Markus Poschner, Bruckner en intégrale  

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L’excellent  chef d’orchestre Markus Poschner est le maître d'œuvre d’un projet d’intégrale des symphonies de Bruckner au pupitre de l’Orchestre Bruckner de Linz et de celui radio symphonique ORF de Vienne. Cette somme éditée par le label Capriccio proposera toutes les versions des symphonies, soit 18 albums. Crescendo Magazine qui suit avec fidélité et intérêt ce travail a eu envie d’en savoir plus et a rencontré le maestro. 

Que représente Bruckner pour vous ? Quelle place occupe-t-il, selon vous, dans l'histoire de la musique ?

Bruckner est sans aucun doute l'un des génies les plus importants du XIXe siècle, voire de tous les temps. Il a poussé tous les paramètres musicaux jusqu'à leurs limites et bien au-delà, en particulier la fonction du temps dans la musique. Toute sa vie, il a recherché la symphonie parfaite, archétype et image musicale d'un ordre mondial universel. Bruckner a créé des symphonies pour exprimer l'inimaginable. Il était le médiateur idéal entre la tradition et l'avant-garde et était très en avance sur son temps.

Qu'est-ce qui vous a poussé à relever le défi d'enregistrer toutes les versions des symphonies de Bruckner, ce qui représente une aventure de  18 albums ?

Dans notre édition, il ne s'agit pas seulement de l'exhaustivité de toutes les versions dans un seul coffret CD, mais surtout de la manière extraordinaire dont nous jouons sa musique. Aujourd'hui encore, un nombre incroyable de malentendus et d'idées reçues sont associés à la musique de Bruckner, notamment en ce qui concerne le tempo, le phrasé et l'équilibre sonore.

Comme auparavant, ses symphonies sont souvent jouées sur un mode pseudo-religieux écrasant. Le monde de Bruckner est tout simplement assimilé à celui de Richard Wagner. En réalité, il a créé son propre univers, une vision unique et intime du monde de la symphonie. Ses racines profondes dans le classicisme viennois et la musique folklorique de Haute-Autriche sont complètement oubliées. En fait, cette nouvelle approche d'une interprétation plus authentique a été notre principale motivation pour ce cycle symphonique exceptionnel.

Revalorisation de l’œuvre chambriste avec piano de Wilms

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Johann Wilhelm Wilms
(1772-1847) : Quatuors avec piano en ut majeur Op. 22, en fa majeur Op. 30. Trio avec piano en ut majeur Op. 4. G.A.P. Ensemble. Emilio Percan, violon. Oriol Aymat Fusté, violoncelle. Luca Quintavalle, pianoforte. Christian Euler, alto. Octobre 2021. Livret en anglais (traductions en italien, allemand, français disponibles sur le site de l’éditeur). TT 79’53. Brilliant 96788

Deux grands solistes à Bozar : Emmanuel Pahud et Anneleen Lenaerts

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En ce beau dimanche de mai, la salle Henry le Bœuf a été illuminée par deux solistes internationaux : Emmanuel Pahud et Anneleen Lenaerts. Accompagnés par le Belgian National Orchestra et dirigés par Anja Bihlmaier, ils nous ont offert un concert d’une très grande qualité !

Celui-ci débuta avec l’œuvre Subito con forza, composée en 2020 par Unsuk Chin, compositrice coréenne. Cette pièce fût créée à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven et parsemée de quelques références à certaines œuvres du maître allemand telles que sa  symphonie n°5 ou l’ouverture Corolian. Les musiciens du BNO ont livré une prestation très énergique et emplie de nombreux contrastes. Il faut saluer le travail des percussionnistes dont la partition très chargée leur a demandé beaucoup de rapides changements d’instruments. Malheureusement, cela a aussi causé quelques minimes soucis de mise en place, malgré les gestes très précis de la cheffe allemande. Ce fut malgré tout une très belle ouverture pour ce concert et la compositrice, présente pour l’occasion, semblait conquise.

Ensuite, nous avons eu le plaisir d’entendre le Concerto pour flûte, harpe et orchestre en do majeur KV299 de Wolfgang Amadeus Mozart. À l’exception d’un très léger problème de balance au début du premier mouvement où l’orchestre couvrit un peu trop le son de la harpe, aucune autre réserve. Anja Bihlmaier, précise et très démonstrative, a mené l’orchestre d’une main ferme. Chaque attaque, chaque entrée, chaque nuance était clairement lisible dans son langage corporel et les musiciens, très attentifs, n’avaient plus qu’à suivre. Emmanuel Pahud et Anneleen Lenaerts, quant à eux, ont aisément survolé l’œuvre. Avec beaucoup de musicalité et de précision, ils nous ont offert de très beaux moments. Leurs nombreux duos exposés, sans le soutien de l’orchestre, furent interprétés avec une complicité et une écoute de l’autre très impressionnantes. Le troisième mouvement, surtout, fut le théâtre de passages exceptionnels.

La première édition du Festival Angers Pianopolis

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Ruines - Pascal Quignard et Aline Piboule

La toute première édition du Festival Pianopolis vient de se terminer le 21 mai dernier. Le Festival, initié par Nicolas Dufetel, musicologue et adjoint à la culture et au patrimoine à la mairie, met l'accent sur les lieux historiques de la ville, jusqu’alors peu ouverts au public. Les grands noms de la musique classique et les jeunes musiciens du Conservatoire prennent quotidiennement leurs parts pendant les quatre jours où tous les concerts se jouaient à guichets fermés.

Au commencement, il y eut le projet d’« Angers pousse le son », une série de concerts sans public captés sur des lieux patrimoniaux de la ville, pendant la période de fermeture des salles de concerts. Diffusés sur internet de 2020 à 2022, ces films ont fait revivre les murs emblématiques multicentenaires : le cloître, la chapelle et les greniers Saint-Jean, l’abbaye de Ronceray, le couvent de Beaumette, le château d’Angers… Les artistes de la musique classique, souvent jeunes, dont Alexandre Kantorow, Thibaut Garcia, Félicien Brut ou Astrig Siranossian, pour ne citer qu’eux, ont côtoyés, au fil des diffusions, d’autres genres musicaux : chanson, pop, jazz, tzigane…

À l’occasion de cette première édition du festival, certains d’entre eux ont retrouvé physiquement leur public. Ainsi, le dernier jour, aux greniers Saint-Jean, Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal en duo, puis Bertrand Chamayou en solo, ont enflammé la salle pleine à craquer, avec leur virtuosité mais aussi et surtout leur musicalité exceptionnelle. Malgré leur jeune âge (ils ont à peine 50 ans à deux), le duo frôle le sommet. Leur incarnation musicale, dans la première Sonate de Brahms tout au début du programme, est telle qu’on aurait dit qu’ils jouaient déjà ensemble depuis des heures. Il y a un lyrisme incontestable dans leur sonorité, une spontanéité haletante dans une mise en place parfaite… Dans la Sonate de Grieg, ils réalisent une véritable tapisserie sonore. En effet, l’idée de tissage est absolument juste, par la spatialisation acoustique qu’ils adaptent au fur et à mesure, en fonction du retour du son. Tout naturellement, cela fait écho à la Teinture de l’Apocalypse du Château d’Angers mais aussi aux tapisseries modernes de Jean Lurçat dont une est à vue, derrière la scène. Avec une telle maîtrise, il n’est aucunement exagéré de dire que c’est l’une des meilleures formations actuelles de violoncelle-piano au monde. Au milieu du programme, Alexandre Kantorow joue en solo quelques Lieder de Schubert transcrits par Liszt où il fait montre de son art des plans, des coloris et des tons. Les couleurs s’entendent clairement à travers son interprétation et c’est précisément l’un des caractères superlatifs de son jeu.

A Genève, Mozart chez les baroqueux  

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Au terme d’une saison extrêmement diversifiée, le Service Culturel Migros invite le Freiburger Barockorchester à donner trois concerts à Genève, Berne et Zürich. Depuis plus de trois décennies, la formation défend le répertoire baroque et classique sur des instruments anciens. 

Sous la conduite du premier violon Gottfried von der Goltz, le programme entièrement consacré à Mozart commence par la 25e Symphonie en sol mineur K.183. Une fois passées les premières mesures où l’oreille finit par s’habituer à ce son acide produit par les cordes, l’on prête attention à un jeu finement articulé qui recherche les moindres contrastes de phrasé pour répondre aux hautbois et cors empreints de mélancolie. En un pianissimo opaque, les premiers violons recourant aux sourdines déroulent un Andante intériorisé que bousculera le rapide Menuetto débouchant sur un Trio où les vents semblent chercher leur route. Et le Final est un Presto où les lignes s’entrelacent en une tension presque suffocante.

Peter Donohoe complète brillamment son intégrale  des chansons sans paroles de Mendelssohn

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Felix Mendelssohn (1809-1847) : Lieder ohne Worte, volume 2. 17 Variations sérieuses op. 54 ; Lieder ohne Worte : Livre I op. 19 b n° 5 et 6 ; Livre II op. 30 n° 1, 2, 5 et 6 ; Livre III op. 38 n° 1, 3, 4 et 5 ; Livre IV op. 53 n° 1, 3 et 6 ; Livre V op. 67 n° 6 ; Livre VI op. 102 n° 3, 4 et 5 ; Phantasie op. 15 ; Scherzo du « Songe d’une nuit d’été », transcription de Serge Rachmaninov. Peter Donohoe, piano. 2021/22. Notice en anglais, en allemand et en français. 81.26. Chandos CHAN 20267.

A l’OSR, Charles Dutoit grand seigneur 

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Au cours de ces dernières saisons, Charles Dutoit a accepté régulièrement l’invitation à diriger l’un des concerts de l’Orchestre de la Suisse Romande. Bardé de deux prix prestigieux, la ‘Royal Philharmonic Society Gold Medal’ et le ’Premio Una vita nella musica’ remis par le Teatro La Fenice de Venise, il défie aujourd’hui le poids de ses quatre-vingt-six ans avec une vigueur qui abasourdit.

Entièrement consacré à la musique française, son programme comporte la première exécution d’une nouvelle révision de l’orchestration du Concerto pour piano et orchestre de Ravel. Mais il débute par la musique de scène que Gabriel Fauré élabora en mai 1898 pour les représentations londoniennes du Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Charles Dutoit en aborde le Prélude dans un tempo extrêmement lent empreint de mystère, dominé par un legato expressif dont la charge émotionnelle sera décantée par le cor lointain et le violoncelle solo réexposant pianissimo le motif initial. La Fileuse est dépeinte par le moto perpetuo des cordes déroulant l’écheveau, alors que le hautbois développe sa cantilène qu’assombrit l’intervention du cor et de la clarinette. La Sicilienne oscille au gré de la flûte et de la harpe imitant les reflets changeants dans l’eau de la fontaine. Les bois tragiques évoquent la Mort de Mélisande en chargeant les tutti d’un extrême désespoir que les cordes dilueront en accords vides…

Intervient ensuite Jean-Yves Thibaudet qui reprend l’un de ses chevaux de bataille, le Concerto pour piano et orchestre de Maurice Ravel qu’il aborde avec un jeu clair où le trait est acéré avant de se fluidifier en arpèges amenant un cantabile sobre ponctué par une basse nerveuse. Les miroitements de la harpe produisent une atmosphère étrange dont Charles Dutoit se délecte à souligner les innovations audacieuses, tandis que le soliste livre un flux de doubles croches envenimées par le trille débouchant sur une stretta effrénée. Par contraste, l’Adagio assai n’est que méditation intériorisée, à peine troublée par une tension du tutti que dissipera le cor anglais. Le piano en ornementera la mélopée en sachant se mettre au second plan. Par contre, c’est lui qui se placera à l’avant-scène dans un Presto échevelé aux éclats fauves qui maintiendra cette dynamique haletante jusqu’aux percutants accords conclusifs. Aux insistantes requêtes de bis, Jean-Yves Thibaudet finira par céder en déroulant la Pavane pour une infante défunte comme dans un songe lointain…

Sentiments mitigés au Namur Concert Hall

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À l’occasion du premier Concours National de Trompette organisé à Namur, l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, renforcé par quatre étudiants de l’IMEP, a proposé un programme construit autour de deux concertos pour trompette.

Pour ouvrir le concert, nous avons pu entendre le très célèbre Adagio pour cordes Op.11 de Samuel Barber. Dirigés par Vahan Mardirossian, les musiciens ont très bien commencé l’œuvre, avec une belle nuance piano. Malheureusement, nous avons dû attendre de longues minutes avant qu’ils n’insufflent plus de tensions dans leur jeu. Bien que les musiciens aient été extrêmement précis d’un bout à l’autre de la pièce, c’est avec un goût de trop peu que nous sommes passés au premier concerto de la soirée.

Celui-ci était le Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes en do mineur Op. 35 de Dimitri Chostakovitch. Avec Tristan Pfaff au piano et Dominique Bodart à la trompette, l’orchestre nous a livré une belle prestation. Malgré un début quelque peu hésitant et un léger problème de balance entre le piano et l’orchestre, le premier mouvement fût joliment interprété. Tristan Pfaff a déployé tout son talent de virtuose dès le début de l’œuvre, tandis que Dominique Bodart a bien assuré chacune de ses interventions (la trompette ayant un rôle plutôt secondaire). Le deuxième mouvement fut beaucoup plus équilibré, bien que les pizzicato des cordes furent systématiquement inaudibles. Ce fut l’occasion d’entendre des interventions plus longues du trompettiste belge et d’ainsi pouvoir apprécier la sonorité très ronde de son jeu. Partie la plus réussie de la pièce, le troisième mouvement fut interprété avec plus d’énergie et de caractère que les précédents. La balance entre le pianiste, le trompettiste et l’orchestre était parfaite.

Très applaudi par le public, Tristan Pfaff a interprété en bis la Danse du Sabre de Khachaturian dans un arrangement pour piano seul. Impressionnant de calme et d’aisance dans cette pièce requérant une virtuosité et une précision chirurgicale, le pianiste a conquis le public.

Les affres du poète Rilke, reflétées dans un Livre d’orgue de Jacques Lenot, intensément valorisé

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Jacques Lenot (*1945) : Troisième Livre d’orgue. 1 Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes solitaire comme une veine de métal pur ; 2 Je suis perdu dans un abîme illimité, dans une nuit profonde et sans horizon ; 3 Neige éternelle qui fait pâlir les étoiles ; 4 Que je sois le veilleur de tous tes horizons ; 5 O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort, donne à chacun la mort née de sa propre vie où il connut l'amour et la misère ; 6 Mais des anges sont venus comme une nuée d'oiseaux ; 7 Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes ; 8 Fais, Seigneur, qu’un homme soit saint et grand et donne-lui une nuit profonde infinie ; 9 Alors se levait l’âme errante des plaines ; 10 Car la pauvreté est comme une grande lumière au fond du cœur ; 11 Et comme la main qui monte aux yeux pour cacher des larmes trop tristes ; 12 Et que sont, devant toi, tous les oiseaux qui tremblent ; 13 Et ils vont dans l’espace qu’embrasse ton regard comme vont les mains sur les cordes de la harpe ; 14 Que ne se lève-t-il dans leur crépuscule, lui l’étoile du soir de la grande pauvreté. Jean-Christophe Revel, orgue. Mars 2021. Livret en français. TT 75’18. L’oiseau prophète 007