquelles je n'ai pas trouvé de contexte approprié car elles sont "hors du répertoire principal" du compositeur. Comme j'ai fait des recherches sur le Prélude, Toccata et Scherzo de Boulez et qu'il semblait y avoir un intérêt pour un enregistrement, j'ai eu une bonne occasion de faire un album d'une collection de ces pièces. 

Pierre Boulez....moine et missionnaire

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En contrepoint à notre interview du pianiste Ralph van Raat qui propose une première mondiale au disque d'une oeuvre de Pierre Boulez, nous vous proposons de relire intégralement l'entretien que le compositeur/chef d'orchestre avait accordé, en 2000, à Crescendo Magazine. Alors qu'il préparait la tournée de ses 75 ans avec le London Symphony Orchestra, il avait reçu Bernadette Beyne, co-fondatrice de Crescendo Magazine dans son bureau de l'IRCAM.

Vous venez d'enregistrer la 8e Symphonie de Bruckner, un compositeur auquel vous ne sembliez pas attaché… Pourquoi Bruckner… peut-être Sibélius? 

Un représentant de la Philharmonie de Vienne m'a dit un jour: "Vous n'avez jamais dirigé Bruckner. Pourquoi?". Bruckner ne faisait pas partie de mon éducation. Vous allez apprécier cet humour volontaire ou involontaire, mais les partitions de Bruckner, je les ai, complètes. Et savez-vous où je les ai achetées? A Darmstadt, pendant les cours d'été; c'est vous dire que cela remonte loin: je n'ai plus remis les pieds à Darmstadt depuis 1965! A la suite de quoi je les ai achetées? Probablement à la suite d'une conférence ou d'une conversation avec Adorno. En tout cas, j'en avais pris connaissance à cette époque mais je ne les ai jamais dirigées. Quand les musiciens de l'Orchestre de Vienne m'ont demandé pourquoi je ne les dirigeais pas, je me suis dit: "pourquoi pas"? Ca m'intéressait comme cela m'avait intéressé de diriger Parsifal quand Wieland Wagner me l'avait demandé en 1965. Il était encore plus incongru de diriger Wagner à cette époque que Bruckner aujourd'hui, des univers qui ne m'ont pas été familiers durant mon éducation. Je me souviens que Messiaen n'a jamais analysé une seule note de Bruckner; c'est le seul compositeur à propos duquel je l'ai vu sarcastique, lui qui, en général était d'une grande bonté. Un jour, il m'a dit: "ah! Bruckner, il n'y a que des ponts". Traduisez: "côté développements, il n'a pas beaucoup d'idées". C'était un espèce de préjugé français dont je me suis aujourd'hui débarrassé.

Sibélius, c'est autre chose. Il y a beaucoup de choses qui ne me passionnent pas chez Sibélius. J'ai parlé avec le manager du London Symphony et il a été question de la 7e Symphonie. Mais rien n'est encore sûr. J'ai entendu de superbes interprétations de Sibélius par George Szell avec l'Orchestre de Cleveland lorsque je partageais avec lui une tournée au Japon. C'était en 1967. Il y dirigeait la 4e. Si je m'aiguillais là-dessus, c'est quand même la 7e qui m'intéresserait davantage. 

Jean-Luc Tingaud, César Franck et les trésors de la musique française 

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Le chef d'orchestre Jean-Luc Tingaud publie un enregistrement consacré à César Franck. Primé d'un Joker Absolu de Crescendo, cet album propose, entre autre, la merveilleuse Psyché, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du compositeur franco-belge. À cette occasion, le chef d'orchestre revient sur la place de César Franck dans l'Histoire de la musique et sur son parcours discographique exemplaire au service de la musique française.

Vous avez enregistré pour Naxos différentes partitions de compositeurs français : Bizet, d’Indy, Poulenc, Dukas et Franck. Comment déterminez-vous ces compositeurs et ces programmes ? 

J’avais eu un premier contact avec Naxos quand j’étais assistant de Manuel Rosenthal. Yves Riesel, qui à l’époque dirigeait Naxos France, m'avait envoyé à Monte-Carlo aider Rosenthal pour le disque Gaîté Parisienne. Puis au cours de ma carrière de chef d'opéra, un enregistrement sur le vif de la radio allemande SWR du festival Rossini in Wildbad du Siège de Corinthe parut chez Naxos et remporta un grand succès. Alors Klaus Heymann, directeur de Naxos, me proposa de démarrer une série de musique symphonique française. Je remarquai que nombre de grandes symphonies manquaient à leur catalogue. C’est ainsi que nous avons commencé à explorer ce répertoire qui me passionne au plus haut point. J’étais chef invité régulier de l’orchestre national de la radio de Dublin RTE qui selon moi a des couleurs parfaites pour la musique française. Puis quelques années plus tard, nous avons transféré les micros à Glasgow avec le somptueux orchestre Royal d’Ecosse.

Ivan Boumans, compositeur

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Ivan Boumans - The White Chair Session

Ivan Boumans, lauréat du Prix du Compositeur des International Classical Music Awards 2020, est un musicien très polyvalent. Outre la composition, il est également professeur et chef d'orchestre. Sa toute dernière œuvre orchestrale, Organic Beat, devait être présentée en première au gala des ICMA 2020 à Séville. Après l'annulation de cet événement, le conseil d'administration du jury (dont Crescendo Magazine est membre) a décidé postposer cette première audition. La nouvelle partition d'Ivan Boumans sera créée en 2021, lors du prochain gala, avec l'Orchestre Symphonique du Liechtenstein. Guy Engels (Radio 100,7, Luxembourg), membre du jury, a pu s’entretenir avec le lauréat.

Quand avez-vous commencé à vous intéresser sérieusement à la musique ?

J'ai grandi dans un petit village espagnol où il ne se passait pas grand-chose jusqu'au jour où est née l'idée de créer un orchestre d'instruments à vent. Mes parents ont pensé que ce serait une bonne occasion pour leur fils de faire quelque chose de significatif pendant son temps libre. Au début, je n'aimais pas ça, mais j'avais une certaine aisance et une perception musicale rapide. Le véritable intérêt -la passion- n'est apparu qu'en 1998, quand j'ai déménagé au Luxembourg et que je m’y suis inscrit au conservatoire.

Günter Pichler, à propos du quatuor Alban Berg 

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À l’occasion des 50 ans du Quatuor Alban Berg, Warner réédite un volumineux et indispensable coffret intégral. Dans ce cadre, Crescendo-Magazine s’entretient avec Günter Pichler, violoniste fondateur du Quatuor Alban Berg.  

Pourquoi avez-vous choisi le nom "Alban Berg" pour nommer le quatuor ? Pourquoi ce nom était-il symboliquement important pour vous ?         

 Avec ce nom, nous voulions souligner l'importance de la musique du XXe siècle pour nous. 

En quoi la création d'un quatuor à cordes à plein temps était-elle innovante à Vienne dans les années 1970 ?         

À Vienne, tous les quatuors étaient constitués de braises de la Philharmonie viennoise à une exception près, le Quatuor Kolisch. Dès lors, notre démarche était assez « novatrice ». 

Le quatuor Alban Berg a été particulièrement actif dans le répertoire contemporain. Pourquoi cet intérêt pour les compositeurs contemporains était-il si important pour vous ?       

Nous étions convaincus que le XXe siècle avait produit des compositeurs exceptionnels qui, cependant, n'étaient pas assez joués. Pour nous, il était crucial de rapprocher ces compositeurs du grand public. 

Lorsque nous examinons la liste des partitions contemporaines que vous avez enregistrées, nous pouvons constater une grande amplitude stylistique chez les compositeurs : Rihm, Schnittke, Berio, Lutoslawski, Von Einem... Comment avez-vous sélectionné ces compositeurs ?    

Nous avons commandé des quatuors à cordes aux compositeurs que vous avez nommés et avons créé ces partitions, car nous les considérions comme les compositeurs les plus influents du siècle. 

Roberto Forés Veses, chef d’orchestre engagé 

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Directeur musical de l’Orchestre national d’Auvergne basé à Clermont-Ferrand, Roberto Forés Veses fait paraître un programme contemporain consacré à deux premières mondiales de Betsy Jolas et Thierry Escaich pour « Orchestre national d’Auvergne Live », le label digital de l’orchestre. La phalange auvergnate ne cesse de s’affirmer comme l’un des orchestres les plus innovants et dynamiques de la scène hexagonale. 

Cette septième parution d’Orchestre national d’Auvergne Live depuis son lancement en janvier 2019 est consacrée à deux oeuvres de notre temps. En quoi défendre la musique contemporaine est-il important pour vous ? 

C’est plus qu’une importance, c’est une obligation ! J’ai toujours considéré la défense du répertoire contemporain comme un devoir. De plus, l’Orchestre national d’Auvergne est une formation de chambre avec des instruments et cordes et le répertoire de base pour cette spécificité instrumentale n’est pas très large ; dès lors, il est important d’élargir notre fond d’oeuvres par la création contemporaine. De plus, cette mise en avant du répertoire de notre temps est également un vecteur pour identifier internationalement l’orchestre.

Comment avez-vous eu l’idée de programmer ces deux oeuvres. Comment s’est passée votre découverte de ces deux compositeurs ? 

Je connaissais la musique de Thierry depuis de nombreuses années. Déjà en 2012, j'avais dirigé l’orchestre dans son Erinnerung pour orchestre à cordes. En 2017, nous avons joué le Concerto pour orgue de Poulenc à l’Auditorium de Lyon et nous avons donc fait connaissance. Cette rencontre a débouché sur sa résidence comme compositeur auprès de l’Orchestre national d’Auvergne avec, entre autre, l’enregistrement live de son Prélude symphonique

Pour Besty Jolas, je n’avais pas encore dirigé sa musique mais je connaissais sa très grande réputation et sa forte notoriété dans le monde anglo-saxon. Il se trouve que la nouvelle directrice du Festival « Musique démesurée » de Clermont-Ferrand, la compositrice Sophie Lacaze, voulait mettre à l’honneur des compositrices et elle a suggéré le nom de Betsy Jolas. Dès lors, ces discussions ont débouché sur la co-commande de Side Roads pour violoncelle et orchestre à cordes avec l’Orchestre de chambre de Suède. Je suis très heureux d’en présenter le premier enregistrement mondial en compagnie d’Anssi Karttunen. 

Grete Pedersen, cheffe de choeur 

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Grete Pedersen est l’une des cheffes de choeur des plus renommées de notre époque. Au pupitre de ses Norwegian Soloists’ Choir et du Norwegian Radio Orchestra, elle vient de publier un enregistrement consacré à Luciano Berio avec une interprétation magistrale de Coro, l’un des plus grands chefs d’oeuvre de la musique chorale. 

Que représente Coro pour vous ? Pourquoi cette partition est-elle si importante dans l'histoire de la musique chorale ? 

Pour moi, c'est l'une des plus grandes œuvres ! Berio traite de nombreux aspects de manière étonante : individualité versus tutti, chanteurs versus instrumentistes, le fond et la forme. J'ai toujours aimé travailler l’association des chanteurs et des instruments, mais je préfère diriger des oeuvres qui proposent des textes avec de la substance que des partitions intègrant des musiques folkloriques. Dès lors, Coro, qui mixe ces différents aspects, était pour moi une partition exemplaire ! Dans cette musique, tous les aspects et tous les interprètes sont tellement tissés et imbriqués que pour la faire résonner dans toute sa richesse, chacun dépend totalement des autres. Dans une interview, Sir Simon Rattle a classé Coro parmi ses trois meilleures œuvres pour chœur et orchestre et il a comparé sa qualité et son importance à la Passion selon Saint-Matthieu de Bach. Je ne pourrais pas être plus d'accord ! 

 De nombreuses partitions "d'avant-garde" de la seconde moitié du XXe siècle ont particulièrement vieilli et sonnent surannées, alors que Coro ne cesse de nous éblouir. Quelle est la force de cette œuvre ? 

Il faut considérer d’abord la clarté de l'architecture de la partition avec ses 31 parties, ses refrains récurrents, et le texte de Pablo Neruda. La façon dont Berio introduit la musique et les textes, avec subtilité et naturel, en fait un mélange bigarré et coloré qui n'est pas artificiel. Cet aspect évolue et grandit tout au long de la partition. La musique est aussi pleine de joie, d'espièglerie, de désir d'amour et de sérieux, combinés à de soudaines surprises. Et, bien sûr, les multiples citations du texte de Pablo Neruda Come and see the blood in the streets nous ramènent à une dimension plus profonde et significative -n'oubliez pas l'injustice, n'oubliez pas ceux qui se sont battus pour notre liberté. Coro a un sens politique et il est impossible de détourner le regard.

Beethoven autour du monde avec le Quatuor Ebène 

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Dans le cadre de l’année Beethoven, le Quatuor Ebène propose la parution d’une intégrale des quatuors enregistrée à l’occasion des étapes d’une tournée à travers les continents. A cette occasion, Crescendo Magazine rencontre Gabriel Le Magadure, second violon et membre fondateur du quatuor.  

Ma première question est liée à l’actualité. Comme beaucoup d’Européens, vous devez vivre au rythme du confinement. Cependant, comment cela se passe-t-il pour les membres d’un quatuor à cordes ? Est-ce que vous travaillez ensemble via vidéo-conférence ? 

Cette situation exceptionnelle nous a imposé une réflexion fondamentale ainsi qu’une réorganisation profonde de nos emplois du temps et de nos vies. Répéter via des plateformes numériques semblait inconcevable compte tenu des connexions parfois hasardeuses, des décalages qui peuvent en découler, mais aussi des qualités sonores souvent exécrables. Il nous manquerait l’essentiel : la vibration des cordes, l’alchimie des sons, le sentiment d’être réels.

Donc pour le moment ces rendez-vous Skype ou FaceTime nous servent surtout à évoquer le futur plus ou moins proche et à planifier un agenda de déconfinement (enregistrer des disques par exemple, puisque la reprise des concerts est encore trop floue).

Le quatuor Ebène fait partie des top formations mondiales, des top teams comme on dirait en Formule 1. Quels sont les secrets pour maintenir un tel niveau artistique et musical ? Est-ce qu’il y a des rituels dans votre manière de travailler et de répéter ?

Nous ne cessons de répéter depuis des années qu’il y a trois secrets pour maintenir un niveau d’exigence : le travail, le travail… et le travail. Plus sérieusement, chaque groupe a ses propres secrets ou rituels, et ils sont probablement tous valables.

Nous avons pour habitude, depuis nos débuts, de répéter énormément car nous avons besoin de temps et d’expérience pour mûrir les choses, de travailler très lentement pour façonner l’équilibre, la justesse, l’homogénéité. Nous sommes passionnés d’harmonie et le fait de jouer les œuvres « au ralenti » constitue un véritable bain de jouvence pour nos oreilles.