A Genève, l’OSR in American style

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Pour un concert intitulé Made in America, l’Orchestre de la Suisse Romande braque les feux sur cinq compositeurs nés aux Etats-Unis. Pour des motifs personnels, Marin Alsop a renoncé à diriger le programme qu’elle avait minutieusement concocté pour cette soirée du 6 mars. Et elle est remplacée par Roderick Cox, natif de Géorgie, qui a remporté le Prix Sir Georg Solti décerné par la Fondation américaine Solti en 2018, alors qu’il était chef assistant du Minnesota Symphony Orchestra. Actuellement fixé à Berlin, il est le fondateur d’un programme qui offre des bourses et des opportunités de travail aux jeunes musiciens. 

A peine arrivé sur le podium, il prend la peine de s’adresser au public en anglais afin de donner quelques indications à propos de la première pièce figurant à l’affiche, Fearful Symmetries, écrite par John Adams en 1988 en s’inspirant des dessins animés et de la musique pour les films muets. Prônant la culture pop à l’encontre du dodécaphonisme et du sérialisme, il joue la carte de la veine parodique en recourant à un big band élargi incluant un quatuor de saxophones, un synthétiseur et un keyboard sampler (clavier échantillonneur). Par un geste d’une extrême précision, Roderick Cox déroule lentement un ostinato mélodique qui s’amplifie démesurément avant de se confiner en de suspensives accalmies qu’anéantira la virulence des oppositions de coloris.

Torelli, exhumation des sonates pour violon, sous les meilleurs auspices

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Giuseppe Torelli (1658-1709) : Sonates pour violon et bc en mi mineur A.1.3.8., en la majeur A.1.3.11., en sol mineur A.1.3.10., en ré majeur. Allemanda en mi mineur A.1.3.4., Corrente en mi mineur A.1.3.3., Vivace en la majeur A.1.3.1., Giga en la majeur A.1.3.2., Allemanda en la mineur A.1.3.5., Corrente en la mineur A.1.3.7. [Medulla Musicae]. Gigha staccato en la mineur A.1.3.6. Sinfonia per camera à violino e violoncello en ré mineur A.4.1.8. Sue-Ying Koang, violon. Diana Vinagre, violoncelle. Parsival Castro, théorbe, guitare. Vincent Bernhardt, clavecin, orgue. Livret en français et anglais. Septembre 2022. TT 48’57. Indésens Calliope IC019

Richard Strauss/Wagner en demi-teinte pour Daniel Behle

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Richard Strauss (1864-1949) : Ständchen, op. 17/2 ; Vier Lieder op. 27 ; Befreit op. 39/4 : Intermezzo op. 72 : Interlude symphonique n° 2. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin : Acte III : Récit du Graal ; Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg : Prélude ; Acte III : Preislied ; Tannhäuser : Acte III : Récit de Rome. Daniel Behle, ténor ; Orchestre Philharmonique Borusan d’Istanbul, direction Thomas Rösner. 2022. Notice en allemand, en anglais et en français. Textes chantés avec traduction en anglais. 56’ 03’’. Prospero PROSP 0072. 

Gary Bertini : les enregistrements SWR 

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Gary Bertini. The SWR Recordings. Oeuvres de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Joseph Haydn (1732-1809), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Franz Schubert (1797-1828), Johannes Brahms (1833-1897), Hector Berlioz (1803-1869), Claude Debussy (1862-1918), Richard Wagner (1823-1863). Radio-Sinfonie Orchester des SWR, direction : Gary Bertini. 1978-1996. Livret en allemand et anglais. 5 CD SWR 19139CD

A Genève, trois premières exécutions fascinantes

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Pour un événement particulier comme cette Soirée des premières, l’Orchestre de la Suisse Romande collabore avec l’Orchestre de la Haute Ecole de Musique de Genève en infiltrant quelques-uns de ses chefs de pupitre dans les rangs de la formation estudiantine. Peter Eötvös aurait dû diriger lui-même le programme du 2 mars qui comportait deux de ses œuvres. Mais pour des raisons de santé il a dû annuler sa participation. Et c’est Jonathan Nott qui a accepté d’étudier trois œuvres qui lui étaient inconnues pour le remplacer à la tête d’une phalange impressionnante par sa dimension.

La première des œuvres de Peter Eötvös s’intitule Reading Malevich, créée en 2018 par Matthias Pintscher et l’Académie du Festival de Lucerne mais que Genève entendait pour la première fois. Inspirée par la toile Suprematismus n.56 de Kazimir Malevich, cette page suscita quelques réflexions de la part du compositeur qui déclarait : « Je me suis mis comme défi la transformation d’une image en musique… Ma partition s’articule en deux volets, Horizontal et Vertical, référence à la ligne de mire du spectateur et à la façon dont il lit le tableau ». Et c’est par le biais de formules à l’unisson que se profile un ostinato mélodique dont les lignes se resserrent sous l’impulsion des vents pour laisser affleurer les tensions. L’abondante percussion produit de mystérieuses suspensions avant l’avènement des cuivres imposant un choral que récupérera le tutti. La seconde partie est un éblouissant kaléidoscope dont la myriade de coloris est fluidifiée par de soyeux glissandi. 

Intervient ensuite Xavier de Maistre assumant la première suisse du Concerto pour harpe et orchestre que Peter Eötvös avait composé à son intention en 2003 en réponse à une co-commande de Radio France, du Rundfunkorchester de Berlin, du Musikverein de Vienne, de la NHK de Tokyo, de la Casa da Musica de Porto et de l’OSR. En trois mouvements bien distincts, l’œuvre s’articule en confiant d’abord au soliste une cadenza virtuose amenant la ligne mélodique que développent les bois. Frappant par instants sur le bois, le harpiste se confine à ornementer le discours orchestral largement développé avant d’ébaucher une seconde cadenza qui débouche sur un lento intériorisé s’appuyant sur les tenues des cuivres et sur le canevas lancinant des cordes. Le final fait éclater les tensions par une série de traits à l’arraché qui vivifient le coloris tout en sollicitant les ressources techniques les plus inattendues de l’instrument. Devant l’enthousiasme délirant du public, Xavier de Maistre pare de mille nuances l’adaptation que Felix Godefroid avait élaborée du célèbre Carnaval de Venise.

Boris Godounov au Théâtre des Champs-Élysée Une force qui va

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Créée à Toulouse il y a quelques mois, la mise en scène d’Olivier Py avec les décors de Pierre-André Weitz et les lumières de Bertrand Killy paraît sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, celle-là même où Serge Diaghilev allait stupéfier le public de la capitale avec ses « Ballets Russes » au début du XXe siècle.

Après le retrait de Mathias Goerne, la lourde chape du Tsar revient à Alexander Roslavets, basse biélorusse né dans l’ancienne Brest-Litovsk, déjà présent sur les scènes internationales depuis une bonne dizaine d’années. Il allie à la carrure du personnage, un chant large et sobre sans que le charisme singulier de cette grande figure historique ne s’exprime pleinement.

Le schématisme de la mise ne scène cohérente, lisible, prévisible n’offre en effet guère d’espace au déploiement émotif. Transposée entre deux eaux -histoire et modernité parcellisée entre les différentes versions- celle de 1869 annoncée mais avec des ajouts (danseuse classique, personnages féminins, évêque parodique) et des coupures, elle érode la profusion, les contradictions, les paradoxes au profit d’un discours monolithique rendu plus dense encore par l’absence d’entracte.

Les blocs qui pivotent ou s’avancent suggèrent l’univers stalinien. Kalachnikovs alternent avec recoins obscurs, complets vestons et chapes d’ors -tableau le plus réussi- ne facilitant pas toujours l’identification des protagonistes. En revanche, l’association de Poutine avec Staline nous est assénée sans finesse. Rapprochement aussi facile que discutable puisque que la figure historiquement et humainement complexe de Boris, dévoré par la culpabilité, n’a rien à voir avec Staline, ni la Russie des années 1600 avec l’Empire Soviétique.

Howard Shelley fait coexister deux amis de Chopin : Tellefsen et Kalkbrenner

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Thomas Dyle Acland Tellefsen (1823-1874) : Concertos pour piano et orchestre n° 1 en sol mineur op. 8 et n° 2 en fa mineur op. 15. Friedrich Wilhelm Michael Kalkbrenner (1785-1849) : Grande marche interrompue par Un Orage et suivie d’une Polonaise. Howard Shelley, piano et direction ; Orchestre Symphonique de Nuremberg. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. 75’ 56’’. Hyperíon CDA68345. 

Ils se sont tous bien amusés : Falstaff à Liège

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Oui, ils se sont bien amusés, tous ceux qui ont conçu ce Falstaff qui nous a tant amusés nous aussi !

Voilà un compositeur qui aura bientôt 80 ans, mais qui s’estime encore, je le cite, « plein de sève et de joie de vivre ». Giuseppe Verdi a connu les plus grands succès avec des œuvres tragiques, il rêve à présent d’un livret comique. Et pourquoi pas un Shakespeare, cet auteur qu’il affectionne tant, que sa musique a exalté dans ses Macbeth et Otello -il y avait encore le désir, qui ne sera jamais assouvi, d’un « Roi Lear ».

Mais pour concrétiser ce rêve, il faut un livret : Arrigo Boito va puiser son inspiration dans deux pièces de Shakespeare : « Henri IV » et « Les Joyeuses Commères de Windsor ». Il en réalise une adaptation magistrale, il en fait une œuvre unique focalisée sur le « pancione », le pansu. Une farce subtile dans sa progression et ses tonalités : oui, « le gros », caché dans un panier à linge, est jeté dans les eaux boueuses de la Tamise, mais ce « gros » a de jolis états d’âme existentiels.

Falstaff est donc l’heureuse conclusion d’un long parcours. Oui, Verdi a réussi ce que Boito lui proposait : « Après avoir brisé tous les cris et les gémissements du cœur humain, [finir] avec un énorme éclat de rire ». Oui, Verdi et Boito se sont bien amusés.

Voilà qu’après tant d’autres, Jacopo Spirei décide de mettre en scène l’histoire de ce personnage énoooooorme qui, se croyant rusé, se retrouve dupé par celles dont il prétendait obtenir les faveurs et l’argent. Tel est pris qui croyait prendre, rira bien qui rira le dernier.