Le chef d'orchestre Bas Wiegers à Metz

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Ce vendredi 5 décembre l’orchestre national de Metz Grand Est était placé sous la direction du chef d’orchestre néerlandais Bas Wiegers pour un concert mettant ses pupitres sous les feux de la rampe. 

Il commençait par la brève œuvre de la compositrice contemporaine canadienne Cassandra Miller Swim.  Cette composition tenant durant ses dix-sept minutes de Jean Sibelius pour son atmosphère neutre, de John Williams pour ses aspects quelques fois cinématographiques, et de György Ligeti  pour son statisme, était sans doute la plus difficilement abordable de ce concert à un public profane, mais restait nonobstant très intéressante dans ses variations autour d’un thème simple, presque blanc, par les différents pupitres et sa progression parfois sur une note par un instrument. Elle permet à l’orchestre de commencer à montrer la qualité des pupitres sous une lumière glacée, lactescente et quasi hypnotique. Outre les cordes, les pupitres des vents, et notamment des cuivres purent ici faire exposer déjà leurs techniques.

Les grâces de Mozart et de Bizet, de Mitsuko Uchida et de Klaus Mäkelä

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La plus grande partie du public venait sans doute pour écouter la grande, très grande Mitsuko Uchida. D’autant qu’elle jouait un Concerto de Mozart, compositeur qu’elle incarne comme personne. Elle avait choisi le N° 17, en sol majeur, de 1784, le premier d’une série de onze chefs-d’œuvre absolus, que l’on peut considérer comme la quintessence du génie de Mozart. Deux autres œuvres, d’époques très différentes, étaient au programme de ce concert de l’Orchestre de Paris dirigé par son directeur musical Klaus Mäkelä : la création française de Hell Mountain d’Anders Hillborg (créé en 2024), et la Symphonie en ut majeur de Georges Bizet, un véritable bijou écrit en 1855, alors qu’il avait tout juste dix-sept ans, et qui, d’une certaine manière, fait écho au Mozart entendu en première partie. Disons-le ici, pour ne pas y revenir : la pièce centrale ne dégageait pas le même éblouissement.

Mitsuko Uchida et le Dix-Septième Concerto de Mozart, donc. Dans son excellent enregistrement de 1992, avec l'English Chamber Orchestra et Jeffrey Tate, Mitsuko Uchida a eu la très pertinente idée de le faire précéder par le Quintette pour piano et vents. Outre qu'ils sont exactement contemporains, leur écoute successive agit comme un exhausteur de goût pour ce qui fait la saveur si particulière des œuvres concertantes de Mozart : les dialogues entre le piano et les vents.

Biber par Gunar Letzbor, réédition d’une sage intégrale des Sonatæ violono solo

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Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Sonatæ violono solo en la majeur, ré mineur, fa majeur, ré majeur, mi mineur, do mineur, sol mineur, sol majeur C. 138-145 [Nuremberg, 1681]. Sonata Representativa C. 146. Ars Antiqua Austria. Gunar Letzbor, violon. Lorenz Duftschmid, viole de gambe, violone. Michael Oman, viole de gambe. Roberto Sensi, violone. Axel Wolf, théorbe, luth. Wolfgang Zerer, orgue, clavecin. Juin 1994, rééd. 2025. Livret en allemand, anglais. Deux CDs 53’10 + 47’03. Christophorus CHE 0236-2

Seong-Jin Cho et Kazuki Yamada à Monte-Carlo

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Les concerts du Philharmonique de Monte-Carlo se succèdent sans répit, chacun avec sa couleur propre. Pour son dernier concert de l’année, Kazuki Yamada proposait un retour aux grandes pages du répertoire russe, avec trois chefs-d’œuvre de Prokofiev, Rachmaninov et Chostakovitch. Le programme, remanié à la dernière minute, abandonnait Le Chant des forêts — trop exigeant en renforts vocaux — au profit de la Symphonie n°9 de Chostakovitch. Un changement qui n’a en rien altéré l’élan de la soirée.

Le concert s’ouvre sur la Symphonie classique de Prokofiev, hommage malicieusement détourné à l’esprit de Haydn. Sous la direction vive et lumineuse de Yamada, l’O.P.M.C. en offre une lecture étincelante : vivacité ciselée, humour parfaitement assumé, et cette élégance naturelle qui fait respirer chaque motif. Le chef japonais en souligne la grâce juvénile, la précision rythmique et la verve pétillante, donnant à l’ensemble une fraîcheur irrésistible.

Le public monégasque retrouvait avec bonheur Seong-Jin Cho, star coréenne du piano et fidèle invité du Philharmonique. La Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov est d’abord un écrin de virtuosité, un théâtre d’illusions et de prouesses. Cho y déploie un art souverain : une virtuosité ferme et fluide, un sens aigu de la nuance, et un toucher d’une délicatesse argentée. Son jeu, à la fois majestueux et habité, conjugue intensité et raffinement dans un équilibre rare. Les variations s’enchaînent comme autant de tableaux mouvants — tour à tour espiègles, mystérieux, incandescents — jusqu’à une variation finale menée avec un souffle irrésistible, véritable tourbillon de couleurs et d’émotions.

Week-end Berio à Radio France 

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Outre l’intégrale des séquenze proposée la semaine d’avant à la philharmonie, Radio France nous a présenté vendredi et samedi deux des pièces les plus exaltantes du compositeur. Sinfonia et Laborintus II. La programmation a choisi de dispatcher les deux pièces dans des concerts différents, et de les accompagner de compléments de programme en lien plus ou moins étroits avec le compositeur. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est dirigé par Pascal Rophé.

Berio, c’est mon mentor de fin d’adolescence. Celui avec qui j’aimais déranger mes semblables ! Lorsque j’ai débarqué en faculté de musicologie, et au conservatoire, les cours d’analyse, composition et d’histoire de la musique se sont révélés être des sources d’énergie nouvelles par le biais de professeurs passionnés. J’étais issu de l’école de musique d’une petite ville, le cœur rempli de piano romantique, de pop-music, d’opéra italien. Jusqu’ici, alors que certaines dissonances de Ravel me faisaient encore grincer des dents, on m’avait présenté la musique dite « contemporaine » comme difficile, bizarre, voire comme une blague ! 

Berio a été le premier à avoir eu mon aval dans la distinction entre “la vraie musique” et “le n’importe quoi”. Enfin un compositeur atonal qui trouvait grâce à mes yeux : il fut le marchepied vers ses camarades de Darmstadt (Boulez, Stockhausen, Xenakis, Ligeti). Pourtant, il n’était pas le plus accessible : sa rigueur structurelle demandait pas mal d’initiation. Mais son influence allait au-delà du langage : il avait cette capacité à intégrer Mahler, le madrigal, les Beatles, le jazz, le folklore, dans un discours d’avant-garde délirant, érudit, politique.

Alors, quand on me propose pour son centenaire deux pièces aussi emblématiques, sur les partitions desquelles j’ai passé pas mal d’heures d’études, je me précipite, avec toutefois, la légère appréhension de sentir sur elles, quelques marques du temps. 

Sur le papier, associer Berio à des créations de jeunes compositeurs.trices semble cohérent. Mais en lisant le programme, je me surprends à regretter de n’avoir pas profité du centenaire pour jouer d’autres de ses opus percutants et rares, comme A-Ronne ou Cries of London, l’ensemble vocal étant déjà là. Ce regret se confirme dès la première pièce : Sea sons seasons de la compositrice islandaise Bára Gísladóttir. Entre l’aspect descriptif de la mer, l’écriture de masse et l’utilisation bruitiste des modes de jeu, je me sens très loin de l’esprit de Berio, qui, malgré son exploration extrême des instruments dans les Séquenze, n’était pas friand d’un tel premier degré.

Un Elisir d’amore indémodable au Liceu

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C’était en 1983 lorsque Mario Gas, un acteur et metteur en scène de théâtre catalan très populaire, s’est vu proposer par le Festival de Peralada (Costa Brava) de signer scéniquement l’un des chefs d’œuvre de Gaetano Donizetti, production reprise peu après par l’opéra des Ramblas. Plus de quarante ans plus tard, cette proposition peut sembler surannée si l’on se réfère à un décor minimaliste, portrait de la laideur insupportable et prétentieuse des quartiers péri-urbains du fascisme mussolinien (qui rappelle autant l’Espagne de cette époque...) où Gas a voulu déplacer l’action originale, prévue par Scribe chez les campagnards illettrées du Poitou au début du XIXème siècle. Mais si on se réfère à la mise en scène, son travail n’a pas pris la moindre ride : c’est drôle, sautillant, empreint de nuances et de vie. Il faut dire que Leo Castaldi, un habitué des reprises au Liceu, est lui aussi un artiste très créatif et minutieux avec le jeu d’acteurs. Dans ce cas-ci, il devient difficile de discerner l’original de la copie… Il y a des moments uniques, comme ce chœur de clôture du premier acte où tous les artistes, disposés au premier plan en demi-cercle, font une performance chorégraphiée aussi simple qu’effective, mais c’est tout l’ensemble de la pièce qui est parsemé d’idées brillantes. Et cela fait ressortir très nettement le talent dramatique de Donizetti : ce rythme théâtral endiablé est peut-être encore plus organique et efficace que celui de Rossini et n’a pas souvent trouvé son pareil. Chaque scène trouve la musique qui fait le mieux ressortir les interactions ou les sentiments des personnages, le tout dans la joie et la légèreté, pour devenir quelques fois des icônes de notre histoire musicale comme cet archiconnu Una furtiva lagrima. La légende dit qu’il aurait écrit L’Elisir en deux semaines : c’est aussi possible que discutable car on sait à quel point les compositeurs recyclaient leur propre musique : Bellini, dans son air Qui la voce sia soave de I Puritani, reprend pratiquement textuellement la mélodie publiée préalablement avec accompagnement de piano sous le titre de La Ricordanza. Händel, Bach, Vivaldi, Haydn ou Mozart avaient fait de même. Mais parvenir à une telle logique dans le discours sur presque trois heures de spectacle, requiert une capacité et une vue d’ensemble absolument uniques.

Bach : quatre Choralkantaten autour de Pierre Hantaï, étape à Weimar pour Les Arts Florissants

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates Gelobet sei der Herr, mein Gott BWV 129 ; Was willst du dich betrüben BWV 107 ; Was Gott tut, das ist wohlgetan BWV 99 ; Lobe den Herren, den mächtigen König der Ehren BWV 137. Dorothea Mields, soprano. Margot Oitzinger, mezzo-soprano. Florian Sievers, ténor. Matthias Vieweg, basse. Taipei Chamber Singers. Le Concert Français. Formosa Baroque. Pierre Hantaï. Septembre 2024. Livret en français, anglais, chinois ; paroles en allemand et traduction trilingue. 64’51’’. Paraty 2025006

A life in music vol 2. The Weimar years. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen BWV 12 ; Nun komm, der Heiden Heiland BWV 61 ; Himmelskönig, sei willkommen BWV 182. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : cantate Nun komm, der Heiden Heiland TWV 1:1178. Johann Michael Bach (1648-1794) : Nun komm, der Heiden Heiland, choral pour orgue. Paul Agnew, Les Arts Florissants. Miriam Allan, Violaine Le Chenadec, soprano. Maarten Engeltjes, Nicolas Kuntzelmann, contre-ténor. Thomas Hobbs, Benoît Rameau, ténor. Edward Grint, Anicet Castel, basse. Tami Troman, Liv Anna Heym, violon. Galina Zinchenko, Simon Heyerick, alto. Félix Knecht, violoncelle. Thomas de Pierrefeu, contrebasse. Anaïs Ramage, flûte à bec, basson. Nevel Lesage, Clara Espinosa Encinas, hautbois. Serge Tizac, trompette. Diego Salamanca, luth. Florian Carré, orgue continuo. Benjamin Alard, orgue de l’église Sainte-Aurélie de Strasbourg. Mai 2023. Livret en français, anglais, allemand. 77’46’’. Harmonia Mundi HAF 8902728

Herreweghe et l’Orchestre des Champs-Élysées à Bozar

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Ce mercredi 3 décembre se produit l’Orchestre des Champs-Élysées à Bozar. La phalange fait halte dans la capitale belge dans le cadre de sa tournée européenne, sous la direction de son fondateur et directeur musical Philippe Herreweghe. Deux œuvres sont au programme : la Troisième Symphonie en mi bémol majeur, op. 55 de Beethoven, dite « Héroïque », et le Requiem en do mineur de Luigi Cherubini. Pour la seconde partie, le Collegium Vocale Gent, également fondé par Herreweghe en 1970, se joint à la formation orchestrale.

Le concert s’ouvre avec l’Héroïque. Les deux œuvres de la soirée entretiennent, de près ou de loin, un lien avec Napoléon Bonaparte : Beethoven avait initialement envisagé de dédier sa symphonie au Premier consul, avant de renoncer lorsqu’il se proclama empereur ; Cherubini, quant à lui, chercha à se concilier les faveurs d’un homme exerçant une forte influence sur la vie culturelle et artistique.

Philippe Herreweghe et l’Orchestre des Champs-Élysées proposent une interprétation élégante sur des instruments d’époque. Ce choix confère à l’œuvre une sonorité singulière, plus ronde et chaleureuse, notamment dans les vents, par contraste avec la puissance d’un orchestre moderne. Une grande attention est portée aux détails d’articulation, aux accents incisifs et à la dynamique interne. Les tempos, vifs, surprennent agréablement dans le deuxième mouvement, dont la marche funèbre, plus mobile qu’à l’accoutumée, gagne en tension expressive. Le premier mouvement, d’un élan dansant, trouve son pendant dans un Scherzo tout aussi vif, avec un trio aux appels triomphants porté par les cornistes. Le finale, quant à lui, conclut la symphonie avec énergie et maîtrise.