De la nécessité du temps long

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Ce lundi, le jury des International Classical Music Awards a rendu publique la liste des finalistes 2020. Les lauréats seront annoncés le 21 janvier prochain. Cette sélection, issue des votes des médias musicaux européens, témoigne de la grande variété, de l’ambition éditoriale et de l’excellence à travers les frontières. Que ce soient les grands labels historiques ou des labels plus modestes mais qui se mettent au service d’une haute exigence. Force est de constater que les pays francophones sont très bien représentés dans cette sélection qui ressort des centaines d’albums que nous recevons par an, pour le meilleur ou pour le plus inutile. Ainsi, c’est avec grand plaisir que nous retrouvons les noms de Jodie Devos, Lionel Meunier, Christophe Rousset, Stéphane Denève, Pascal Dusapin, Léa Desandre, Sabine Devieilhe, Raphael Pichon, Karine Deshayes, Jean-Sébastien Bou, les Talens Lyriques, Cédric Tiberghien, le quatuor Diatoma….et les labels Cyprès, Alpha, Ricercar, Claves, Harmonia Mundi, Naïve…

Dans un marché mondialisé où les nouveaux entrants sont annuellement nombreux et où l’offre éditoriale est pléthorique, la réussite repose sur une recherche éditoriale de pointe. Les productions finalistes répondent à cette ambition et proposent largement des oeuvres qui sortent des sentiers battus et que les artistes portent au plus haut. Car l’interprétation de la musique classique repose sur la perpétuation d’un art basé sur une triangulation faite certes de sensibilité, mais surtout de savoir et de savoir-faire qui se transmettent au plus haut niveau. L’accessibilité sans commune mesure aux sources et la force de frappe des technologies font le reste. Dans ce cadre, il faut recontextualiser la manie contemporaine de démystifier, réinventer ou ouvrir le classique à tous les courants de la mode du moment ou d’ambitions militantes et souvent égotiques. La perpétuation d’un art ou la haute compétence dans cet art ont hélas tendance à être de plus en plus suspects à une époque qui souhaite passer les oeuvres du passé au tribunal de l’actualisation et de l’ouverture. On notera la prétention monumentale de contemporains qui se sont manifestés par un pillage sans vergogne des ressources naturelles et qui génèrent des millions de tonnes de déchets à avoir l’outrecuidance de vouloir tout réinventer et juger à l’aune de ses “valeurs” ! Au Japon, la perpétuation des savoir-faire est valorisée et même reconnue à travers la notion de "trésors nationaux vivants" qui “renvoie aux personnes désignées comme gardiens de biens culturels intangibles importants”. Des budgets importants, sous la houlette du ministère national de l’éducation, sont même alloués à valoriser et transmettre ces savoir-faire et ces savoirs : le théâtre japonais qu’il soit , kabuki ou bunkaru en fait naturellement partie. Certes, le modèle n’est pas exportable et correspond à un héritage culturel propre au Japon, mais l’idée de valoriser le meilleur des techniques et des connaissances du passé au service du présent trouve un écho particulier dans la musique classique. 

N’oublions pas non plus que la musique classique est à la fois un produit d’exportation et un vecteur essentiel d’un « soft power » international. Rappelons que le Sultanat d’Oman a construit un opéra où se produisent des troupes européennes : l’Opéra de Monte Carlo et l’Opéra Royal de Wallonie viennent d’y mener, avec succès, des tournées de prestige. Rappelons aussi les milliers d’étudiants du monde entier, principalement d’Asie, qui se bousculent aux portes des écoles supérieures de musique d’Europe. Observons encore, dans le classement des finalistes des ICMA, la place de la Lettonie, petit pays balte qui depuis son indépendance est l’un des grands exportateurs d’excellence musicale ! Tous ces cas ne sont-ils pas le meilleur symbole de “l’ouverture” si présente dans certaines bouches ?  

Car au final, il n’y a pas de secret, l’exigence et l’excellence sont les deux seules routes à suivre dans un marché global, au risque d’un décrochage fatal. Le reste n’est que perte de temps futile et stérile qui ne conduira qu’à descendre les marches au lieu de les gravir.  

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Pixabay

  

 

   

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