Dossiers

Un sujet musical abordé selon différents points de vus et, souvent, différents auteurs.

Dalia Stasevska, baguette d’avenir 

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La cheffe d’orchestre Dalia Stasevska a fait l'événement cette année. Cheffe invitée du BBC Symphony Orchestra, elle a fait ses débuts au pupitre de la Last Night of the Proms devenant la seconde femme à (après Marin Alsop) à diriger cet évènement planétaire. Alors qu’elle vient de recevoir le prestigieux Royal Philharmonic Society Conductor Award, la musicienne répond à nos questions. 

Un célèbre proverbe de l'Antiquité dit que "la musique adoucit les manières". Mais à notre époque, la musique classique est parfois considérée comme un facteur de division : la musique classique semble trop élitiste, pas assez ouverte aux minorités ethniques, ou certaines partitions sont jugées avec notre regard contemporain et condamnées par notre sensibilité contemporaine. Que pensez-vous de tous ces débats sur la musique classique ? Êtes-vous préoccupée par l'universalité de la musique classique ? 

Je suis enthousiaste d'être témoin de ces avancées importantes vers plus d'égalité et de diversité qui ont eu lieu ces dernières années. Ces mesures ont beaucoup influencé notre façon de voir, de faire et de penser à toutes sortes de choses. Je pense que la clé en général est d'arrêter de penser en termes de nous contre eux. Cela s'applique également à la musique classique. Si quelqu'un pense que la musique classique est meilleure que les autres genres musicaux, c'est cette pensée qui donne la marque "élitiste". Je suis vraiment optimiste en ce qui concerne la musique classique, il y a une bonne énergie dans l'industrie, beaucoup de grands changements et de développement, la musique classique est plus visible que jamais grâce à la technologie, cela crée beaucoup d'espace pour la créativité. Mais nous devons aussi nous rappeler que des choses comme l'égalité et la diversité ne sont pas des choses à prendre pour acquises mais des questions à prendre en compte en permanence.

Cette année, vous avez dirigé la célèbre Last Night of the Proms, mais dans un contexte sanitaire strict et sans public, dans la grande salle de concert du Royal Albert Hall. Comment avez-vous vécu cet événement dans un Royal Albert Hall vide ?  

C'était certainement une expérience unique. C'était aussi la première fois que je dirigeais un concert sans public. Le plaisir d'être un artiste est d'avoir le public avec soi et ressentir ses réactions, l'excitation de sa présence, ainsi que toutes nos traditions de concert. Retirer l'un des éléments les plus importants -le public- est certainement une situation des plus bizarres. Mais en même temps, savoir que des millions de personnes regardaient et écoutaient à travers leurs écrans. C’est un concert qui signifie tant pour beaucoup de gens et c’est toujours très émouvant. Nous étions toujours ensemble grâce à la musique, et le fait de le savoir nous a aidés à nous concentrer sur le spectacle. 

« Comprendre la musique au-delà du digital » : entretien avec la guitariste Gaëlle Solal autour de son nouveau disque Tuhu

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Une critique de disque n’aurait pu rendre compte de la personnalité pétillante, sincère et chaleureuse de la guitariste Gaëlle Solal qui sort en ce moment son nouveau disque Tuhu (« petite flamme » dans la langue Tupi), construit autour d’Heitor Villa-Lobos. Un disque qui réunit diverses influences, inspirations, dédicaces et des hommages croisés dans un programme original et créatif. Les pistes s’enchaînent dans un flux si continu et si logique qu’on est surpris en découvrant le mélange d'œuvres de pas moins de huit compositeurs différents. 

Avec Gaëlle Solal, nous avons discuté des rodas de choro et de son voyage au Brésil, de sa recherche du « vrai » avec Tuhu, de son engagement en faveur des femmes guitaristes et, enfin, de son parcours qui brise les codes. 

Sur le voyage au Brésil qui a tout changé 

J’ai atterri au Brésil en 2009 sur un coup de cœur après avoir assisté au Festival Villa-Lobos organisé à Radio France. Au début, je ne savais pas que j’allais avoir des affinités avec cette musique. Mais une fois sur place, j’ai été secouée en découvrant que les musiciens brésiliens ne font pas une distinction aussi forte qu’en Europe entre musique classique et musique populaire. En effet, au Brésil tout est considéré comme musique. Je m’en suis surtout rendue compte dans les roda de choro. Dans ces groupes, sortes de jam sessions brésiliennes, les musiciens passaient « à la moulinette » des pièces de Bach, des pièces de Villa-Lobos et des pièces typiques du répertoire populaire. Cette idée qu’on puisse s’approprier toutes les musiques m’a particulièrement marquée lors de ce voyage. 

Osmo Vänskä, Sibelius, Mahler et le futur 

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Le chef d’orchestre Osmo Vänskä est l’une des plus grandes baguettes de notre époque. Directeur musical de l’Orchestre du Minnesota et du Philharmonique de Séoul, il mène également une prestigieuse carrière de chef invité. Auteur d’une discographie considérable par son importance, il remet sur le métier les symphonies de Sibelius pour le label BIS. Cette deuxième intégrale vient prendre place aux côtés d’une première gravure qui avait marqué son temps. Le chef qui aime les défis, poursuit également une intégrale des Symphonies de Mahler (Bis). 

Vous sortez un nouvel enregistrement des symphonies de Sibelius avec le Minnesota Orchestra dont vous êtes le directeur musical. Il s'agit de votre deuxième enregistrement, après celui que vous avez fait avec le Lahti Sinfonia, également pour Bis. Qu'est-ce qui vous a incité à remettre votre Sibelius au travail ?

 J’ai posé la même question au label Bis lorsqu’ils m'ont dit qu'ils aimeraient publier un nouveau cycle des symphonies de Sibelius avec l'orchestre du Minnesota. Ils m'ont répondu que cela faisait plus de 15 ans que les enregistrements de Lahti avaient été réalisés, et j'ai été surpris de voir comme le temps passe vite ! Mais finalement, je pense que c'était peut-être la bonne décision de réenregistrer le cycle complet et de donner au public une autre "image" de la même musique, comme une version "adulte". 

Votre vision de Sibelius a-t-elle changé entre ces deux enregistrements ? 

Ma vision de base est la même qu'avant, mais je ne suis pas la même personne ou le même chef d'orchestre. J'y reviens maintenant en tant que personne plus âgée avec des expériences de vie très différentes.

Cyril Huvé, à propos de Beethoven 

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Le pianiste Cyril Huvé fait paraître chez Calliope un album consacré à des sonates de Beethoven qu’il interprète sur 3 pianoforte différents. Cet album aussi personnel que réfléchi est un grand moment de musique. Crescendo Magazine a voulu en savoir plus sur sa démarche. 

Votre nouvel enregistrement est consacré à cinq des plus célèbres sonates de Beethoven. Qu’est-ce qui vous a orienté vers ce choix ? 

D’abord ce sont des Sonates que j’avais envie de jouer, elles appartiennent à mon répertoire depuis longtemps. Ensuite, si elles sont célèbres, c’est justement parce qu’il y a une raison, ce sont de grands chefs d'œuvre : pourquoi leur enregistrement serait-il réservé aux interprètes les plus célèbres ? Plus profondément, je m’intéresse depuis longtemps aux valeurs du discours musical, je veux dire que la perception que nous avons aujourd’hui de la fonction des oeuvres musicales a considérablement changé : il suffit de lire un moment les textes des amis de Beethoven, les lettres que celui-ci envoyait à ses éditeurs, les fragments de dialogue sur lesquels ses Cahiers de conversation lèvent le voile, le premier 'traité d’exécution’ de son oeuvre pour piano rédigé par Czerny, pour être frappé par le caractère oratoire de cette musique. Non pas au sens vague que nous pourrions lui donner aujourd’hui mais, très précisément et dans le détail de l’écriture, un parallèle constant entre l’éloquence de la voix humaine et sa traduction par le truchement instrumental. Cela se retrouve tout autant dans le Traité de l’Art du violon de Baillot au moment où, à Paris, Habeneck créait les Symphonies. On peut dire que Beethoven ‘parle’ en musique pour communiquer une réaction émotionnelle, à l’instar d’un orateur. Ses Sonates ‘à titre’ en sont très représentatives, à commencer par la « Pathétique », qui pose comme un cadre dans lequel il s’exprimera tout au long de sa production. La musique n’est pas faite pour divertir, encore moins pour mettre en valeur l’exécutant. J’ai été frappé par le fait que Beethoven n’a guère joué ses Sonates en public, alors qu’il était très célèbre comme improvisateur -justement c’est un peu le côté ‘orateur’ qui soulève les foules. Cela lui a permis d’expérimenter un langage musical qu’il a ensuite mis en forme, pour la postérité, dans des Sonates très élaborées et réfléchies où il livre la quintessence d’un discours. Lorsqu’on entend un grand orateur -comment ne pas évoquer Bossuet bien sûr, mais pensons, plus près de nous, à André Malraux ou même au Général de Gaulle, ou à de grands comédiens ou prédicateurs dont nous avons des témoignages sonores-, la pensée consciente est submergée par la vertu d’une alchimie mystérieuse du son et du sens. C’est la fonction que très délibérément Beethoven assigne à la composition, tout particulièrement dans les Sonates que j’ai choisies, je pense que cela a une certaine cohérence.

Diana Damrau face aux reines Tudor de Donizetti 

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La soprano Diana Damrau est l’une des artistes les plus considérables de notre temps. Adulée du public, star mondiale du chant, elle fait l'évènement avec un album consacré aux scènes finales des opéras Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux de Donizetti. L’artiste y incarne Maria Stuarda, Anna Bolena et Elisabetta, des reines plongées dans les drames de l’Histoire. 

Votre nouvel album présente des scènes tirées des opéras Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux de Donizetti. Qu'est-ce qui vous a poussée à enregistrer des extraits de ces trois opéras ? 

Quand on m'a proposé d'enregistrer avec le fantastique Orchestra e Coro dell' Accademia Nazionale di Santa Cecilia et le merveilleux Maestro Sir Antonio Pappano, cela signifiait que nous aurions la possibilité d'enregistrer comme dans une maison d’opéra. Enregistrer sur un seul album toutes les scènes finales des opéras de Donizetti avec comme sujet les reines Tudor était un rêve personnel. Ayant déjà chanté Maria Stuarda sur scène et préparé Anna Bolena, il n'y avait aucun doute sur ce qu'il fallait enregistrer, puisque ma préférée de ces reines est Elisabetta dans Roberto Devereux, mais je ne sais pas si je l'aborderai un jour sur scène.

Quels sont les défis musicaux et techniques à surmonter pour affronter les rôles de Maria Stuarda, Anna Bolena et Elisabetta ?

Les "reines Tudor" sont les plus belles pièces pour un "animal de scène". Vocalement et théâtralement, elles sont un immense plaisir. Vous pouvez jouer avec votre voix et vous avez fait l'expérience de ces femmes. Il s'agit d'une acrobatie vocale, mais elle doit toujours rester liée à la personnalité dramaturgique et, malgré les situations dramatiques, la voix doit être chantée avec la technique du belcanto.

Sébastien Hurtaud, violoncelliste 

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Le violoncelliste Sébastien Hurtaud narre l’Histoire au présent avec son nouvel album qui associe le célèbre Concerto d’Elgar au Chemin des dames, nouvelle œuvre pour violoncelle et orchestre du compositeur néo-zélandais Gareth Farr. Trait d’union entre les peuples et les périodes, cet enregistrement mérite une grande attention pour la vision qu’il présente de l’Histoire et de la Musique. Rencontre avec un musicien apprécié par-delà les hémisphères et qui nous raconte la vie musicale néo-zélandaise.  

Vous interprétez le concerto pour violoncelle Chemin des Dames du compositeur néo-zélandais Gareth Farr. Que représente pour vous cette nouvelle partition ?

Pour moi, cette oeuvre symbolise de nombreux aspects ! Ce concerto rend hommage aux combattants de la première Guerre Mondiale du monde entier. Il est très rare dans le répertoire du violoncelle de jouer de telles oeuvres qui honorent la mémoire des hommes et des femmes qui ont pris part à ce terrible conflit. La famille de Gareth Farr a perdu ses trois arrières-grands-oncles lors des batailles de la Somme dans le Nord de La France. Ce concerto Chemin des Dames sacralise des drames personnels qui sont devenus l'expression musicale d’une l’histoire universelle. Pour moi, avoir donné la première mondiale de ce concerto est un devoir de mémoire ! Pour autant, je me suis efforcé dans mon interprétation à ne jamais perdre de tête qu’il faut toujours espérer. Cette énergie particulière m’a permis de donner une conduite à mon jeu de la première à la dernière note du concerto. Le compositeur néo-zélandais a aussi voulu donner un double sens à ce titre, il était bien informé du rôle prépondérant des femmes pendant ce conflit qui a représenté pour leur cause une véritable émancipation. Ce concerto pour violoncelle Chemin des Dames est une nouvelle pièce majeure dans le répertoire du violoncelle concertant et je suis fier qu’il me soit dédié. 

Le Chemin des Dames est l’un des lieux majeurs des batailles de la Première Guerre mondiale. En quoi cet endroit est-il cher à la mémoire des Néo-Zélandais ?

Gareth Farr, qui est basé à Wellington en Nouvelle-Zélande, a pris la merveilleuse décision de voyager en France au printemps 2016 pour venir visiter les lieux emblématiques de la Première Guerre mondiale avant de composer. Il souhaitait aussi retrouver la trace de ses trois arrières-grands oncles morts lors des batailles de la Somme. Il était prévu que la première européenne du concerto se déroule au festival International de Laon, avec l’Orchestre National de Metz, en 2017. Non loin de cette ville, juste à côté de cette ligne de front connue sous le nom de Chemin des Dames (situé entre Laon et Reims), se trouve la fameuse Caverne du Dragon qui, à l’époque, servait de refuge aux armées alliés et ennemies. Même s’il n’y a pas eu de combattants néo-zélandais lors de la bataille du Chemin des Dames. Gareth Farr n’a pas voulu faire une description d’une bataille en particulier, sinon le concerto se serait appelé « Arras » ou « Le Quesnoy », mais c’est bien cette visite de la Caverne du Dragon sur le Chemin des Dames qui a été déterminante pour son travail et ensuite dans mon interprétation. Nous avons hésité à donner à sa pièce le titre de “Requiem”, plus générique, mais nous avons finalement préféré garder juste l’appellation Chemin des Dames.

Fatma Saïd, le chant de l’âme 

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La soprano Fatma Saïd est une chanteuse qui met le monde à ses pieds. Son album El Nour a fait l’évènement par l’originalité de son concept, et chacune de ses apparitions séduit le public et les commentateurs. Les comparaisons sont des plus flatteuses alors que l’on voit en elle une nouvelle “Maria Callas”. Crescendo Magazine rencontre une musicienne qui franchit les frontières des genres et qui pose un regard fin sur son époque.

Votre album se nomme “El Nour”, ce qui signifie la Lumière. Pouvez-vous nous en expliquer le concept ? 

Mon premier album El Nour, "la lumière" en arabe, a pris des années à se faire. Avec lui, j'ai voulu explorer comment une musique qui a été interprétée de nombreuses fois peut être présentée de différentes façons, sous un autre jour. Il relie trois cultures et trois langues -l'arabe, le français et l'espagnol- et montre combien, malgré les différences culturelles, géographiques et historiques, elles ont en commun sur le plan musical.

Le panel de compositeurs proposé est très large : Maurice Ravel, Hector Berlioz, mais aussi des compositeurs comme Fernando Obradors ou Philippe Gaubert sans oublier Ğamāl Abd al-Rahīm, Najib Hankache, Said Darweesh, Elias Rahbani, Dawoud Hosni. Comment les avez-vous choisis ?

Je pense que ces trois cultures ont beaucoup plus en commun que nous le pensons. L'occupation française de l'Égypte et l'immigration arabe en Espagne ont créé au fil des ans des liens et des connexions artistiques que je peux vraiment ressentir dans la musique de ces trois cultures. Je me suis toujours sentie très proche de la musique espagnole, française et méditerranéenne et il était tout simplement logique de savoir pourquoi. Cette combinaison représente vraiment mon propre goût musical et me représente en tant qu'Égyptienne. L'Égypte a été fortement influencée par des pays comme l'Espagne et la France, mais elle les a aussi influencés sur le plan historique, artistique, littéraire et musical.

Alexander Boldachev, harpiste d’ouvertures 

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Virtuose accompli de la harpe, Alexandre Boldachev fait l’évènement avec un inattendu album Chopin qu’il mène depuis son instrument. Crescendo Magazine rencontre ce musicien hors normes qui se complait dans les frontières des styles et des genres. 

Votre nouveau disque est dédié à Chopin. C'est un choix très surprenant pour un harpiste. Quelles sont les motivations qui sous-tendent ce projet musical ? 

Ma principale motivation était de créer un nouveau son. Le son est un aspect central car la composition n'est qu'un matériau. J'aime Chopin et sa musique était en résonance avec mon monde. J'aime écouter comment les pianistes mettent leur énergie dans les Mazurkas et les Nocturnes. Au fur et à mesure, les idées se sont décantées dans mon esprit et je me suis dit que le concept de cet album valait la peine d'être essayé. Dernier argument, et non des moindres : Chopin a toujours été décrit comme un pianiste avec une touche de "harpe" et sa musique est pleine de lumière et de transparence...N’oublions pas non plus que sa chère George Sand jouait de la harpe. Toutes ces combinaisons m'ont entraîné vers ce projet. 

L'œuvre de Chopin est quantitativement importante. Comment avez-vous choisi les partitions présentées sur cet album ? 

J’ai parcouru tous les opus et j'ai pris ceux qui sont "sous les doigts". C'était un moment amusant et cela m'a donné une vision complète des œuvres de Chopin. J'aime aussi raconter des histoires et je ne peux pas ouvrir toutes les portes, sinon, ce ne serait pas intéressant. Mais les auditeurs de l'album peuvent trouver les chemins subjectifs qui ont guidé mon choix. N'est-ce pas un moment de bonheur pour chaque artiste ?

Isaac Karabtchevsky à propos de Villa-Lobos et Guarnieri 

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Le label Naxos a la bonne idée de proposer en coffret l’intégrale des symphonies de Villa-Lobos enregistrées entre 2011 et 2017 par Isaac Karabtchevsky au pupitre de l’excellent Orchestre Symphonique de São Paulo (OSEP). Cette parution est une occasion de parler de ce corpus magistral avec le grand chef brésilien qui fait également l’actualité avec un album consacré à des partitions de Camargo Guarnieri, un contemporain de Villa-Lobos. 

Qu’est-ce qui fait la particularité des symphonies de Villa-Lobos ? 

Pour comprendre l'œuvre de Villa-Lobos, il faut se replonger dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. Rio était une ville pleine de chaleur et de culture, et tous les compositeurs étaient sous l’influence de Debussy, spécialement Villa-Lobos. On peut dire que Debussy est la clef pour comprendre sa production. Ses partitions sont également les enfants de la Belle Epoque, une période de nouvelles tendances harmoniques, une réaction anti-wagnérienne, à la recherche de formules musicales novatrices. Les symphonies de Villa-Lobos étaient une tentative de trouver une voie personnelle. 

Est-ce que, dans ses symphonies, Villa-Lobos vous apparaît comme foncièrement brésilien ? 

Oui ! Malgré le fait qu’il se fond dans des formes musicales classiques comme celle de la sonate, il associe à cette base une dimension folklorique. Le folklore brésilien est toujours présent dans ses partitions et on ne peut pas le dissocier de son oeuvre. 

Emmanuelle Stéphan, pianiste 

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La pianiste française Emmanuelle Stéphan est à l’aise dans son époque. Si elle revendique la nation de tradition et d’école, elle manie avec brio les canaux de communication de son époque. Crescendo Magazine rencontre cette musicienne dont le duo qu’elle forme avec Gabriel Tacchino est des plus demandés à travers le monde.

J’ai lu que vous citez souvent les écoles “russe” et “française” qui ont façonné votre formation. Pourquoi ces deux nations musicales ? Est-ce que le terme d’école ou de style national a encore un sens actuellement ? 

C’est le hasard des parcours de vie qui nous façonne, et un heureux hasard qui a mis sur mon chemin des représentants de l’école russe et de l'école française. Pour moi, une grande chance fut que Yuri Klempert, élève d’un élève de Heinrich Neuhaus, fut mon premier professeur de piano. Klempert était un excellent traducteur de l’Art du Piano, ouvrage méthodologique du grand maître russe. Il m’a transmis sa passion du piano, et j’ai par la suite entretenu cet aspect en recueillant les conseils de Lilya Zilberstein à Vienne. Ma seconde nation musicale, française, est plus naturelle et choisie, c’est ici le goût qui m’a porté vers la musique française et notamment l’interprétation de Satie et Poulenc par Gabriel Tacchino. Si l’on s’accorde pour dire qu’une école au sens culturel est une concordance d'idées autour de personnalités majeures, alors oui, le terme a sûrement toujours un sens actuellement. Du moins lorsque l’on parle de la formation, où l’on se réfère en musique classique à des œuvres passées.

Quant aux œuvres actuelles, je suppose qu’il y a toujours une notion d’école : on dira toujours que tel compositeur est représentatif de la musique plutôt sérielle, minimaliste, etc,...