Concert de Noël de l’Orchestre National de Lille : Casse-Noisette

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Au Nouveau-Siècle, des milliers de grains de sable ont été les danseurs de cette représentation de Casse-Noisette. Leur chorégraphe fut l’artiste sur sable Ksneniya Simonova. L’interprétation du chef d’orchestre Dmitri Matvienko est éclairée avec poésie par les grains qui se constituent et se reconstituent sans cesse en dessins sur la table lumineuse. 

Les œuvres éphémères et le processus de création sont tellement fascinants que le visuel a dominé sur l’auditif lors de cet événement. Le fait que le dessin sur sable est peu commun en France a certainement joué sur la primauté du visuel. Même si cet art est courant en Europe de l’Est, l’ONL a permis de faire découvrir à une majorité du public, toute la poésie du Sand Art

Ksneiya Simonova met en mouvement ses grains de sable en fonction des différents moments. Le dessin qui est abouti à la fin d’une scène va reprendre vie au début de la partie suivante pour redevenir une œuvre mouvante jusqu’à la fin du mouvement. Les tableaux se succèdent et, même si l’on reconnaît des fleurs, des sapins et les formes attendues que l’on retrouve dans les tableaux de Casse-Noisette, il ne s’agit aucunement d’un figuralisme facile. Le processus de création accompagne la musique. Souvent l’ombre des mains, animant les formes, joue avec la musique en suivant une pulsation ou un phrasé. Ce jeu semble être comme une invitation à écouter plus attentivement un motif ou un aspect de la partition.

 La version proposée par le chef d’orchestre Dmitri Matvienko qui, comme Tchaïkovsk,i a étudié au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, est intéressante. En effet, elle a amené à se poser la question de ce qu’on attendait de cette œuvre au carrefour des cultures slaves et occidentales. La formation académique et les formes utilisées par Tchaïkovski sont sans nul doute empreintes d’une culture occidentale. Toutefois, ce compositeur disait « Je suis russe, russe, jusqu’à la moelle des os ». On a certainement tendance à attendre une direction emplie de passion pour les chefs et les œuvres slaves. L’interprétation musicale de Dmitri Matvienko portait un certain académisme avec notamment une grande stabilité de la pulsation dans les scènes. On comprend aisément que celle-ci doit rester rigoureuse pour une musique de ballet mais certains auront pu être surpris par l’exécution de certaines scènes habituellement interprétées avec plus de souplesse. Le chef a fait le choix d’une interprétation que certains ont pu trouver assez rigide. Toutefois, la question est de savoir ce qu’aurait désiré le compositeur. Les contrastes de nuances sont exécutés mais nous n’atteignons que ponctuellement le fortissimo. Cette interprétation relevant d’un certain académisme par sa stabilité a le mérite de mettre en avant l’unité de l’œuvre sans dissocier les différentes scènes. 

Roberto González-Monjas, explorateur musical 360°

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Le chef Roberto González-Monjas est à Bruxelles pour un concert avec le Belgian National Orchestra dont il est l’un des chefs invités privilégiés, membre de l’équipe artistique de notre phalange nationale. Konzertmeister pendant de nombreuses années de l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome, il s'est rapidement imposé comme l’une des baguettes qui comptent et que les orchestres s’arrachent. Il est également associé à d’autres phalanges à travers l’Europe : le Musikkollegium Winterthur, l’Orchestre Symphonique de Galice (Espagne) et le MozarteumOrchester de Salzbourg dont il prendra les rênes en septembre 2024. Nous le rencontrons à Bruxelles en marge de ses répétitions.

Vous êtes l’un des chefs d’orchestres attachés au Belgian National Orchestra. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ?

Notre collaboration a commencé en pleine période de Covid. C’était au paroxysme de cette période avec la possibilité de faire des concerts, mais dans des conditions très particulières : un public limité à 100 personnes, des musiciens séparés par d’épais plexiglas, des distances entre les musiciens, tout le monde masqué. Mais ce premier contact s’est très bien passé et nous avons ressenti une très belle entente. Peu de temps après, il m’a été demandé si je voulais intégrer la nouvelle équipe artistique aux côtés de Anthony Hermus et Michael Schonwandt et j’ai naturellement répondu positivement. Nous sommes dans la seconde année de ma fonction de chef invité principal et nous avons déjà exploré par mal de répertoires ainsi qu’une tournée au Royaume-Uni avec la Symphonie de César Franck.

Au programme des concerts de cette semaine, il y a une œuvre contemporaine de la compositrice suédoise Andrea Tarrodi, le Concerto pour piano n°3 de Béla Bartók et la Symphonie n°5 de Beethoven. Est-ce que ce mix alléchant d'œuvres de temps différents avec un écho contemporain est quelque chose que vous revendiquez ?

C’est très important pour moi ! Les trois partitions ont en commun une évocation des mondes tant intérieurs qu’extérieurs. La pièce d’Andrea Tarrodi renvoie à la nature et l’humanité ; le Concerto n°3 de Bartók est une pièce gorgée d’émotions, mais avec encore des échos de la nature, en particulier dans le second mouvement, alors que la partition, œuvre d’un compositeur mourant nous touche par ses climats, enfin la Symphonie n°5 de Beethoven nous émerveille par sa force, mais aussi son humanité. Ce sont des partitions dont se dégagent une positivité et une confiance, caractéristiques dont nous avons tant besoin en ces temps si sombres. Cette narration au fil des partitions m’est très chère.

Vous êtes le directeur musical désigné du MozarteumOrchester, l’un des grands orchestres européens. Avec cet orchestre, vous avez fait paraître un disque consacré à des Sérénades de Mozart (Berlin Classics). C’est un choix qui sort de l'ordinaire ! Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est le premier enregistrement que nous avons réalisé ensemble, également pendant cette période de Covid. Ce fut une étape importante dans notre collaboration où chacun a trouvé ses marques. Je trouve personnellement que les Sérénades de Mozart sont incroyablement sous-estimées, elles sont pour moi des merveilles musicales, admirablement écrites. Il me tient à cœur de montrer que ces Sérénades ne sont en rien superficielles et ennuyeuses, qualificatifs que l’on entend souvent. Elles sont tout l’inverse ! Bien sûr, j’adore les symphonies, mais les Sérénades ont une place spéciale dans mon cœur et quand elles sont interprétées avec passion, dévotion et inspiration, elles se révèlent merveilleuses. Le MozarteumOrchester est un orchestre à l’adaptabilité incroyable avec une fabuleuse ouverture aux idées nouvelles tout en les combinant avec un ADN unique car c’est l’orchestre qui a le plus joué Mozart de par le monde ! C’est comme conduire une Ferrari.

Le Belgian National Orchestra au fil des temps

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Pour ce concert de dimanche après-midi, le Belgian National Orchestra, sous la direction de Roberto González-Monjas, l’un des chefs de son équipe artistique proposait un programme contrasté et inspirant qui a drainé un public novice et enthousiaste.

Le concert débutait par Ascension de la compositrice suédoise Andrea Tarrodi. Il s’agit d’un concerto pour orchestre créé en 2015. La partition remplit le cahier des charges de ce type d'œuvre en mettant en avant les pupitres : les atmosphères sont éthérées et la motorique se communique d’instruments en instruments, de glissandi en glissandi et de nuances en nuances. On relève particulièrement des climax houleux qui galvanisent les dynamiques. C’est assurément bien écrit et cela sonne agréablement : une partition parfaite pour une ouverture de concert.      

La présence du magistral Kirill Gerstein était l’un des arguments programmatiques de ce concert. Le virtuose proposait le plutôt rare Concerto pour piano n°3 de Béla Bartók, oeuvre fascinante par son étrangeté d’un ton presque mozartien d’une conversation en musique. Son second mouvement, très naturaliste avec son évocation de la nature dans une pureté digne d’un Bach, est l’un des plus grands moments de musique. Kirill Gerstein propose une lecture juste, aérée, limpide, translucide même parfois mais sans perdre de vue la pâte nécessaire pour faire ressortir la force impactante du dernier mouvement. Le toucher multiplie les couleurs et les angles avec un sens confondant des dynamiques. Le Belgian National Orchestra est au niveau de son pianiste avec une attention à la palette des tons, saluons la prestation des pupitres de vents (en particulier les hautbois et les clarinettes) sous la conduite attentive Roberto González-Monjas. Kirill Gerstein offre en bis l'Étude n°5 György Ligeti, comme irréelle d’un temps suspendu. 

Scintillante et fraternelle Fledermaus à Paris

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L’Ouverture menée au triple galop par le chef Marc Minkowski à la tête des Musiciens du Louvre et du remarquable Cor de Cambra del Palau de la Musica Catalana dirigé par Xavier Puig, regarde manifestement du côté d’Offenbach, terre d’élection du chef français.

A juste titre - « Mon cher Strauss pourquoi ne composeriez-vous pas des opérettes ? » suggérait ainsi le compositeur de La Belle Hélène. Il fallut attendre 1874 pour que le livret issu d’une pièce des français Meilhac et Halévy propulse cette Chauve-Souris en un vol triomphal qui ne s’arrêtera plus.

L’intrigue regorge de quiproquos et de travestissements fort périlleux en version de concert. La mise en scène de Romain Gilbert secondé par une distribution majoritairement germanophone relève le défi avec une vivacité et une efficacité qui la font préférer mille fois aux transpositions saugrenues.

L’esprit viennois prime. Jeux de scènes pleins de verve impliquant chanteurs, salle, orchestre et chef, costumes, accessoires, jubilation de jouer une partition à la fois délicieuse et grave soudent une troupe pourtant modifiée au dernier moment.

Il faut d’autant plus admirer la prestation du baryton autrichien Christophe Filler. Familier du répertoire mozartien et rossinien, il incarne avec brio la figure « pivot » du mari trompeur, trompé et repentant. Cet Eisenstein, plus bourgeois-noceur que patricien, forme une paire savoureuse avec son compère le docteur Falke (le baryton croate Léon Košavić).

Concert de Noël au Tyrol autour d’une messe aux candeurs de terroir

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Tiroler Weihnachtskonzert 2021. Johann Zach (1713-1773) : Missa Pastorella en ré majeur ; Christe redemptor omnium, hymne de Noël ; Eja pastorculi ; Partita pastorale. Stefanie Steger, soprano. Katrin Aunzinger, contralto. Johannes Puchleitner, ténor. Stefan Zenkl, basse. Chœur et orchestre de l’Akademie St. Blasius, Karlheinz Siessl. Livret en allemand, anglais ; paroles partiellement reproduites, en latin et traduction bilingue. Décembre 2021. TT 54’54. Musikmuseum 60 - CD 13059

Musique en Wallonie complète son intégrale des mélodies de Joseph Jongen

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Joseph Jongen (1873-1953) : Intégrale des mélodies, volume 2. Fêtes rouges, op. 57 ; Deux mélodies de Victor Hugo ; Cinq mélodies op. 29 ; Deux mélodies de Sully Prudhomme ; Mélodies diverses. Sarah Defrise, soprano ; Craig White, piano. 2022. Notice en français, en anglais, en néerlandais et en allemand. Textes complets des mélodies, avec traduction en trois langues. 93’ 55’’. Deux CD Musique en Wallonie MEW 2306.

A Genève, un Rosenkavalier maussade 

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Pour les fêtes de fin d’année, le Grand-Théâtre de Genève affiche sept représentations du Rosenkavalier en reprenant la production que Christoph Waltz avait conçue pour l’Opéra des Flandres en 2013. Bien connu des cinéphiles pour ses rôles dans Inglourious Basterds et Django Unchained de Quentin Tarantino, cet acteur viennois de renommée mondiale se tourne sporadiquement vers l’opéra en mettant en scène Fidelio au Theater an der Wien et Falstaff à Anvers. Pour ce Rosenkavalier, il souscrit à une lecture épurée bannissant l’esthétique ‘bonbonnière rococo’ pour privilégier une direction d’acteur approfondie, ce qui lui fait dire : « Aujourd’hui, nous lisons cette histoire tout autrement ». 

Sous des éclairages tamisés conçus par Franck Evin, le décor d’Annette Murschetz consiste en un cadre de bois gris-vert qui se dédoublera pour le salon bien modeste de Herr von Faninal et pour l’auberge campagnarde, tout aussi dégarnie. Au fil de l’action, viennent s’ajouter quelques meubles comme le lit à baldaquin et le guéridon du premier acte, deux ou trois fauteuils et canapés, en reléguant en coulisse l’énorme couche qui devrait tant épouvanter la pseudo Mariandel. Les costumes de Carla Teti mêlent allègrement le XVIIIe et le XXe en donnant à Oktavian un complet-veston bleu aussi quelconque que sa tenue de groom sous un atroce ciré luisant pour une présentation de la rose que l’on minimise au plus vite. D’un déshabillé sans charme rapidement recouvert d’une étole pourpre, la Maréchale passe à une robe tulipe mauve tape-à-l’œil pour le dernier tableau. Le Baron Ochs doit se contenter d’une seule redingote brune à la Philéas Fogg, Sophie en jaune citron semble échappée des Parapluies de Cherbourg, alors que Faninal, son père, est engoncé dans un uniforme militaire.

Mozart expérimental par Harnoncourt à Salzbourg 

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Ouverture de la Flûte enchantée ; Symphonie n°34 en Ut majeur, K.338 ; Concerto pour hautbois en Ut majeur, K.314 ; Symphonie  n°35 “Haffner” en Ré majeur, K.385. Werner Herbers, hautbois ; Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, Nikolaus Harnoncourt.  Bonus : répétitions de la Symphonie n°25 en Sol mineur, K.183. Camerata Salzbourg, Nikolaus Harnoncourt. 1980 & 2006. Livret en anglais et allemand. BVE08071.

Bach sous les masques vénitiens, par un touchant Justin Taylor sur le clavecin d’Assas

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Bach & L’Italie. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Fantaisie chromatique, BWV 903 ; Concerto italien en fa majeur BWV 971 ; Toccata en mi mineur BWV 914 ; Andante [Concerto en si mineur BWV 979] ; Largo [Concerto en sol majeur BWV 973] ; Concertos en ré majeur, en ré mineur, en fa majeur BWV 972, 974, 978 ; Largo e spiccato [Concerto pour orgue en ré mineur BWV 596] ; Allegro [Concerto pour orgue en do majeur BWV 594] ; Andante [Concerto en do majeur BWV anh. 151] ; Fantaisie BWV 921. Antonio Vivaldi (1678-1741 ) : Largo [Concerto pour flûte en do majeur RV 443]. Alessandro Scarlatti (1660-1725) : Arpeggio ; Largo [Toccatas en ré mineur, en sol mineur]. Benedetto Marcello (1686-1739) : Adagio [Sonate VII]. Justin Taylor, clavecin. Mars 2023. Livret en français, anglais, allemand. TT 71’38. Alpha 998

Genève découvre l’envoûtante Sorcière de Camille Erlanger

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Depuis 2017, s’est créée, à Genève, l’Association Ascanio à l’initiative de Guillaume Tourniaire qui veut faire connaître des œuvres musicales injustement oubliées par le biais du concert, de la représentation scénique et l’enregistrement. Ce fut le cas en novembre de cette année-là où une collaboration s’établit entre cette Association et la Haute Ecole de Musique de Genève (HEM) afin de présenter à l’Opéra des Nations la version intégrale d’Ascanio de Camille Saint-Saëns que le chef avait méticuleusement reconstituée. Six ans plus tard, son choix se porte sur un ouvrage aussi méconnu que son auteur, La Sorcière composée par Camille Erlanger entre 1909 et 1912.

Que sait-on de ce musicien né à Paris le 24 mai 1863 et qui y mourut à l’âge de 54 ans le 24 avril 1919 ? Juif alsacien, il fut, dès 1886, élève de Léo Delibes au Conservatoire de Paris, remportant, deux ans plus tard, le premier Grand Prix de Rome devant Paul Dukas. Et c’est en Italie qu’il entreprend la composition de Saint Julien l’Hospitalier, légende lyrique qui lui vaudra un grand succès lors de sa création au Conservatoire de Paris le 26 avril 1896. Il produit ensuite douze opéras, dont Le Juif polonais donné à l’Opéra-Comique le 11 avril 1900 et présenté par Gustav Mahler à Vienne en octobre 1906, ainsi qu’Aphrodite d’après le roman de Pierre Louÿs, créée Salle Favart le 27 mars 1906 avec Mary Garden et Léon Beyle, qui lui vaudra un triomphe. 

Quant à La Sorcière, cet opéra en 4 actes et 5 tableaux est basé sur un livret d’André Sardou d’après la pièce éponyme de son père, Victorien Sardou. Sombre drame que cette action se déroulant à Tolède en 1507 où le chef des archers, Don Enrique, s’éprend éperdument de Zoraya la Mauresque accusée de sorcellerie ! Lui est amenée Joana, la fille de Padilla, le gouverneur, pourfendeur des hérétiques, qu’elle plonge dans un sommeil léthargique lui évitant d’épouser un homme qu’elle n’aime pas. Coup de théâtre ! Le futur époux est… Enrique ! Lors de la cérémonie nuptiale, Zoraya le retrouve : à l’horreur méprisante succèdent la compréhension d’obligations antérieures et le désir de fuir, contrecarré par la venue de Cardenos, agent du Saint-Office, qu’Enrique étrangle. Arrêtée et jugée par le tribunal de l’Inquisition, Zoraya accepte de mourir sur le bûcher si son amant a la vie sauve. Lorsqu’elle tire Joana de son sommeil, Padilla, son père, veut obtenir la libération de la Mauresque. Mais la foule en furie exige le supplice et Zoraya porte à ses lèvres une noix de cire empoisonnée qu’elle transmet à Enrique par un baiser. Tous deux expirent. Mais le corps de la sorcière sera brûlé.

La création du 18 décembre 1912 à l’Opéra-Comique remportera un succès notoire auprès du public par la prestation de Marthe Chenal dans le rôle-titre mais divisera la critique, sensibilisée à la virulente attaque contre le catholicisme espagnol du XVIe siècle, ployant sous le joug de l’Inquisition.