Papier à musique : Calligraphie debussyste

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Qui n’a pas rêvé d’avoir accès aux manuscrits des plus grands compositeurs, rêve devenu réalité dans une certaine mesure, depuis que les détenteurs de ces manuscrits acceptent qu’ils soient reproduits en tout ou partie. Sans dénier l’interêt de certains livres qui proposent des pages isolées de grands manuscrits, le musicien cherchera plutôt des fac-similé complets pour s’immerger totalement dans l’œuvre concernée et tenter d’en comprendre la gestation, une approche graphologique en quelque sorte, une approche pleine de surprises. Rien de nouveau dans le fait que le côté brouillon parfois indéchiffrable des manuscrits de Beethoven révèle une personnalité tourmentée et passionnée. On le savait. De même, l’écriture bien ordonnée de Jean-Sébastien Bach correspond parfaitement à la musique structurée qu’il nous a livrée. Mozart, plus difficile ; ça part dans tous les sens. Ravel, de belles pages d’écriture. Berlioz, Mahler, de parfaits reflets de l’instabilité de ces compositeurs. Et Debussy ? Plus besoin d’aller à la BNF, le manuscrit de La Mer est à présent disponible en fac-similé (Bärenreiter), accompagné d’une analyse de Denis Herlin et Mathias Auclair. Depuis l’époque des premières publications en fac-similé, les techniques de reproduction ont fait des progrès considérables, notamment les contrastes qui rendent lisibles les moindres détails. Et ils sont essentiels car Debussy aimait les pattes de mouches.

Le chef d’orchestre qui ouvre un tel volume commence par chercher les différences. Bien sûr les fanfares à la fin des Dialogues du vent et de la mer. Elles sont bien présentes dans le manuscrit original, mais elles avaient été supprimées dans la seconde édition qui a servi de référence pour la postérité et on les joue rarement aujourd’hui. J’ai eu la chance d’entendre Ansermet diriger La Mer à la fin de sa vie. Il les avait rétablies et m’avait expliqué que c’était le choix ultime de Debussy. Dont acte.

Hommages à Michelle Debra 

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La rédaction de Crescendo Magazine rend hommage à Michelle Debra, sa cofondatrice, avec la publication de ces témoignages.

Nous sommes le 16 juin 2012, le Conservatoire Royal de Bruxelles où je poursuis mes études, envoie un courrier à l’ensemble des étudiants pour annoncer un appel à candidatures : « Un défi à relever, l’occasion de partager… ! Crescendo recherche des collaborateurs(trices) à la rédaction… ». Aussitôt reçu, ce courrier éveille ma curiosité et me pousse à poser immédiatement quelques questions à Bernadette Beyne, alors Rédactrice en chef. La réponse arrive sans tarder : «n’hésitez pas à nous adresser vos questions, nous y répondrons bien volontiers et le plus rapidement possible ». Puis, c’est autour de Michelle Debra de m’écrire, suite à l’envoi de mon dossier, m’expliquant très simplement que ma candidature a retenu positivement leur attention et qu’elles souhaitent me rencontrer. Cela semble anecdotique, mais en réalité, ce premier échange de mails fut le point de départ d’une amitié de plus de 10 ans, avec ce sentiment d’avoir en face de soi des personnes bienveillantes, respectueuses et jamais dans l’excès. 

Il faudra néanmoins attendre le 17 août pour rencontrer ce duo infatigable. Dès mon arrivée, je suis frappé par l’accueil si chaleureux, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Et alors que rien n’est encore convenu, Michelle pose en face de moi une cinquantaine de cd, des partitions, des livres… et me dit très naturellement : « faites le tri, prenez ce qui vous semble pertinent selon vos connaissances et on y va ». C’est le type de moment que l’on garde en mémoire. Tambour battant, je rentre chez moi, mon sac bien rempli, et je m’y mets donc immédiatement, tout en envoyant dans la foulée ma première liste de concerts que j’aimerais couvrir. Le premier « test » sera un concert de René Jacobs dans la Passion selon St Matthieu, « Je trouve que Jacobs est une jolie entrée en matière… » écrit Michelle, tout en m’indiquant la marche à suivre pour les Crescendiste. Bref, je n’aurais jamais imaginé me retrouver chaque semaine dans les plus belles salles d’Europe face à des artistes exceptionnels. L’exercice n’est pas aisé au départ, mais les mails d’aide et de soutien pleuvent. Être collaborateur à Crescendo, c’est être entouré d’une équipe qui n’hésite pas à prendre du temps pour accompagner ses collaborateurs, c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui. 

Décès de Michelle Debra, cofondatrice de Crescendo-Magazine

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La rédaction de Crescendo Magazine a la douleur de vous faire part du décès de Michelle Debra, cofondatrice de notre média. Michelle et Bernadette Beyne avaient fondé, en 1993 Crescendo Magazine, initiative volontaire et courageuse dans le paysage médiatique et culturel pour contribuer au rayonnement de la musique classique dans le monde francophone, depuis la Belgique. 

Que ce soit  au temps de la version papier du magazine ou ensuite dans sa déclinaison intégralement numérique, Michelle était essentielle au fonctionnement de notre média,  “femme de l’ombre ou bras armé”, telle qu’elle se décrivait dans sa présentation sur notre site. 

Ses rôles étaient multiples : membre du comité de rédaction, secrétaire de rédaction, directrice commerciale, relectrice scrupuleuse, animatrice de la partie “journal” du site,...Des tâches "backstage" mais tellement vitales dans le fonctionnement d'un média.

Michelle était la coordinatrice des Reporters de l’IMEP, programme novateur et unique qu’elle avait initié avec Bernadette Beyne et Guido Jardon, directeur de l’IMEP permettant à des jeunes étudiantes et étudiants de l’enseignement supérieur musical de se familiariser avec la critique et de découvrir d’autres aspects du milieu professionnel.  

Avec Bernadette, elle avait été dans le cercle des médias fondateurs des International Classical Music Awards en devenant membre du bureau puis vice-présidente du Jury.

Come Bach au Lucernaire : l’universalité du Cantor de Leipzig comme héritage

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Portée par un quatuor féminin débordant d’énergie et de complicité, ce tourbillonnant hommage à Bach mis en scène par Gérard Rauber démontre tant son œcuménicité que la multitude de ses influences.

Peut-on concilier musique classique et humour ? Dans une piètre interprétation du rire bergsonien, la grande majorité des spectacles prétendant s’y risquer se bornent, à la manière d’une mauvaise comédie populeuse, à souligner un supposé décalage entre des gags plus ou moins gras et les aspects supposément altiers et élitistes du genre musical. Tel n’est fort heureusement pas le cas de ce spectacle où l’humour, fort variable dans ses formes, allant du pantomime avec le B-A-C-H d’Arvo Pärt au calembour avec la Bacchanale de Saint-Saëns, tout en passant par une explication du contrepoint particulièrement savoureuse, demeure toujours en musicalité et diablement rythmée; et ne vient que renforcer la facilité d’accès au compositeur et ses émules.

La qualité musicale n’est d’ailleurs pas en reste. On se demande encore comment Anne Baquet réussit à surmonter ce marathon vocal sans se réhydrater une seule fois durant ce kaléidoscope d’1h10. La projection est toujours bien dosée et l’articulation claire à l’instar des voyelles et « Ma plus courte chanson », le timbre déploie une musicalité remarquée, vectrice d’émotion. Au piano, Christine Fonlupt (en alternance avec Claude Collet) se démarque quant à elle tant par ses grandes qualités d’écoute dans les passages accompagnateurs, mais aussi, notamment par la puissance chaloupée de son jeu dans la toccata de Kaspoutin.

Piano Twins : deux pianos et quatre mains pour trois compositeurs !

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Erik Satie (1866-1925) : ”Manière de commencement” (extrait des Trois morceaux en forme de poire), Première Gymnopédie ; Claude Debussy (1862-1918): Lindaraja, Prélude à l’après-midi d’un fauneLa mer  (Arrangement d’André Caplet) ; Maurice Ravel (1875-1937) : La Valse  ; Sites auriculaires. Vanessa Wagner & Wilhem Latchoumia, pianos. 2022. Livret en français, anglais, allemand et japonais.  61’56’’.  La Dolce Volta - LDV 120.

A Genève, un Concert de l’An inégal 

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Au cours des premiers jours de l’an, les Amis de l’Orchestre de la Suisse Romande organisent un Concert de l’An qui est donné le premier soir au Victoria Hall de Genève, le second soir au Théâtre de Beaulieu à Lausanne. Pour cette année, le choix s’est porté sur un programme lyrique que devaient interpréter Sonya Yoncheva et Dmitry Korchak sous la direction de Jonathan Nott. Mais confrontée à de graves problèmes de santé, la soprano bulgare a dû annuler sa participation et au dernier moment, accourt depuis l’Arménie Juliana Grigoryan qui, le temps d’une seule répétition et d’un raccord, respecte en grande partie le programme prévu.

Y figure une page célèbre, l’Ouverture que Rossini composa en 1829 pour son dernier ouvrage, Guillaume Tell. Le jeune violoncelliste Léonard Frey-Maibach livre un solo empreint d’une extrême sensibilité que soutient le canevas en demi-teintes tissé par ses collègues de pupitre. Un pianissimo presque imperceptible (presque inouï sous cette baguette !) amène subrepticement l’orage qui déferle sur les trombones menaçants, avant que le cor anglais n’imprègne le ranz des vaches d’une mélancolie que pour une fois ( !), les bois pimentent de suaves inflexions. Hélas ! quelques couacs inopportuns gâchent l’attaque du célèbre galop qui s’en remet rapidement pour sacrifier à l’effet cavalerie lourde !

Intervient ensuite le ténor russe Dmitry Korchak que j’ai entendu régulièrement à Pesaro depuis 2006. Aujourd’hui, à quarante-cinq ans, ce Rossini qu’il a abondamment interprété convient beaucoup moins à sa morphologie vocale en pleine mutation. Et la scena ed aria de Rodrigo au deuxième acte d’Otello, « Che ascolto !... Ah ! come mai non senti pietà » le pousse à livrer en un curieux fortissimo le declamato et à pousser l’aigu dominant une coloratura grossièrement savonnée. Au deuxième acte de La Fille du Régiment, la scène de Tonio, « Ah mes amis, quel jour de fête », limitée à quelques mesures, laisse une impression tout aussi peu convaincante  que confirme la série de contre-ut étranglés dans  la redoutable stretta « Pour mon âme ». Mais le public, composé en grande partie d’invités et de sponsors non connaisseurs,  n’y prête guère attention en applaudissant à tout rompre ! Quant à Juliana Grigoryan, elle propose d’abord la Romance à la lune tirée du premier acte de la Rusalka d’Antonin Dvorak, en irisant son timbre sombre aux aspérités gutturales d’une ligne de chant qui lui permet de négocier piano son second couplet. Puis elle joue la carte du grand lyrisme dans le si rabâché « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi en s’armant d’une naïveté toute ingénue. Puis avec la volonté de respecter le programme annoncé, elle s’attaque à la seule « Casta diva » de Norma en déployant une ampleur de phrasé qui se durcit avec la réitération des la bécarre 4 appuyés et des gruppetti d’ornementation.

Rites latins à Alicante 

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The Latin Rites. José Pablo Moncayo (1918-1958) : Huapango ; Astor Piazzolla (1921-1992) : Tangazo ; Alberto Ginastera (1916-1983) : Danzas del Ballet Estancia ; Silvestre Revueltas (1899-1940) : La Noche de Los Mayas ; Leonard Bernstein (1918-1990) : “Mambo” tiré des Danses symphoniques de West Side Story ; Arturo Márquez (né en 1950) :  Danzón no 2. ADDA Simfònica Alicante, direction : Josep Vicent. 2024. Livret en espagnol et anglais. Aria 018. 

La mise en scène historique de Carmen ? Une invitation qui ne se refuse pas

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Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra-comique en quatre actes, dans la mise en scène historique de 1875. Deepa Johnny (Carmen), Stanislas de Barbeyrac (Don José), Nicolas Courjal (Escamillo), Iulia Maria Dan (Micaëla), Faustine de Monès (Frasquita), Floriane Hasler (Mercédès), Nicolas Brooymans (Zuniga), Yoann Dubruque (Moralès), Florent Karrer (Le Dancaïre), Thomas Morris (Le Remendado) ; Chœur Accentus/Opéra de Rouen Normandie ; Chœurs d’enfants de la Maîtrise du Conservatoire de Rouen ; Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, direction Ben Glassberg. 2023. Textes de présentation et synopsis en anglais, en français, en allemand et en italien. Sous-titres français, anglais, allemands et italiens. 168’ 17’’ + bonus de 14.25 (en streaming). Un livre avec DVD et Blu Ray BZ 3001. 

Benoît Mernier, compositeur et organiste à l’occasion de ses 60 ans 

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Le compositeur et organiste belge Benoît Mernier, l’un des musiciens les plus considérables de notre pays, célèbre ses 60 ans. Cet anniversaire s’illustre en deux temps: une nouvelle création par l’Orchestre philharmonique royal de Liège (OPRL) à l’occasion de deux concerts à Liège et Bruxelles, et une parution discographique qui permet de retrouver Benoît Mernier à l’orgue (Cyprès), l’instrument qu’il enseigne au Conservatoire royal de Bruxelles. 


Vous avez donc une nouvelle création avec l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège.  Il s'agit d'un diptyque symphonique, ce qui n'est pas si fréquent. Comment en êtes-vous arrivé à composer ce duo de musiques pour orchestre ?


C’est un concours de circonstances ! La première pièce, Comme d’autres esprits était une commande du Festival Ars Musica qui fêtait son 30e anniversaire. La partition a été créée dans le cadre du festival 2019, à Liège et Bruxelles, par l’OPRL et son directeur musical, Gergely Madaras. À l'origine, on m'avait demandé d'écrire un mini concerto pour violoncelle, qui viendrait se placer avant celui de Dutilleux, le très connu Tout un monde lointain. Je n’étais pas complètement convaincu. Finalement, cette idée a débouché sur une partition qui est, je ne vais pas dire un prélude à Tout un monde lointain, mais qui est en tout cas pensée en relation avec cette œuvre que j’adore, comme toutes celles de cet immense compositeur qu’était Henri Dutilleux. Il y a d'ailleurs à la fin de cette pièce un solo de violoncelle, et surtout une inspiration commune qui était de l’univers poétique de Charles Baudelaire et en particulier son poème La Chevelure. Gergely Madaras, qui avait remarquablement dirigé cette pièce, me dit après le concert de création qui s’était magnifiquement déroulé : “mais ça pourrait être le premier mouvement d'une symphonie”. Sur l’instant, nous en étions restés là, mais l’OPRL est ensuite revenu vers moi pour me commander une nouvelle partition qui puisse être jouée à la suite de Comme d’autres esprits, avec pour ambition une première en 2023. Sauf qu'entre-temps, Philippe Boesmans, juste quelques heures avant son décès, m’avait demandé de terminer son opéra, On purge bébé – il y avait encore une dizaine de minutes à compléter. La nouvelle partition Sur un ciel immense que j’ai terminée juste après mon travail sur l’opéra de Philippe, est finalement donnée en première mondiale en ce mois de janvier et elle est précédée de Comme d’autres esprits. Cette nouvelle œuvre est naturellement dédiée à la mémoire de Philippe. Je dois remercier l’OPRL qui s’est montré particulièrement compréhensif dans le décalage de la programmation. 

Comment se caractérise cette nouvelle partition ?

Le caractère de Sur un ciel immense est assez différent de Comme d’autres esprits, même si l’instrumentarium est identique J’ai vraiment pensé cette partition comme un hommage à la mémoire de Philippe Boesmans. Comme je disais, c'était la première pièce que j'écrivais juste après mon travail sur son opéra. Cet achèvement de la partition d’On purge Bébé fut très particulier parce que par et dans ce travail, j'avais fait un peu une partie de mon deuil par rapport au décès de Philippe, qui m’était très cher, en me coulant littéralement dans sa musique. Il s'agissait d'être sur la même ligne stylistique, grammaticale et d'essayer vraiment de terminer On purge bébé au plus proche de ce Philippe avait fait. J'avais envie de poursuivre cette sorte d'hommage, mais là, cette fois, avec mon propre langage et avec un projet qui était le mien. Je n'ai pas voulu faire non plus un tombeau ou une lamentation et donc, au final, c'est une pièce très vive, très virtuose pour les instrumentistes, en souvenir d’une certaine façon du rire et de la légèreté de Philippe. Elle sonne un peu à mi-chemin entre un scherzo et un finale. Le titre renvoie encore à Baudelaire et à son poème Un hémisphère dans une chevelure du Spleen de Paris. Il s'est passé quatre ans entre la composition des deux pièces. Si elles font partie d'un même cycle, elles peuvent être aussi jouées de manière indépendante.