Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Fabuleux Igor Levit

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Pour clôturer en beauté le mini-festival consacré à Chostakovitch par Bozar et le Belgian National Orchestra sous le curieux titre « The Other Revolutionary » (l’autre révolutionnaire, mais par rapport à qui ?), le pianiste Igor Levit qu’on sait aussi artistiquement ambitieux qu’insolemment doué avait choisi d’offrir à un public venu en nombre et connaisseur (quasi pas de toux pendant près de trois heures de musique, juste une impardonnable sonnerie de téléphone portable en deuxième partie et des bruits de chute de quelque chose -peut-être l’excellent et volumineux programme- de temps à autre) l’intégrale des 24 Préludes et Fugues, Op. 87 du compositeur russe.

On sait le pianiste germano-russe toujours prompt à commenter les événements de l’heure. Avant même que ne retentît la première note du cycle, Igor Levit annonça dédier ce concert « au peuple ukrainien mais aussi à tous ceux qui en Russie comme ailleurs s’opposent à Vladimir Poutine ». Chaleureusement applaudi, le pianiste exécuta ensuite l’hymne national ukrainien, le public se levant comme il se doit.

Chostakovitch mis à l’honneur à Bozar par le Belgian National Orchestra

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Ce concert a lieu dans le cadre du Festival Chostakovitch organisé à Bozar du 25 au 27 février. C’est donc tout naturellement que les deux œuvres interprétées ce soir sont du compositeur russe. Le Belgian National Orchestra, sous la direction de Hugh Wolff, commence avec le Concerto pour piano, trompette et cordes. Le soliste du soir est l’excellent Lucas Debargue, rapidement devenu une star du piano depuis son 4e Prix du Concours Tchaïkovski en 2015. Il sera accompagné des cordes du BNO et du chef de pupitre des trompettistes Léo Wouters. Ensuite, ils interprètent la Symphonie n°13 « Babi Yar » avec l’ensemble vocal Octopus et Mikhail Petrenko.

Avant le concert, un mot concernant la situation en Ukraine : il est souligné que des musiciens d’origine russe et ukrainienne font partie de l’orchestre et jouent ensemble. Une minute de silence est observée pour rendre hommage aux victimes de ce conflit.

Le Concerto, en quatre mouvements, est une pièce humoristique qui reflète une période héroïque, animée et pleine de joie de vivre. Dans le premier mouvement, le pianiste joue de manière puissante et presque hypnotisante, et il fait résonner le piano dans salle Henry Le Boeuf. Il est accompagné par des pizzicati précis, avec un chef qui mène son orchestre à la baguette et un trompettiste qui vient ponctuer certaines phrases du piano. Le deuxième mouvement est une valse lente. Le début est assez neutre jusqu’à l’arrivée du pianiste. Un moment calme et apaisant se profile avec l’intervention du trompettiste en sourdine mais avec plusieurs fausses notes. Le troisième mouvement est un intermezzo assez court, sans trompette, qui commence avec le pianiste, rejoint par les cordes avant d'enchaîner avec le dernier mouvement, un Allegro con brio où nous pouvons apprécier une belle connexion entre le soliste, le chef et l’orchestre. La cadence est jouée dans un style assez  guilleret. Nous avons droit à un véritable récital du pianiste, accompagné par un orchestre très précis grâce à son chef et un trompettiste solennel malgré sa prestation en demi-teinte. Le Concerto est dûment applaudi par le public et le pianiste français nous gratifie d’un bis de toute beauté : le mouvement lent, à l’allure de mazurka, d’une sonatine du compositeur polonais Milosz Magin.

De nombreuses retrouvailles pour l’orchestre de la Monnaie.

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À l’occasion du 250e anniversaire de l’Orchestre de La Monnaie, l’effectif bruxellois nous a proposé un voyage à travers son histoire.

Dès l’entrée du chef d’orchestre, nous reculons d’une quarantaine d'années dans le temps. À l’époque, Gérard Mortier nomme Sylvain Cambreling au poste de directeur musical de la Monnaie. Le chef français assurera cette fonction de 1981 à 1991. Quelques dizaines d’années plus tard, c’est lui que l’on retrouve devant l’orchestre pour diriger ce concert empli de nostalgie. 

Le programme débute par l’ouverture de l’opéra Gwendoline d’Emmanuel Chabrier. Créé à la Monnaie en 1886 sur un livret de Catulle Mendès, l’œuvre n’est jouée que quatre fois avant que la faillite du directeur de l’époque n’entraîne la fermeture du théâtre. Repris quelques fois à l’étranger, l’opéra disparaît progressivement des programmations sans avoir rencontré le succès mérité. Quand on entend son ouverture, on en vient à se demander pourquoi l’œuvre entière n’est plus jouée. Interprétée à merveille par l’orchestre de la Monnaie, l’ouverture s’articule autour de deux thèmes. Le premier, joué par les violoncelles, rappelle le chant des pirates danois qui fendent les vagues vers la terre de la belle Gwendoline, tandis que le deuxième, confié aux clarinettes, exprime la pitié de la belle. Œuvre épique et dramatique, l’ouverture de Gwendoline fait l’unanimité parmi le public. Malgré tout, je dois avouer avoir eu un petit goût de trop peu par rapport à l’échelle des nuances explorées par les musiciens. 

A Genève, l’OSR à la veille d’une tournée 

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Avant d’entreprendre une tournée en Espagne faisant halte à Oviedo, Madrid, Saragosse, Barcelone et Alicante, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande présentent l’un de leurs  programmes au Victoria Hall le mercredi 16 février. Mais Emmanuel Pahud, mis en quarantaine à cause d’une infection au Covid-19 jusqu’à cette date-là, ne peut pas assurer sa participation à la soirée. Et c’est Loïc Schneider, flûtiste solo de l’ensemble romand depuis 2009, qui le remplace dans l’exécution du Concerto de Jacques Ibert datant des années 1932-1933. 

Même si le tutti est d’une épaisseur étouffante, le soliste réussit à faire entendre ses traits brillants interminables tout en cultivant une veine lyrique qui se pare de tendresse idyllique dans l’Andante où le canevas s’allège. Quant au Final, il prend un caractère burlesque par ses éclats sautillants qui, brusquement, s’estompent pour faire place à une mélancolie passagère, vite dissipée par la cadence virtuose et la stretta endiablée. Face à l’accueil enthousiaste des spectateurs, Loïc Schneider offre de bonne grâce un bis, Syrinx de Claude Debussy, conçue comme une incantation lente qui devient confidentielle par sa conclusion en points de suspension pianissimo.

Lukás Vondráček clôture les Flagey Piano Days en beauté

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C’est sur un récital d’Elisabeth Leonskaja qu’auraient dû se conclure les Flagey Piano Days de cette année. Mais la grande pianiste russo-autrichienne s’étant vue contrainte d’annuler un récital attendu avec impatience, c’est un brillant remplaçant que parvinrent à trouver les organisateurs en la personne d’un Lukás Vondráček qu’on avait somme toute assez peu entendu chez nous depuis son triomphe amplement mérité au Concours Reine Elisabeth en 2016.

On connaît la formule de ces journées, où chaque pianiste propose un récital d’environ une heure sans entracte. Nous pouvons déjà vous révéler que Vondráček dépassa assez largement ce cadre, mais nul dans la salle n’aura songé à s’en plaindre tant la prestation du pianiste tchèque fut d’un bout à l’autre convaincante dans un récital aussi finement conçu que superbement interprété.

On lui saura d’abord infiniment gré d’avoir mis à son programme des pièces de musique tchèque que l’on n’entend guère -et c’est bien dommage- en dehors de leur pays d’origine. C’est ainsi que Vondráček ouvrit son récital par une sélection de quatre morceaux tirés des Six Pièces pour piano, Op. 7 de Josef Suk, dont il fit entendre des versions pleine de tendresse (comme dans la Chanson d’amour qui ouvre le cycle), de lyrisme et de simplicité dans les Idylles et la Dumka, mais aussi de délicatesse comme dans cette Humoresque qui fait curieusement songer à Chabrier dans sa subtilité.

« Plugged in », la musique s’entend mieux avec les yeux

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A la Philharmonie Luxembourg, l’espace Découverte, c’est la petite salle dédiée aux assemblées restreintes et aux musiques expérimentales (les premières répondent souvent aux secondes) et je m’y installe à temps pour écouter l’interview de deux membres de l’Eunoia Quintett (un nom en cinq voyelles et une seule consonne qui évoque la beauté de la pensée), menée par Lydia Rilling (qui prend dès le 1er mars la direction artistique du Donaueschinger Musiktage) -ma connaissance de l’allemand est telle que je regarde plus que je n’écoute, me repérant au non-verbal et à certains mots suffisamment germaniques pour me laisser deviner leur sens : qu’importe, cette mise en bouche joue efficacement le rôle de préliminaires.

Judgeheads, la première des quatre compositions au programme de ce soir, écrites pour l’ensemble bâlois à la large palette de timbres, est née de l’imagination d’Andreas Frank (Allemagne), qui dispose les musiciens en un grand V, dont la voix est la pointe : chevillée à son pupitre (d’accusée ?) et violemment éclairée, elle mélange allemand, français, anglais (d’autres émettent des onomatopées) pendant qu’électronique et percussions sont manipulées par des mains -de petits écrans carrés à l’avant-plan nous cachent les instrumentistes aux extrémités du V- dont les alter ego saccadent les mouvements en ombres chinoises sur un deuxième rang de carrés blancs-, et que trombone et violoncelle permutent leurs places.

Rauque, guttural, comme se frayant un chemin (celui de la voix qui s’exerce, qui vocalise), le chant qui entraîne chacun des interprètes est le fil rouge du travail de Santiago Diez Fischer (Argentine) dans Birds for a while : lente et subtile progression d’une musique en suspension, où les instruments sont plus ou moins préparés (la baguette dans les cordes du violoncelle, les gestes directement dans le corps du piano, les percussions tout en chuintements), incantation à la légèreté des sons, la pièce, organique, fascine.

Feu d'artifice cinématographique avec l'Orchestre National de Cannes

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Ce concert, reporté déjà à deux reprises du fait de la situation sanitaire, arrive à point nommé pour célébrer l'élévation de l’Orchestre de Cannes au rang d’Orchestre national par le Ministère français de la Culture. Notons que la phalange cannoise est la seule formation symphonique de la Côte d’Azur à bénéficier de ce label. Cette promotion n’est qu’une juste récompense pour le travail du chef d’orchestre Benjamin Lévy, qui a entamé sa cinquième saison à la tête de l'Orchestre de Cannes. Par son dynamisme au pupitre et par la qualité d’une programmation qui se plait à sortir des sentiers battus, il a vivifié cet orchestre et fédéré son public.   

Ce concert se déroule dans un des lieux les plus connus de la ville côtière : le Palais des Festivals et il met l’accent sur le cinéma avec en soliste le mandoliniste Vincent Beer-Demander, dédicataire de plusieurs concertos qui revisitent ainsi l'image de la mandoline. Le programme du concert mettait l’accent sur des œuvres concertantes au cœur d’un prochain album du soliste, de l’orchestre et du chef. 

A Genève, Matthias Pintscher le magnifique !  

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Pour son concert du 9 février, l’Orchestre de la Suisse Romande invite le compositeur et chef d’orchestre allemand Matthias Pintscher, actuellement professeur de composition à la Juilliard School de New York et directeur musical de l’Ensemble InterContemporain à Paris.

Dans un français parfait, il s’adresse au public genevois pour parler de l’œuvre qu’il va diriger, Neharot, commandée par la Suntory Foundation for the Arts, le Los Angeles  Philharmonic, la Staatsoper de Dresde, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et l’Orchestre de la Suisse Romande. Composée en 2020, elle a été créée le 27 août 2021 au Suntory Hall de Tokyo sous la direction du compositeur. Durant le printemps 2020, la chape de plomb du confinement s’est abattue sur New York. Matthias Pintscher élabore sa partition comme un requiem pour grand orchestre en lui donnant pour titre le mot hébreu ‘neharot’ qui veut dire la rivière et les larmes. Sa judaïcité s’exprime en cette lamentation qui s’écoule comme les rivières souterraines à l’intersection du lieu où a été érigée la Cathédrale de Chartres. Dès les premiers accords des deux harpes surgissent de cinglants tutti martelés par la percussion qui se résorbent en sonorités aussi mystérieuses qu’envoûtantes. Puis de déchirantes éruptions annoncées par un tuba menaçant finissent par se dissiper pour laisser place à un solo de trompette dialoguant avec un hautbois éploré. En sourdines, les cuivres développent un choral empli d’espérance, tandis que vibre la machine à vent sur fond de cloches lointaines. Une oeuvre impressionnante par la qualité de l’écriture et l’impact émotionnel qu’elle exerce immédiatement sur le public.

Mozart sur le rocher avec l'OPMC

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L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo a organisé un mini-festival Mozart qui a connu naturellement un très grand succès et qui deviendra un rendez-vous annuel dans les prochaines saisons. Pour le dernier concert, l’affiche était prestigieuse avec la participation de la soprano Cecilia Bartoli et du pianiste David Fray alors que l'OPMC était placé sous la direction de Kazuki Yamada, son directeur artistique et musical. 

Le concert commence par la Symphonie n°1 en mi bémol majeur K16, composée par le prodigieux Mozart à l'âge de 8 ans. Elle est fort peu jouée en concert et elle reste cantonnée aux intégrales discographiques. Kazuki Yamada à la tête de son orchestre nous fait revivre l'imagination exubérante du jeune Mozart, par une interprétation énergique et tout en fraîcheur. 

A l’OSR, un Franck sidérant  

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Au cours de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande a la judicieuse idée de mettre en valeur ses propres solistes. C’est pourquoi, au programme du 3 février, Jonathan Nott, son directeur artistique, inscrit au programme la Symphonie Concertante en mi bémol majeur K. 297b de Mozart qui a pour solistes le hautboïste Simon Sommerhalder, le clarinettiste Michel Westphal, le bassoniste Alfonso Venturieri et le corniste Jean-Pierre Berry. Au brio élégant du tutti qui recherche les contrastes de phrasé, le quatuor des vents répond avec autant de verve en étirant le legato, tandis que le hautbois et la clarinette échangent des trilles pimpants sur le soutien du cor et du basson. L’Adagio est emporté par une veine lyrique généreuse alors que le Final est guidé par un hautbois caustique s’appuyant sur le support du cor et du basson qu’ornementent les arabesques virtuoses de la clarinette.

En début de programme, Jonathan Nott avait présenté l’orchestration tardive que Maurice Ravel lui-même avait réalisée de son Menuet Antique pour piano. De l’exposition foisonnante de coloris vivaces, il émousse les angles par l’intervention des bois qui enveloppent d’un coloris pastoral le trio médian, alors que la reprise du motif initial déploie à nouveau la richesse de la palette orchestrale.