Sabine Devieilhe, intense et émouvante Lakmé 

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Léo Delibes (1836-1891) : Lakmé, opéra-comique en trois actes. Sabine Devieilhe (Lakmé), Frédéric Antoun (Gérald), Stéphane Degout (Nilakantha), Ambroisine Bré (Mallika), Philippe Estèphe (Frédéric), Mireille Delunsch (Mistress Bentson) ; Orchestre et Chœur Pygmalion, direction Raphaël Pichon. 2022. Notice et synopsis en anglais et en français. Sous-titres en français, en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. Un DVD Naxos 2. 110765. Aussi disponible en Blu Ray.

Falstaff de Verdi à Luxembourg

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Falstaff, l’énorme Falstaff, le perpétuel affamé et assoiffé, toujours en quête de la « bonne idée » qui lui permettra de remettre à flot des finances toujours en péril. Sa dernière trouvaille justement : séduire à la fois les belles et riches Alice Ford et Meg Page. Aussi vite pensé, aussi vite ourdi. Mais le réel… et surtout Shakespeare, qui est le « papa » lointain du bougre, et Arrigo Boito, qui est l’auteur du livret, vont évidemment lui compliquer la tâche. Le dupeur sera finalement dupé mais gardera sa bonne humeur. La vie continue et, comme il le proclame, « le monde entier n’est qu’une farce. L’homme est né bouffon » !

Falstaff est le dernier opéra de Verdi. On connaît l’imposant catalogue de ses terribles et merveilleuses tragédies. Mais voilà qu’en 1893, le vieux monsieur (il a alors 80 ans), au sommet de sa gloire et qui a déjà tout prouvé, se lance un défi : faire rire ! Pari gagnant. Particulièrement grâce à une extraordinaire partition : elle est non seulement comme un récapitulatif transcendé de tout ce qu’il a écrit jusqu’alors, mais il en joue dans de savoureuses auto-citations, des auto-parodies, des détournements. Il va même jusqu’à terminer son opéra par une grande fugue dont la solennité d’écriture est en plus que savoureux contraste avec le message final : « Rira bien qui rira le dernier. Tous sont dupes ». Voilà qui est immensément créatif ! 

Ce Falstaff-là, que Shakespeare et le livret de Boito font vivre au début du XVe siècle, les metteurs en scène l’ont déjà installé dans toutes sortes d’autres époques et milieux. Jusqu’à être, comme je l’ai vu, devenu punk chef de bande punk ! Il est vrai que pareil personnage n’est pas typique d’une époque, il est un tempérament, un énoooorme tempérament.

Schubert orchestré, sans orchestre mais avec un très grand chanteur 

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Franz Schubert (1797-1828) : Lieder avec orchestre.  An die Musik (Max Reger) ; Im Abendrot (Max Reger) ; Nacht und Träume (Max Reger) ; Prometheus ; Erlkönig (Max Reger) ; Du bist die Ruh (Anton Webern) ; Tränenregen (Anton Webern) ; Der Wegweiser (Anton Webern) ; Geheimes (Johannes Brahms ); Ständchen (Jacques Offenbach) ; Die Forelle (Benjamin Britten ); Der Tod und das Mädchen (Felix Mottl) ; Abendstern (Alexander Schmalcz) ; An Silvia (Alexander Schmalcz) ; Ganymed (Kurt Gillmann) ;  Franz Schubert / Johannes von Herbeck : Deutsche Tänze. Benjamin Appl, baryton ;  Münchner Rundfunkorchester, direction : Oscar Jockel. 2022. Livret en anglais et allemand. 73’54’’.  BR Klassik. 900346.

Duos de cornet et clavier, puisés à l’écrin de la Renaissance et du Baroque italiens

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Musique pour cornet et clavier. Œuvres de Giovanni Battista Fontana (1571-1630), Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Annibale Padovano (1527-1575), Dario Castello (-c1658), Andrea Gabrieli (1533-1585, Girolamo Kapsberger (c1580-1651), Andrea Falconieri (c1585-1656), Riccardo Rognoni (c1550-c1620), Angelo Notari (1566-1663), Girolamo dalla Casa (-1601), Giovanni Salvatore (1611-1688), Giovanni Martino Cesare (c1590-1667), Francesco Rognoni Taeggio (c1580-c1626), Biagio Marini (1594-1663). Seicento Stravagante. David Brutti, cornetto, cornetto diritto, cornetto muto. Nicola Lamon, orgue, clavecin, régale. Novembre 2019, juin & août 2020. Livret en anglais, allemand, français. TT 63’57. SACD BIS-2526

Luxembourg : Rainy Days, accueillant et expérimental

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Terriblement automnal, le festival de musique contemporaine à Luxembourg, alors que l’eau n’arrête pas de se déverser du ciel, remplissant ces nappes phréatiques dont on se désolait jusqu’il y a peu du faible niveau, au point de les faire déborder, comme le lit des rivières chez nos voisins du Nord ces derniers jours, Rainy Days, à l’abri le long des colonnades conçues par Christian de Portzampac, prend cette année des airs de renouveau : programme concentré sur un week-end (prolongé) de quatre jours (un défi pour l’équipe technique) au lieu de la dizaine des années précédentes, concerts souvent plus courts, un accès à la journée plutôt qu’à l’événement et l’épreuve du feu pour la compositrice basée à Londres Catherine Kontz, nouvelle directrice artistique -le tout autour de la thématique de la mémoire, sous ses aspects d’association, de rappel, de réminiscence, d’apprentissage et de démence.

Chants de la Ferme des 1000 Vaches et des entrepôts d’Amazon

A l’évocation des Works Songs de Christopher Trapani (1980-), par lesquels je débute mon week-end à Luxembourg, des images me reviennent, d’un concert dans ce même lieu il y a quelques années, où Phill Niblock propulse ses drones sur des images de « personnes au travail », gestes répétés, mécaniques, sciemment efficaces : une association mémorielle immédiate, contre l’évidence de laquelle je lutte (brièvement) pour me laisser prendre par l’intention du compositeur américano-italien, curieux de ces musiques transmises oralement, qui rassemble des « chants de travail » -ces ritournelles fonctionnelles destinées à faciliter les gestes, adoucir tiraillements musculaires et monotonie de pensée-,  en parle avec ceux qui les connaissent et imagine des chansons d’aujourd’hui pour des métiers de maintenant -dans une société si individualiste qu’on ne chante plus guère que sous la douche. Le quatuor vocal bruxellois Hyoid Voices entame la première complainte avant même d’entrer sur une scène striée, sur sa gauche, d’un alignement de tapis de souris (d’ordinateur) vivement décorés (paysages, voitures de sport…) et équipée, sur sa droite, d’un praticable lui aussi recouvert de ces rectangles aujourd’hui obsolètes -noirs cette fois, et chargés de quelques souris (avec fil ; les actionner génère des événements sonores retransmis par les haut-parleurs) : les deux hommes et deux femmes sont vêtus des habits du dimanche des Budapestois d’avant la chute du Mur, tissus synthétiques, colorés et luisants, chantent des textes de langues différentes en trimballant des seaux en plastique qu’ils chargent et déchargent de paquets de post-it, le tout dans un spectacle kitsch et rococo qui, si je ne peux pas dire qu’il me séduit musicalement, au moins me surprend esthétiquement.

Les sons aussi ont leur vie

La table ronde Foghorns and Rivers – Remembering Sounds précède une mini-performance de cornes de brume (en aérosols, les bateaux, c’est encombrant) actionnées du haut de la passerelle qui fait le tour de la Philharmonie (à l’intérieur et au sec, et prétexte, cette année, à un parcours « Et wor emol » (« Il était une fois », parsemé d’une quinzaine de QR codes, autant d’étapes-souvenirs musicales tirées des archives luxembourgeoises), pour un public en contrebas et aux oreilles protégées -Yoshi Wada (1943-2021), nourri chez Fluxus et à qui l’offrande nautique est dédiée, poussait lui-même le volume, soucieux de ne rien perdre des harmoniques : Annea Lockwood (1939-) et la journaliste britannique Jennifer Lucy Allan parlent de field recording (pour enregistrer le son du Danube, la compositrice néo-zélandaise de musique électronique délaisse les villes qu’il traverse, dont le bruit la désintéresse), des sonorités perdues des cornes de brume (mais du retour de nouvelles, comme celles du tram urbain), des façons de se souvenir du son des rivières ou du phénomène d’habituation qui, au bout d’un temps, nous réveille au silence de la sirène portuaire quand nous elle tait son hurlement attendu.

La Messa da Requiem de Verdi à l’Opéra Royal de Wallonie

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Entre deux représentations des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, l’Opéra Royal de Wallonie nous a proposé une soirée spéciale consacrée à la Messa da Requiem de Giuseppe Verdi. Initialement prévu à la tête de l’orchestre, le Maestro Zubin Mehta a dû annuler sa présence pour raison de santé. Il a été suivi de trois des quatre chanteurs solistes, dont la venue a été annulée quelques jours avant la représentation. The Show Must Go On, ainsi c’est le directeur musical de l’ORW, Giampaolo Bisanti, qui a pris la relève du chef indien. Tandis que la soprane Marigona Qerkezi, le ténor Arturo Chacòn-Cruz (actuellement Hoffmann dans la production de l’ORW) et la basse Erwin Schrott (présent lui aussi dans la production des Contes) ont rejoint la mezzo Anna Maria Chiuri, seule rescapée de la distribution initiale. 

Ce Requiem que l’on ne présente plus a résonné avec force dans la salle de l’opéra liégeois. Renforcés par Le Chœur de Chambre de Namur, les choristes de l’ORW ont parfaitement été préparés par Denis Segond. D’une précision chirurgicale, tant dans la maîtrise de la nuance que dans la maîtrise technique, les 80 choristes ont donné une dimension épique à la représentation du soir. Seul petit bémol, un léger moment de flottement dans la fugue du Sanctus qui, on doit le reconnaître, a été pris à un tempo assez élevé par le chef italien. 

Ma mère L’Oye, L’Enfant et les Sortilèges entre neige et loup à l’Opéra de Paris

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Couplée sur la même scène en 1998 avec le sarcastique Nain de Zemlinski, la féerie lyrique de Ravel L’Enfant et les Sortilèges mise en scène par Richard Jones est associée cette fois au ballet Ma mère l’Oye.

A l’origine destinée au piano à quatre mains, la suite Ma mère l’Oye a été orchestrée puis adaptée par Ravel lui-même pour un ballet représenté deux ans avant la Grande Guerre au Théâtre des Arts sous la direction de G. Grovlez avec les costumes de Drésa et la chorégraphie de Jane Hugard. 

L’interprétation est ici confiée aux élèves de 16 à 18 ans de l’École de Danse et aux chanteurs en résidence à l’Académie de l’Opéra.

Pour sa version initiale, Ravel avait sélectionné cinq extraits de contes du XVIIe siècle (Charles Perrault, Madame d’Aulnoy et Madame de Beaumont) : La Belle au bois dormant, Le Petit Poucet, Laideronette, Impératrice des Pagodes, Les Entretiens de la Belle et la Bête qui se concluent par Le Jardin féerique. Chaque citation figure en tête de la partition à la demande du compositeur.

Pour le ballet, il rédigea lui-même intégralement l’argument. Il y ajouta la Danse du Rouet, cinq Interludes pour les changements de décors et, en conclusion, le Jardin féérique devient Apothéose. Il a également modifié l’ordre des épisodes et introduit les personnages de la Fée Bénigne et de la Princesse Florine. La consultation du document original (Bibliothèque de l’Opéra) montre que le compositeur a pris soin de détailler l’argument, l’ordre et le contenu du ballet.Par ailleurs, la même partition a récemment fait l’objet de recherches musicologiques approfondies dans la cadre de la RAVEL EDITION.

Or, ici, Bénigne et Florine tombent dans les oubliettes. Les intermèdes deviennent prétextes à des épisodes étrangers. Sans explication ni justification « Curieuse », « Barbe-Bleue », « Le Petit Chaperon Rouge » et même un « Loup » entrent en scène !

Tout de blanc vêtus, coiffés d’origamis immaculés, les jeunes interprètes évoluent dans un espace vide sans repères narratifs si bien que, lorsqu’au final, ils se dénudent sous les flocons de neige, le public est charmé mais perdu. Il ne sait pas vraiment à quoi il a assisté.