Kazuki Yamada, son chœur de Tokyo, son orchestre de Monte-Carlo et Gabriel Fauré

par

Gabriel Fauré (1845-1924) : Requiem* ; Cantique de Jean Racine. Regula Mühlemann, soprano* - Jean-François Lapointe, baryton* - Saya Hashino, orgue* - Chœur Philharmonique de Tokyo - Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo - Kazuki Yamada. 2019. 39’35. Livret en en français. OPMC Classics

La genèse du Requiem de Fauré est assez complexe, mais pour simplifier, nous dirons qu’il en existe deux versions : celle de 1893, avec un effectif orchestral réduit, dite parfois « version d’église », et celle de 1900, à l’orchestration (probablement pas de Fauré lui-même) plus étoffée, dite « version de concert ».

Dans le très court texte de présentation de cet enregistrement, l’auteur – qui n’est pas cité – se demande : « Cette  version  symphonique  pouvait-elle  être  fidèle  aux  intentions premières de Fauré ? » Il est même question d’« alourdissement  orchestral » pour cette version de 1900... qui est pourtant celle qui est ici enregistrée.

Contrairement à bien d’autres Messes des morts, qui suscitent l’épouvante par un traitement terrifiant du Jugement dernier, le Requiem de Fauré est délibérément optimiste. Le compositeur disait lui-même : « On a dit qu'il n'exprimait pas l'effroi de la mort, quelqu'un l'a appelé une berceuse de la mort. Mais c'est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d'au-delà, plutôt que comme un passage douloureux. On a reproché à la musique de Gounod d'incliner trop à la tendresse humaine. Mais sa nature le prédisposait à sentir ainsi : l'émotion religieuse prend en lui cette forme. Ne faut-il pas accepter la nature de l'artiste ? Quant à mon Requiem, peut-être ai-je aussi, d'instinct, cherché à sortir du convenu, voilà si longtemps que j’accompagne à l’orgue des services d’enterrement ! J’en ai par-dessus la tête. J’ai voulu faire autre chose. »

Kazuki Yamada penche plutôt de ce côté. Tout n’est pas que douceur, et c’est heureux, car certains passages (dans le Libera me par exemple) nous rappellent que le passage à la mort a tout de même ses moments de rébellion. Mais ils sont rares dans cette version. Les nuances forte restent le plus souvent en-deçà d’un certain seuil. Il est dommage que ce soit aussi le cas, dans l’autre sens, de quelques nuances piano. Nous pourrions attendre parfois des ambiances encore plus recueillies et intérieures. Il arrive aussi que les crescendos démarrent un peu plus tôt qu’indiqué. C’est donc une version très honnête, mais peut-être pas absolument aboutie. Rien ne vient perturber une écoute assez confortable, qui aurait peut-être plu au compositeur, lui qui avait dit : « Mon Requiem est doux comme moi-même » ; tout au plus, ici ou là (les cors dans le Sanctus), des intentions musicales font quelque peu tanguer l’équilibre général.

Nous n’en dirons pas tout à fait autant du baryton soliste, Jean-François Lapointe. Favorisé par la prise de son, ses interventions (Hostias et Libera me) ne sont pas dans la même tonalité plutôt retenue de l’ensemble. Il met ses indéniables qualités vocales au service d’un certain lyrisme, et d’une expressivité qui attirent immédiatement notre attention. La soprano, Regula Mühlemann, qui commence à se faire un nom, en particulier grâce à des enregistrements d’opéras et d’airs de Mozart où elle se montre plus sensible que virtuose, a pour le Pie Jesu la voix idéale, claire et pure. L’on pourrait presque entendre un enfant, comme lors de la création (aucune femme ne chantait alors dans le Chœur de la Maîtrise de la Madeleine) ; mais le timbre est bien celui d’une voix adulte. Ses intentions musicales sont sobres, intérieures, jamais appuyées.

Gabriel Fauré avait dix-huit ans quand il composa son Cantique de Jean Racine, pour obtenir son Prix de composition. Rien de scolaire, pourtant, mais au contraire du recueillement, de la noblesse et de la gravité dans cette courte œuvre chorale. Cette version ajoute à ces caractéristiques une certaine légèreté, tout à fait bienvenue.

Kazuki Yamada a déjà une belle carrière de chef d’orchestre. Il est actuellement très actif au Japon. Il a déjà réalisé près d’une vingtaine de disques, qui montrent qu’il est loin de ne se cantonner qu’à un seul répertoire. Cet enregistrement a été l’occasion de réunir pour la première fois deux formations dont il est directeur artistique et musical : l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et le Chœur Philharmonique de Tokyo. Si elles ne peuvent ni l’une ni l’autre rivaliser avec les plus illustres chœurs et orchestres, on sent bien que leur réunion n’est pas que de circonstance. Nous leur souhaitons d’autres aventures communes !

Cet enregistrement, au minutage particulièrement court, n’est disponible qu’en streaming et en téléchargement.

Son : 7 – Livret : 6 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7 

Pierre Carrive 

 

 

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