Jours heureux au Festival Enescu de Bucarest (1) : la musique contemporaine

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Du 31 août au 22 septembre, le Festival Enescu de Bucarest offre un programme éblouissant. De par le prestige de ses interprètes, il faut le répéter car la manifestation reste relativement méconnue, le festival roumain s’affirme, au même titre que Lucerne ou Salzbourg, comme l’un des grands rendez-vous musicaux européens.

Dans la pléthorique programmation, la musique contemporaine tire naturellement son épingle du jeu. Trois orchestres roumains présentaient des concerts exclusivement consacrés à la musique du XXIe siècle. Première formation à entrer en scène : le Moldova Philharmonic Orchestra de Iasi. Sous la direction de l’inattendu chef américain Brad Lubman, l’orchestre de la deuxième ville roumaine proposait un programme d’obédience post-sérielle, tout au moins dont la figure de référence implicite serait Pierre Boulez. Interprété par Ilya Gringolts, le Concerto pour violon de Michael Jarrell ne fait hélas pas oublier le douloureux souvenir qu’a laissé Bérénice à l’Opéra de Paris. Intitulée « Paysages avec figures absentes », l’œuvre témoigne d’une disposition originale : les « figures absentes », ce sont ici les sièges vides des violons de l’orchestre. Malgré les habituelles qualités du compositeur suisse (écriture nerveuse et incisive de la partie soliste, impressionnantes scansions percussives), l’œuvre reste grise, systématique et laborieuse à écouter. Donné en introduction, Tempo 80 du roumain Câlin Ioachimescu peinait également à convaincre. D’une lenteur assumée, la pièce entrechoque des masses sonores, sans ajouter un surplus de personnalité musicale.

David Kadouch, Révolution 

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Le pianiste David Kadouch est doublement en tête de l’actualité. Il sort un nouvel album (Mirare) qui porte le titre de « Révolution » ; parcours personnel à travers les oeuvres et les époques, ce nouveau disque est un superbe objet sonore, invitation à suivre un voyage narratif personnel entre les musiques. David Kadouch est également acteur d’un album consacré aux oeuvres concertantes de Philippe Boesmans (Cyprès) où il interprète Fin de Nuit pour piano et orchestre, partition dont il donna la création au printemps dernier à Liège et Bruxelles. Crescendo Magazine suit avec une attention particulière les projets de David Kadouch qui fut le premier “jeune artiste” des International Classical Music Awards en 2011. 

Ce nouveau disque se nomme “Révolution”. Pourquoi ce titre ? Qu’est-ce que la Révolution en musique représente pour vous ? 

J'ai choisi ce titre pour l'opposer au concept de mémoire. J'avais lu un livre fantastique d’Annie Ernaux qui s’intitule Les Années ; c’est une autobiographie à travers les grands événements de sa vie en France et dans le monde. Dans la dernière phrase du livre, elle écrit “sauver quelque chose du temps où on sera plus jamais”. Cela m’a beaucoup ému et je me suis dit que c’est une des définitions de ce que doit être l’art : témoigner ! Témoigner des gens que l’on aime, de ce que l’on a vécu car on sait que tout est condamné à disparaître. J’ai souhaité confronter “la mémoire” à un autre concept : celui de “révolution”. Car la révolution c’est exactement le contraire de la mémoire : c’est oublier tout, et recommencer en faisant un pas du rêve à la réalité. Dès lors, comment l’artiste est-il influencé dans son geste créatif quand tout s’effondre autour de lui, ou quand son pays traverse des bouleversements. J’ai choisi des oeuvres liées à des mutations du temps et de la société. Les artistes ont été bouleversés et ils ont créé sous cette impulsion. 

Votre précédent album “En plein air” était également une invitation à un voyage entre les styles et les époques. Un album doit-il forcément raconter une histoire ? 

Non, pas forcément ! Je sais juste que j'adore raconter une histoire mais c'est parce que je suis passionné de théâtre et de cinéma et que la narration est pour moi essentielle. Je vais tout le temps au théâtre et quand je sors d'une soirée, j‘ai souvent l’impression de repartir avec quelque chose de plus, comme une vision du metteur en scène sur une oeuvre classique, et cela m’influence dans la manière dont je construis mes programmes. Je n’ai pas très envie de faire un album avec un ou deux compositeurs qui s’affrontent. J’aime mieux raconter moi-même et suggérer des histoires, et j’espère qu’à l’écoute de l’album on ressort avec une vision d’ensemble qui n’est pas seulement celle de l’oeuvre mais qui est un message ou un sentiment général. J’espère que l’on peut écouter les choses différemment car le concert ou le disque m’apparaissent comme des expériences pour dire les choses de manière plus narrative. 

Frédéric Grün et Akane Sakai à propos du coffret “Rendez-vous avec Martha Argerich” 

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Les coffrets discographiques édités autour des projets de Martha Argerich sont depuis toujours des événements éditoriaux attendus des mélomanes du monde entier. Dès lors, le milieu musical fut surpris quand le label belge Avanticlassic annonça la parution d’un box regroupant des enregistrements captés au Festival Martha Argerich à Hambourg en 2018. Crescendo Magazine vous propose une rencontre avec Frédéric Grün, directeur du label et Akane Sakai, programmatrice du festival hambourgeois

Alors que les précédents projets de Martha Argerich (comme ceux à Lugano) étaient traditionnellement édités par Warner, l’arrivée de ce coffret chez un éditeur “boutique” comme votre label, comme le dit un confrère anglais, a été l’un des événements marquants de l’été ? Comment ce projet est-il arrivé chez Avanti Classics ? 

F.G. J’ai véritablement fait la rencontre de Martha Argerich quand, pour son premier album chez Avanticlassic en 2004, Polina Leschenko lui a proposé d’enregistrer la transcription pour deux pianos de Rikuya Terashima de la Symphonie Classique de Sergeï Prokofiev et que Martha a accepté. Cette séance d’enregistrement a été l’un des plus beaux jours de ma vie. Ensuite, les choses se sont faites naturellement. Martha et moi avons gardé le contact et, petit à petit, nous sommes devenus amis. Elle occupe aujourd’hui une place centrale dans ma vie.

Depuis ce jour de 2004, Martha accepte d’enregistrer pour Avanticlassic. Elle a réalisé un merveilleux récital avec Dora Schwarzberg et elle a même enregistré une chanson Yiddish sur l’album de Myriam Fuks. 

Lorsqu’en 2018, elle a décidé de lancer son nouveau festival avec Akane et Daniel Kühnel, l’intendant de l’Orchestre Symphonique de Hambourg, j’ai souhaité en réaliser les enregistrements et ils m’ont donné leur accord. 

C’était un énorme challenge pour Avanticlassic. Le Festival de Lugano était organisé en partenariat avec la Radio Suisse Italienne qui accueillait une grande partie des concerts dans son studio, fournissait le matériel d’enregistrement et les équipes et réalisait l’ensemble des enregistrements que Warner publiait. A Hambourg, Avanticlassic a assuré l’ensemble des moyens techniques et humains pour réaliser les enregistrements. Un formidable défi pour nous.

A Genève, Philip Glass en ouverture de saison  

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A Genève, la saison 2019-2020 voit Aviel Cahn prendre la direction du Grand-Théâtre ; au lieu de présenter un grand ouvrage du répertoire, il opte pour une création scénique suisse, Einstein on the Beach, le premier ouvrage de Philip Glass écrit en collaboration avec le régisseur Bob Wilson et créé au Festival d’Avignon le 25 juillet 1976. Pour cette production genevoise, il fait appel au chef d’orchestre zurichois Titus Engel, spécialisé dans la musique contemporaine, et au metteur en scène tessinois Daniele Finzi Pasca dont le nom est sur toutes les lèvres car il vient de réaliser à Vevey le spectacle grandiose de la Fête des Vignerons. 

Le premier défi auquel tous deux sont confrontés est le fait que l’œuvre n’est dotée d’aucune narration, d’aucune intrigue ; et elle fait éclater le cadre formel en quatre actes pour livrer une succession de scènes qui sont déterminées par un lieu ou un espace temporel ; en cet happening qui dure près de quatre heures, le spectateur peut entrer ou sortir à sa guise, aubaine que saisit plus d’un abonné, ravi de faire lever toute une rangée du parterre ! Trêve d’ironie, il n’en demeure pas moins que la production est fascinante à tel point que je suis resté rivé à mon siège. Car dès le lever du rideau, deux orgues électroniques égrènent une musique répétitive nous faisant penser aux orgues de Barbarie, soutenant un chœur de seize chanteurs remarquablement fusionné, auquel répondra un ensemble de douze instrumentistes, de qualité toute aussi grande, constituant l’Einstein-Ensemble ; ces jeunes étudiants,issus des classes de la Haute Ecole de Musique de Genève (HEMU) forcent l’admiration par un enthousiasme qui devrait contaminer les formations officielles entretenues par l’Etat et Canton de Genève ! En tous les cas, tous ces musiciens se montrent d’une extrême ductilité et d’une rare efficacité sous la direction effervescente de Titus Engel qui réussit à maintenir un intérêt et une tension tout au long de la représentation.

Le Festival Enescu de Bucarest : abondance et variations sur un monde en harmonie

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« The world in harmony » (le monde en harmonie) était le thème de l’édition 2019 du George Enescu International Festival, du 31 août au 22 septembre, avec pour directeur artistique le chef russe Vladimir Jurowski. Les musiciens et ensembles les plus prestigieux se sont succédé, souvent au rythme de trois ou quatre concerts par jour, dans la Sala Palatului (la grande salle de concert) ou dans le plus intime Romanian Athenaeum (Ateneul Roman), avec même des « concerts de minuit »

L’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo se produisait sur la scène de l’Athenaeum dans la série « Recitals and chamber music », une définition peu adéquate pour les programmes présentés. Pas de problème avec la Ballade pour violon et orchestre d’Enescu ou l’Andante Cantabile et les Variations sur un Thème Rococo op 33 pour violoncelle op. 33 de Tchaikovsky. Mais il est plus difficile de rangefr la Symphonie pathétique de Tchaikovsky dans cette catégorie ! La scène de l’Athenaeum peut à peine accueillir tous les musiciens de  l’Orchestre et le son ne peut pas vraiment se déployer. C’est aussi le cas pour le deuxième concert de l’orchestre qui accompagne un programme élaboré autour de Bryn Terfel avec, entre autres, le prélude à l’acte 3 de Lohengrin et la Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner.

L’Orchestre National commence bien la saison

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Pour son concert d’ouverture de la saison 2019-2020 au Palais des Beaux-Arts, le Belgian National Orchestra -après que l’intendant Hans Waege eut dans une brève allocation trilingue eut mis en avant les objectifs et les ambitions de la formation pour cette nouvelle saison, la troisième de son directeur musical Hugh Wolff- et son chef titulaire se produisirent  dans un programme intelligemment concocté et donnant aux musiciens de la formation bruxelloise de nombreuses occasions de se mettre en évidence.

Le choix de Go, Solo n° 1 pour orchestre de Pascal Dusapin -compositeur que Bozar et la Monnaie mettront particulièrement en évidence cette saison- en guise de pièce d’ouverture s’avéra particulièrement réussi. Cette oeuvre, espèce de mini-concerto pour orchestre, fait entendre une musique dense, sans concessions, et exige de tous les musiciens une virtuosité tant individuelle que collective. On pointera l’engagement de chaque pupitre (on pense aux belles interventions des cuivres ou à l’incantation du violon solo) et la qualité de son -pleine et nourrie- obtenue par le chef.

Bellini : I Puritani à Stuttgart

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Vincenzo BELLINI (1801-1835) :  I Puritani. Roland BRACHT, Lord Galtiero Valton ; Adam PALKA, Sir Giorgio Valton ; Ana DURLOVSKI, Elvira ; Diana HALLER, Enrichetta di Francia ; Gezim MYSHKETA, Sir Ricardo Forth ; Heinz GÖHRING, Sir Bruno Robertson ; Staatsopernchor Staatsorchester Stuttgart, Manlio BENZI, dir ; Jossi WIELER et Sergio MORABITO, mise en scène. Filmé du 17 au 24 juillet 2018 au Staatsoper Stuttgart. 191’-NTSC 16.9-PCM stereo et DTS 5.0- 0- 2 DVD- Sous titres, italien, anglais, français, allemand, japonais, coréen- Naxos 2.110598-99

Benvenuto Cellini ouvre la saison des 250 ans de l’Opéra Royal de Versailles

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Benvenuto Cellini de Hector Berlioz, présenté en version de concert, était l’une des productions les plus remarquées du Festival Berlioz qui fêtait le 150e anniversaire de sa mort. La production est passée par Allemagne et le Royaume-Uni avant d’arriver à l’Opéra Royal de Versailles le 8 septembre dernier. Berlioz à Versailles ? Pour un théâtre plutôt spécialisé dans la musique baroque, la présence de cette œuvre est quelque peu surprenante, bien que La Damnation de Faust y ait déjà été à l’affiche. Mais il y a bien une raison à cette programmation. L’opéra a été présenté dans un magnifique décor de Pierre-Luc-Charles Ciceri (1782-1868), peintre et décorateur de théâtre, auteur de nombreux décors spectaculaires pour La Muette de Portici d'Auber, Robert le Diable et Le Prophète de Meyerbeer, Guillaume Tell de Rossini ou encore Hernani de Victor Hugo (lors de la fameuse bataille) et bien d’autres opéras et théâtres. Datant de 1837, récemment restaurée, la toile peinte du « Palais de marbre rehaussé d’or » et ses châssis ont été construits à l’occasion de la création, la même année, du musée de l’Histoire de la France par le roi Louis-Philippe au Château de Versailles. Il s’agit de l’un des seuls décors de grande dimension de cette époque conservés tels quels ; il est spécialement remonté pour quelques semaines seulement. Berlioz a très certainement dirigé un concert sur la même scène, le dimanche 29 octobre 1848, devant ces splendides éléments à perspective renforcée.

Versailles en feu avec Gardiner toujours révolutionnaire dans Berlioz

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Hector Berlioz (1803-1869) Ouverture Le Corsaire, Cantate La mort de Cléopâtre ;  Les Troyens : « Chasse royale et orage » + air de Didon  « Adieu, fière cité » ;  Symphonie fantastique. Lucile Richardot, mezzo-soprano ; Orchestre révolutionnaire et romantique, Direction musicale : John Eliot Gardiner. Enregistré à l’opéra du Chateau de Versailles en octobre 2018. 1 DVD Chateau de Versailles Spectacles CVS 011 - 1h47’