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Un sujet musical abordé selon différents points de vus et, souvent, différents auteurs.

Guillaume Tourniaire, chef d’orchestre 

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Le chef d’orchestre Guillaume Tourniaire est le maître d'œuvre d' un formidable concert que l’Opéra royal de Liège propose en ligne. L’opéra romantique français est le titre de ce moment de musique qui nous permet de retrouver un beau panel de chanteurs belges (Jodie Devos, Lionel Lhote et Marc Laho). C’est à voir en ligne sur la plateforme streaming de l’Opéra royal de Liège. 

Ce concert liégeois a pour titre “Hamlet et le romantisme à la française”. Pouvez-vous nous définir ce “romantisme à la française”?

C’est une vaste et passionnante question, à laquelle il est malheureusement impossible de répondre en quelques lignes seulement. Tentons cependant d’esquisser quelques pistes d’orientation… Quelques décennies après la révolution française, les soubresauts et conséquences de celle-ci continuent de modifier en profondeur la culture, l’organisation et l’existence même des pays en Europe. Les notions de nation et d’identité liée à une langue, deviennent de vibrants enjeux sociétaux. Ainsi, l’opéra italien (et "en italien"), qui régnait en maître jusqu’à la fin du siècle des Lumières dans tous les théâtres du monde, commence à être remis en question. Tandis qu’à Paris, Rossini et Donizetti composent désormais en français, chaque pays cherche à célébrer sa culture en se rapprochant de ses propres racines.  Née en partie de ces préoccupations, la réforme wagnérienne de l’opéra va marquer à jamais (mais  aussi polariser) la créativité des écoles nationales. Si Mozart (grâce à Beaumarchais) avait déjà ouvert la route dès 1786 dans Le Nozze di Figaro, la politique devient désormais un sujet récurrent d’inspiration chez de nombreux compositeurs célébrés à la fois comme artistes et hommes d'État. Il suffira de songer à la place prise par Verdi dans le Risorgimento en Italie où à celle de Smetana dans l’exaltation du sentiment anti Habsbourg alors que la Bohème vivait sous le joug de l’Empire austro-hongrois…  ou encore à celle d’Auber et sa Muette de Portici dans les troubles qui précédèrent la Révolution belge de 1830.    

Exerçant alors un pouvoir d’attraction unique en Europe, Paris est à la croisée de tous ces courants artistiques. Succédant aux premières créations géniales et révolutionnaires de Berlioz, les œuvres de Auber, Meyerbeer et Halévy enrichissent les premières pages du répertoire romantique français en faisant une synthèse des beautés du chant italien, de la richesse de l’orchestration allemande, et des préoccupations dramatiques nouvelles. Puis, s’affranchissant peu à peu de ces influences, et soucieux de se démarquer des deux figures tutélaires que sont Verdi et Wagner, les compositeurs français découvrent des accents musicaux plus personnels, plus caractéristiques de subtilités de leur langue et de leur culture.  La déclamation lyrique, jusqu’alors plus hiératique ou formelle, devient plus naturelle, plus souple et la mélodie française prend son envol. Les inflexions des récits chantés vont pouvoir se parer de sublimes transparences poétiques, de chatoyances orchestrales. La légèreté ou la fragilité des sentiments exprimés, mais aussi l’opulence ou la sensualité des passions ravageuses, vont bientôt caractériser un univers sonore unique et reconnaissable entre tous… le romantisme à la française...

 Comment avez-vous conçu le programme de ce concert ?

Celui-ci s’inscrit dans une programmation de quelques concerts en streaming faisant écho à des productions qui n’ont malheureusement pas pu avoir lieu à Liège cette saison à cause de la pandémie. Ainsi, la Directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie, Speranza Scappucci, m’a proposé de diriger quelques extraits de Hamlet avec les formidables solistes wallons Jodie Devos, Lionel Lhote et Marc Laho. Soucieux d’une part de ne pas trop divulgâcher (comme disent nos amis québécois) Hamlet que nous redonnerons dans une prochaine saison, et d’autre part, de conserver une trame théâtrale à ce concert, j’ai décidé de concentrer ce programme autour de trois chef-d’œuvres, Hamlet, Werther et Les Pêcheurs de Perles, trois piliers du répertoire romantique lyrique français, mêlant amour et folie. Puis, malgré l’absence de public, il m’a semblé qu’une pièce infiniment plus légère et réunissant nos trois solistes (le trio "Ah! Vous dirai-je maman!" extrait du Toréador d’Adolphe Adam), serait un charmant clin d’œil clôturant ce moment musical…         

Vassily Petrenko à propos de Miaskovsky 

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On ne présente plus l’excellent Vassily Petrenko ! Le chef russe est l’une des baguettes les plus demandées. Alors qu’il termine son mandat de Directeur musical du  Royal Liverpool Philharmonic Orchestra à la fin de cette saison, avant de prendre les rênes du Royal Philharmonic Orchestra  et de l’Orchestre symphonique académique d’état de Russie “Evgeny Svetlanov”, il fait l’évènement avec une parution au pupitre du Oslo Philharmonic Orchestra dont il fut le Directeur musical. Ce nouvel album Lawo met en relief la Symphonie n°6 de Prokofiev avec la Symphonie n° 27 de Miaskovsky. C’est à propos de ce dernier que nous échangeons avec le chef d’orchestre.  

Pour ce nouvel album, vous avez associé la Symphonie n° 6 de Serge Prokofiev à la Symphonie n° 27 de Miaskovsky. Comment vous est venue l'idée d'associer ces deux compositeurs ? 

Prokofiev et Miaskovsky étaient contemporains et amis. Ils passaient beaucoup de temps ensemble à parler de la musique et de son rôle dans la vie des gens, et de son importance dans la société soviétique. Ils avaient des approches et des points de vue assez différents sur la composition, mais ils se respectaient toujours. 

Les partitions de Miaskovsky ne sont pas très connues. Comment pouvez-vous décrire et présenter l'art de ce compositeur à nos lecteurs ?

Miaskovsky était l'un des derniers élèves de Rimsky-Korsakov. Il a hérité de nombreuses traditions et réalisations de l'école des compositeurs russes du XIXe siècle, mais il les a combinées avec des harmonies du XXe siècle et, dans certaines symphonies, avec le pouls de l'Union soviétique industrielle. Il s'est consacré principalement au genre symphonique et à la musique de chambre. Il essayait de trouver l'équilibre entre le passé et l'avenir, entre le courant romantique tardif, l'avant-garde et le néoclassique, tout en conservant sa voix et son caractère distinctifs. Sa musique est tonale, principalement dans le cadre d'une orchestration traditionnelle et d'une architecture classique, mais il y a toujours de l'honnêteté. Elle comprend les espoirs et les tragédies de son époque, reflétés avec passion.  

Entretien avec Arnaud Marzorati : Histoire et musique se rencontrent

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Proposant une nouvelle épopée, Les Lunaisiens et Les Cuivres Romantiques, rejoints par Sabine Devieilhe, reviennent à la musique qui a accompagné les partisans et les détracteurs de Napoléon. Signant leur nouveau disque Sainte-Hélène : La légende napoléonienne, ils reconstruisent l'ambiance sonore de toute une époque. Le disque dépasse rapidement le concept du simple enregistrement et fascine par ses diverses entrées (musicologique, organologique, historique…) qui permettent à tous de s’approprier ces musiques. Une vraie leçon d’histoire racontée en musique. 

Arnaud Marzorati, le baryton et directeur artistique des Lunaisiens, a partagé avec nous quelques détails de la fabrication de cette aventure au vrai sens du terme.

Votre disque s’inscrit dans le cadre du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier. Quelle est l’origine de ce projet qui s’inscrit dans la continuité d’une longue série d’ouvrages et de disques publiés à cette occasion ?

Dès l’origine, les deux ensembles sont impliqués dans le projet : Les Lunaisiens pour le côté "chanson historique" et Les Cuivres Romantiques qui sont des grands spécialistes d’instruments anciens. Nous avons une passion commune pour l’histoire de la musique et nous avions véritablement cette envie de récréer un univers napoléonien. Cela fait des années que je travaillais sur ce répertoire de chanson et je voulais que Les Cuivres Romantiques accompagnent ce projet qui réunit des musiques de circonstance, des musiques presque guerrières et puis tout cet art de la chanson. C’est la raison pour laquelle nous avons été soutenus par Le Souvenir Napoléonien qui nous a attribué ce label.

Votre projet bénéficie de nombreux partenaires, notamment celui du Festival Berlioz qui vous accueille régulièrement à la Côte-Saint-André, de la Philharmonie de Paris et du musée de la Musique pour le prêt d’instruments historiques. Comment se sont déroulés ces divers partenariats qui vous ont permis de ressortir un répertoire méconnu et peu enregistré ? 

Effectivement, certaines chansons n’ont jamais été enregistrées même si, depuis déjà des années, un certain nombre d’historiens s’intéressent à cet univers de la chanson d’un point de vue poétique. Ils considèrent ces chansons comme une passerelle très pertinente pour s’intéresser à toutes les strates de l’histoire. 

Pour ce qui est des musiques instrumentales, nous avons eu le souci de faire sonner les instruments d’origine qui nous ont été prêtés par le Musée de la musique de la Philharmonie de Paris pour retrouver les couleurs originales de ces musiques. Rappelons qu’à l’époque c’étaient les grands solistes de l’Académie Royale de Musique de Paris qui jouaient ces instruments un peu inhabituels pour nous, comme le serpent, les cors naturels et autres. Lors de l’enregistrement, Les Cuivres romantiques maniaient certains de ces instruments avec des gants. 

L'Opéra royal de Wallonie-Liège en festival numérique

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L’Opéra royal de Liège Wallonie propose actuellement un véritable festival en ligne avec des représentations d’opéra, des concerts lyriques ou symphoniques et même des concerts de musique de chambre. Dans le même temps, l’institution belge met en ligne un Espace Game digital. Crescendo Magazine rencontre Isabelle Reisenfeld, la responsable communication de l’Opéra royal de Liège Wallonie. 

L’Opéra Royal de Wallonie-Liège est très actif au niveau numérique, que ce soit avec un véritable festival en ligne mais également avec un Escape Game Digital. Le numérique est-il le vecteur indispensable dans ces moments de crise pandémique ? 

Absolument. Si le public ne peut se rendre à l’Opéra, alors c’est l’Opéra qui doit aller vers lui. C’est, du reste, une préoccupation de longue date de notre Maison, bien avant la crise sanitaire. L’Opéra Royal de Wallonie-Liège a été parmi les premiers opéras à diffuser des productions en streaming dès 2010, et accorde également une attention soutenue au reste de la sphère numérique : réseaux sociaux, politique de marketing axée sur le numérique, production de contenus adaptés, ...

 Si le streaming apparaît comme un bras séculier naturel des institutions culturelles, un Escape game semble plus original et inattendu. Qu’est-ce qui a motivé l’Opéra de Liège à prendre part à ce projet ?  

L’idée vient de la société Neominds, qui conçoit ce type de jeux notamment à destination des entreprises. Comme il n’était pour le moment plus possible d’en organiser dans des conditions classiques, ils ont eu l’idée d’adapter leur concept en version digitale : ils ont imaginé une intrigue se déroulant à l’Opéra, et ils nous ont sollicité pour venir y tourner des images. Nous avons tout de suite accepté : c’est un beau moyen de donner un coup de pouce à une jeune société de notre Région, et puis cela permettra au public de découvrir notre Théâtre dans ses moindres recoins. Même les habitués de l’Opéra pourront sans doute y découvrir des choses inattendues !  

Sandrine Piau, soprano multiple

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La fabuleuse Sandrine Piau fait l’actualité avec trois nouvelles parutions qui marquent ce printemps musical :  Haendel, Haydn, Strauss, Berg et Zemlinsky sont à l’honneur avec ce même bonheur musical absolu. Crescendo Magazine rencontre l’une des très grandes artistes de notre époque. 

Vous êtes au cœur de l’actualité des enregistrements avec pas moins de 3 albums dans des répertoires très différents, Haendel, Haydn, Strauss, Berg et Zemlinsky. Cet éclectisme musical est-il une ligne directrice de votre ambition artistique ? 

Je ne sais pas si le mot ambition est le plus juste, mais je suis curieuse par nature. Mon parcours d’étudiante me destinait sans doute aussi à cet « entre deux » au CNSM de Paris. Côté répertoire, je jouais essentiellement des compositeurs du 19e et du 20e siècles.  J’étais particulièrement fascinée par l’école de Vienne, et je ne connaissais rien à la musique baroque jusqu’à ma rencontre déterminante avec Philippe Herreweghe, comme choriste, puis William Christie au CNSM de Paris dans sa classe d'interprétation de la musique ancienne.

L’un et l’autre m’ont fait découvrir ce répertoire que j’aime infiniment… Si j’ai beaucoup chanté Lully, Rameau, Couperin, Haendel, à mes débuts de chanteuse en France, j’interprétais Mozart, Prokofiev, Debussy, Britten sur scène en d’autres contrées ... Aujourd’hui, avec la sortie de l’album « Clair-obscur », je renoue avec des amours de jeunesse omniprésentes tout au long de mon parcours.  Il est vrai aussi que dans la tourmente sanitaire, sociale et culturelle où nous a plongés la Covid, plusieurs disques sortent presque simultanément et mettent l’accent sur cette diversité. 

Avec Didier Martin (directeur d’Alpha Classics), nous avions évoqué l’idée d’une sortie simultanée de la Brockes Passion de Haendel et de « Clair-Obscur », d’assumer ce grand écart entre les époques et les styles. En revanche, d’autres albums comme  « Magic Mozart » avec Laurence Equilbey, le Requiem de Jommelli  avec Giulio Prandi et la Cantate de Bérénice de Haydn avec Giovanni Antonini devaient sortir plus tôt, ou ... plus tard, selon …. Mais ces aléas donnent une image assez juste de qui je suis et de ce que j’aime.

Vous avez enregistré avec Giovanni Antonini la superbe cantate Scena di Berenice de Haydn dont vous livrez une interprétation engagée et bouleversante. Qu’est-ce qui vous touche dans cette oeuvre ? 

La douleur impossible face au deuil !  Je n’ai certes pas une voix très lyrique mais la souffrance est universelle et le drame n’est pas l’apanage des grandes voix.  C’est la souffrance de Bérénice qui m’émeut avant tout.  Cette cantate a été interprétée par des voix très différentes. Si j’ai pu y ajouter la mienne, c’est grâce à Giovanni Antonini et son orchestre magnifique « il Giardino Armonico » qui ont ciselé les nuances à l’infini.  Quel cadeau !

La sincérité au cœur de la musique : rencontre avec la violoncelliste Emmanuelle Bertrand

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La violoncelliste Emmanuelle Bertrand et l’Orchestre National de Bretagne ont récemment sorti du silence le sublime, et même pianistique, Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll. Au cours de  notre entretien, nous avons aussi abordé le rôle de musicien dans la société, les 20 ans de son duo avec Pascal Amoyel, toujours d’une sincérité musicale absolue, et son rôle de pédagogue.  

Quelle est l’histoire de votre rencontre avec le Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll ? Dans une interview accordée à l’Orchestre National de Bretagne, vous avez évoqué votre sœur Florence Badol-Bertrand (la musicologue et personnalité hors norme qui nous a quittés en décembre 2020), comme à l’origine de cette aventure musicale.

Nous avons toujours eu beaucoup de plaisir à collaborer sur différents projets, et la personnalité de Marie Jaëll était un sujet d’échange. J’ai une grande pile d’œuvres que je m’apprête à jouer un jour et le Concerto de Marie Jaëll en faisait partie. Florence (qui de son côté s’est beaucoup intéressée à Hélène de Montgeroult mais qui a aussi croisé Marie Jaëll et nombre d’autres compositrices) m’a incitée à jouer ce concerto. Nous l'avons donc programmé d’abord avec l’Orchestre de Saint-Étienne, notre ville d’attache. Ce premier concert m’a permis de mesurer à quel point l’œuvre méritait qu’on la diffuse davantage. Je l’ai alors présentée à Marc Feldman, l’administrateur de l’Orchestre National de Bretagne.
Cette captation s’est déroulée dans le contexte que nous connaissons tous. Lorsque des musiciens se retrouvent pour jouer ensemble, il se passe quelque chose de particulier. Actuellement, c’est même devenu un privilège. 

Nous sommes encore parfois étonnés qu’une pianiste virtuose comme Marie Jaëll compose pour un autre instrument (une démarche inverse de celle de Chopin ou de Liszt qui n’ont quasi écrit que pour leur instrument, le piano). Mais vous avez évoqué l’écriture parfois pianistique de ce concerto. Comment cela se traduit-il ? Est-ce que le Concerto de Marie Jaëll « tombe bien » dans les doigts ? 

Oui, magnifiquement bien, même s’il est redoutable et nécessite du temps de préparation pour ses passages d’une grande vélocité. On y sent l’intelligence instrumentale et sensible de la compositrice. Pourtant, je ne pourrais pas le comparer à quoi que ce soit d’autre dans le répertoire. Il y a des modes de jeu qui sont singuliers, notamment dans les passages les plus virtuoses, que je n’ai pas retrouvé ailleurs et qui sont très proches de l’écriture du piano.

Justin Taylor et Rameau, une affaire de famille 

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La scène actuelle du clavecin est des plus dynamiques avec une affirmation de jeunes talents exceptionnels. Dans ce cadre, il faut saluer les albums du jeune Justin Taylor qui allient pertinence éditoriale et excellence musicale. Alors qu’il sort chez Alpha un enregistrement consacré à la famille Rameau, le jeune homme répond à nos questions.  

Votre nouvel album est placé sous le signe de la famille Rameau. Ce nouveau disque vient après un album consacré à la famille Forqueray. Qu’est-ce qui vous attire dans ces “affaires de famille” musicales ? 

Quand je travaille sur un nouveau projet, j'essaye de m'approcher le plus possible du compositeur : par une vision la plus large possible de ses œuvres bien sûr, mais aussi par une approche plus personnelle, en essayant de connaître l'homme derrière le compositeur, de rentrer dans son intimité. Les 300 ans qui nous séparent de l'époque baroque créent une distance : on a du mal à s'imaginer Rameau se lever, accorder son clavecin, jouer avec d'autres musiciens, noter une idée musicale qui prend forme... Ce portrait familial permet de replacer l'oeuvre de Rameau dans son contexte : le jeune Jean-Philippe qui apprend très tôt la musique avec son petit frère Claude, l'éducation musicale que le couple Rameau (sa femme, Marie-Louise Mangot, était musicienne et chanteuse) lègue à leur fils Claude-François et leur neveu Lazare... Tout cet arrière-plan familial et musical a fécondé l'inspiration de Rameau, et c'est ce qui m'a attiré dans cette Famille Rameau !

Si l’on connaît bien les œuvres de Jean-Philippe Rameau, les partitions de Claude-François Rameau et Lazare Rameau sont complètement méconnues. Quelles sont leurs particularités stylistiques ? 

Le Menuet Barosais de Claude Rameau (son frère) est intimement lié aux origines dijonnaises de la famille. Sur une place de Dijon se trouve une statue de « Bareuzai », vigneron qui portait des « bas rosés » (la couleur, pas le vin!). Aujourd'hui ce terme est un sobriquet que l'on donne aux vignerons de Dijon, c'est l'esprit de cette courte pièce extrait d'une cantatille !

La Forcray de Claude-François Rameau (fils de l'illustre compositeur) est une pièce virtuose et exaltée. C'est aussi le témoin de la popularité du genre de la « pièce-hommage ». En effet, durant l'époque baroque, ces hommages sont très fréquents : rappelons par exemple La Superbe ou La Forqueray composée par François Couperin, ou La Rameau composée par Forqueray. Ces hommages nous initient à l'univers du dédicataire. Ici, on découvre un Forqueray fougueux, espiègle, joueur !

Les sonates de Lazare Rameau ont été publiées en 1788 et sont très influencées par le nouveau style classique venu des pays germaniques. Ce Rondo Grazioso, tantôt Majeur, tantôt mineur, nous fait profiter de la fantaisie classique que l'on a peu souvent l'habitude d'entendre au clavecin.

Ben Goldscheider, sur les traces de Dennis Brain

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Cette année, le monde de la musique célèbre le Centenaire de la naissance du corniste Dennis Brain. Décédé prématurément dans un accident de la route en 1957, le musicien britannique est toujours considéré comme le plus grand praticien du cor d’harmonie de l’Histoire de l’Instrument. Il est un modèle  absolu pour tout corniste et il ne cesse d’inspirer toutes les générations. Dans ce cadre, le brillant et jeune corniste anglais Ben Goldscheider lui consacre un album en hommage. 

Dennis Brain est né il y a 100 ans. Pourquoi est-il toujours aussi important dans l'histoire du cor français ? En quoi reste-t-il une sorte de modèle absolu pour toutes les nouvelles générations de cornistes ? 

L'importance durable de Dennis Brain réside dans le travail qu'il a effectué avec les compositeurs de son époque ainsi que dans le fait qu'il a popularisé le cor en tant qu'instrument solo. Ses collaborations avec des musiciens tels que Benjamin Britten et Sir Malcolm Arnold, par exemple, ont ouvert de nouvelles voies pour l'instrument, qui ont perduré jusqu'à aujourd'hui. La période romantique a été plutôt stérile, tant en termes de compositions solistes pour le cor que de cornistes jouant en tant que solistes. Ce que Brain a fait, c'est raviver l'excitation autour du cor que l'on avait connue à l'époque de Mozart, Beethoven et Haydn, en attirant l'attention sur l'instrument non seulement comme "l'âme de l'orchestre" comme le décrivait Schumann, mais aussi comme instrument soliste. À cet égard, ma carrière personnelle a été fortement influencée et inspirée par son héritage.

On lit souvent que Denis Brain est le fondateur de l'école anglaise de cor. Cette notion d'école anglaise a-t-elle un sens pour vous ? Si votre réponse est "oui", quelles seraient les caractéristiques de l'école de cor anglaise ? 

Oui, absolument ! L'école de cor anglaise a une lignée de joueurs tout à fait remarquable. Il n'y avait pas seulement Dennis Brain, il y avait aussi Barry Tuckwell, Richard Watkins, Michael Thompson et David Pyatt, pour n'en citer que quelques-uns. Ce qui unit vraiment ce groupe de musiciens, c'est la remarquable personnalité et le caractère qu'ils avaient dans leur jeu. Ce ne peut être une coïncidence si Hollywood s'est tourné vers Londres pour ses célèbres sons de cor !

Aline Piboule, pianiste exploratrice du répertoire 

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La pianiste Aline Piboule fait paraître un album consacré à des raretés du répertoire pianistique français composées par Gustave Samazeuilh, Abel Decaux, Pierre-Octave Ferroud et Louis Aubert. Cet album est publié par le label du Printemps des Arts de Monaco, qui, passant les difficultés, continue de proposer des parutions et des concerts alléchants malgré la situation. 

Vous publiez un album consacré à des œuvres pour piano des plus rares, de Gustave Samazeuilh, Abel Decaux, Pierre-Octave Ferroud et Louis Aubert. Comment avez-vous conçu ce programme ? 

J'adore passer des heures sur internet à chercher des musiques peu jouées, à les déchiffrer, à concevoir des programmes sortant de l'ordinaire, à mélanger classique et contemporain, à tisser des liens peu évidents au premier abord entre les oeuvres... Mais, rendons à César ce qui lui appartient : le programme de ce disque a été conçu par Marc Monnet, compositeur et directeur artistique du festival le Printemps des Arts de Monte-Carlo ! Nous avons en commun cette envie qu'il n'y ait pas de frontières dans l'écoute de la musique, d'habituer les publics à écouter de tout et à continuer de défricher des sentiers peu arpentés. Il connaissait mon intérêt tout particulier pour la musique française (trois de mes disques lui sont consacrés !) et il m'en a donc proposé l'interprétation. Le projet était un récital à l'Opéra Garnier de Monaco pour l'édition 2020 du Printemps des Arts, puis de l'enregistrer à l'Auditorium Rainier 3 quelques mois plus tard. Je connaissais certaines partitions pour les avoir écoutées il y a longtemps mais d'autres, comme les pièces de Ferroud, m'étaient totalement inconnues. Une grande découverte ! 

Ces compositeurs sont restés dans l’ombre de leurs contemporains célèbres : Ravel, Debussy, Poulenc... Quelles sont les caractéristiques stylistiques de ces différentes partitions ? 

Ces compositeurs de l'ombre participaient à la vie musicale de leur époque et ils étaient sûrement moins méconnus qu'aujourd’hui. Ils ont même sûrement influencé des confrères de leur temps que nous considérons désormais comme des génies. Je pense que leurs écrits ont tout à fait pu infuser dans d'autres partitions. 

C'est un programme très riche car ces compositeurs n'ont pas du tout le même langage ni le même univers !  La musique qui me fascine le plus sur cet album est celle de Decaux, un organiste qui n'a quasi écrit que ces Clairs de lune. Un chef-d'œuvre ! C'est une musique qui me fait penser au romantisme noir en peinture, l'ambiance est inquiétante, presque morbide. On entend tout en noir et blanc ! On est presque assourdis par les douze coups de minuit dans l'extrême grave du piano dans Minuit passe, on a la sensation affreuse d'être suivi dans La ruelle, nous nous retrouvons bien seuls dans Le Cimetière, face à cette montée extraordinaire de la lune dans le ciel, quand tout devient lumineux mais toujours en noir et blanc. Dans La mer, nous ne sommes loin d'être dans De l'aube à midi sur la mer (La mer de Debussy) avec ses multiples éclats de lumière ; ici la lune n’éclaire une mer sombre et opaque que très fugitivement. C'est l'époque de la découverte de la psychanalyse, de l'inconscient, et je ne sais pas si Decaux connaissait les écrits de Freud, mais l'univers de sa musique esthypnotique, impalpable et nous emmène dans les profondeurs. Il a été visionnaire dans son écriture quand on pense que le Pierrot lunaire de Schönberg a été écrit une dizaine d'année plus tard. Mais il ne faut pas oublier que le premier à avoir semé la graine de l'atonalisme, bien plus tôt, était Franz Liszt ! La Lugubre gondole date de 1882-83 ! Qui sait ce qu'aurait écrit Liszt s'il avait vécu encore un peu... Et qui sait, au fond, pourquoi Abel Decaux n'a pas souhaité continuer de composer après ses Clairs de lune

Dans un tout autre genre, Pierre-Octave Ferroud a écrit les trois Types qui sont des caricatures : le Vieux beau, la Bourgeoise de qualité, et le Businessman.  C'est une musique à la fois drôle dans le caractère et très complexe d'un point de vue de l'écriture !

Samazeuilh et Aubert ont écrit des musiques plus impressionnistes. Pour moi, le premier serait dans la lignée de César Franck, à la lumière orientalisante, et le deuxième de Franz Liszt. Les couleurs, la lumière, la nature priment. 

Bruno Monsaingeon à propos d’Hephzibah Menuhin

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Alors que le coffret que Warner a consacré à Hephzibah Menuhin est un événement éditorial et artistique majeur de ce début d'année 2021, Crescendo Magazine a eu l’opportunité d’échanger avec Bruno Monsaingeon. Réalisateur multi-primé pour ses films sur la musique, Bruno Monsaingeon était un ami de la grande musicienne. Il est également la cheville ouvrière de ce coffret.    

Vous avez bien connu Hephzibah Menuhin. Comment l'avez-vous rencontrée ?  Que retenez-vous de sa personnalité ? 

Je ne sais même plus quand je l’ai rencontrée pour la première fois. Il me semble l’avoir toujours connue. C’est la personnalité féminine la plus rayonnante, la plus généreuse qu’il m’ait été donné de fréquenter.  

Comment pouvez-vous définir son jeu ? 

Un jeu d’une solidité à toute épreuve, parfaitement naturel et spontané, alors qu’il est évidemment prodigieusement étayé intellectuellement. 

A titre d’exemple: j’ai récemment effectué le montage de la  Sonate n°2 de Schumann datant de 1959, donc plus de 60 ans après son enregistrement ; un enregistrement qui non  seulement n’avait pas été publié, mais même pas monté. Il y avait là de nombreuses prises et reprises, en tout une bonne dizaine d’heures de matériau brut. 

A leur écoute attentive, je n’ai pas détecté une seule fausse note, ni même une note approximative,de la part de Hephzibah. Seul Glenn Gould (avec lequel j’ai eu le bonheur de travailler pendant dix ans) était capable de pareil exploit.

En l’entendant jouer avec la perfection naturelle qui était la sienne, et sans la moindre exagération, on avait le sentiment qu’elle était émerveillée et nous murmurait en toute humilité: “Ecoutez la beauté éternelle de cette musique, ouvrez vos oreilles et votre coeur, c’est cette beauté que je veux partager avec vous. Laissez-moi vous la confier”.