Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Requiem de Mozart par Teodor Currentzis : une théâtralisation du sacré

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Le dimanche 27 octobre, le Théâtre du Châtelet qui, un mois à peine auparavant, venait de rouvrir ses portes après deux ans et demi de travaux, accueillait son deuxième concert de la musique classique (le premier étant le déjeuner-concert de l’Orchestre de Chambre de Paris le 18 octobre). Et le théâtre a frappé fort : le Requiem de Mozart par l’Orchestre et le Chœur MusicAeterna et le Chœur MusicAeterna byzantina, dirigés par le chef charismatique Teodor Currentzis.

Le fait est bien connu, le chef attire autant d’admirateurs que de railleurs, pour ou contre son idée et son interprétation toujours très originales. Ce jour-là, la salle était remplie d’inconditionnels -voire fanatiques, parmi lesquels de nombreux russes. Ont-ils pris la peine de venir de Russie et d’autres pays et région d’Europe à la rencontre de leurs idoles ? Une ovation debout du public surexcité et un nombre inhabituel de cars stationnés devant le théâtre renforcent cette hypothèse. D’ailleurs, une musicienne russe croisée après le concert nous a confirmé que dans son pays, il est impossible d’obtenir des billets tellement ils partent à la vitesse de l’éclair.

A Genève, un duo d’exception, Renaud Capuçon – Nelson Goerner

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Pour chacune de ses saisons, l’Agence Caecilia organise deux séries de concerts, une première qui a lieu au Victoria Hall comportant récitals de piano et soirées symphoniques et une seconde se déroulant à la Salle Centrale dédiée à la musique de chambre. Et c’est donc dans cette catégorie que s’est inscrite, vendredi 1er novembre, la rencontre mémorable de deux artistes talentueux, le violoniste Renaud Capuçon dialoguant avec le pianiste Nelson Goerner.

La première partie est consacrée à Mozart et à l’une de ses sonates écrite à Mannheim en février 1788, la Cinquième en la majeur K.305, n’incluant que deux mouvements. Avec une énergie roborative, le piano développe l’Allegro di molto où le violon glisse une note de mélancolie avant de laisser à son partenaire le soin d’exposer le thème élégant, suscitant de brillantes variations à la saveur primesautière. Puis est présentée la Sonate en si bémol majeur K.454, composée en avril 1784 pour la virtuose italienne Regina Strinasacchi, que Mozart lui-même accompagnera le 29 en jouant de mémoire sa partie qu’il n’avait pas eu le temps de rédiger ! Au Largo initial, violon et piano prêtent un coloris mordoré que l’Allegro innervera d’élans fougueux en articulant soigneusement chaque phrasé. L’Andante livre un intimisme au bord des larmes, s’assombrissant pour laisser échapper un cri du cœur, vite réprimé par une aspiration à la sérénité qu’octroiera le Finale avec une légèreté de touche apparemment enjouée.

L’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise triomphe à Anvers

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C’est avec plus qu’un peu d’impatience que l’on attendait la trop rare venue en nos contrées de l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise dans la belle Salle Reine Elisabeth d’Anvers, dans un programme qui avait tout pour mettre la prestigieuse phalange munichoise en valeur sous la direction son directeur musical Mariss Jansons, certainement l’un des meilleurs chefs d’orchestre de l’heure.

Mais une désagréable surprise attendait les mélomanes, puisque le programme annonçait que le chef se voyait contraint d’annuler pour raisons de santé les trois derniers concerts de sa tournée européenne et qu’il serait remplacé par Daniel Harding qui avait également légèrement modifié le programme annoncé, remplaçant les Quatre interludes symphoniques d’Intermezzo de Richard Strauss initialement prévus par le Todtenfeier (1888) de Mahler, morceau symphonique qui deviendra le premier mouvement de la Deuxième symphonie du compositeur.

Herreweghe dirige la Staaskapelle de Dresde à Bruxelles

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L’illustre radioreporter sportif Luc Varenne avait coutume de dire qu’un match de football n’est jamais terminé qu’au coup de sifflet final de l’arbitre. Curieusement, cette affirmation pleine de sagesse s’applique très souvent au monde de la musique classique.

Imaginons par exemple qu’un auditeur se serait vu contraint pour quelque raison que ce soit de quitter la grande Salle Henry Le Boeuf du Palais des Beaux-Arts après avoir entendu deux des trois dernières symphonies de Mozart que proposait l’autre soir l’illustre Staatskapelle de Dresde placée pour l’occasion sous la direction de Philippe Herreweghe. Il serait plus que probablement resté sur l’impression d’avoir entendu un orchestre aux grandes qualités (même si les couleurs sombres et la sonorité compacte qui font la gloire de ce prestigieux ensemble dans le répertoire romantique et post-romantique de Brahms à Wagner n’offrent pas naturellement la luminosité qu’on attend dans Mozart) dirigé par un chef sérieux, probe et indubitablement désireux de bien faire, mais hélas incapable de s’extraire d’une gangue de réserve émotionnelle et de neutralité bien élevée, comme en témoignait la joie plus que mesurée du Finale qui clôturait une Symphonie N° 39 assez pâle ou le décevant manque de mordant du début de la Symphonie n°40, même si l’interprétation gagna en dramatisme par la suite et que le Finale se révéla, enfin, animé de cette vie qui avait tant fait défaut jusqu’alors. 

Jean-Guihen Queyras avec l'OSR à Genève

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Chaque saison, à l’occasion de la Journée des Nations Unies, l’Orchestre de la Suisse Romande donne un concert qui est présenté en prime au public le soir précédent. A cet effet, Jonathan Nott choisit un programme Beethoven – Haydn qui peut convenir à n’importe qui en commençant par une page brillante, l’ouverture que Joseph Haydn, au service du Prince Esterhazy, composa pour son dramma giocoso, Il Mondo della Luna, sur un livret de Carlo Goldoni, créé à Esterhaza le 3 août 1777. Sa baguette lui prête un tour alerte, pimenté d’ironie, que façonne la souplesse de phrasé des cordes, se mettant ensuite au second plan pour laisser chanter les bois, tout en insufflant exubérance au tutti. Intervient ensuite le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, interprète du Concerto en ut majeur Hob.XVIIB.1 ; d’emblée, il prend part à l’introduction orchestrale avant de livrer le solo dans une sonorité mordorée d’une rare ampleur qui confère éclat à son jeu, usant magistralement des doubles cordes pour faire sourdre les contrastes de coloris ; et sa première cadenza révèle une extrême liberté de ligne, tout en conservant pour point de mire la thématique du Moderato. L’Adagio n’est que demi-teintes expressives à fleur de touche, tandis que le Finale, extrêmement rapide, éblouit par ses traits à la pointe sèche qu’emporte un irrésistible entrain. Devant l’enthousiasme délirant du public, le soliste, manifestement ému, concède deux bis, une page d’Henri Dutilleux, la Première Strophe sur le nom de Sacher, sollicitant les ressources les plus inattendues de l’instrument, suivie du Prélude de la Quatrième Suite en mi bémol majeur de Bach, à la sérénité majestueuse.

Quand le théâtre s’invite au récital avec Sarah Defrise

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La soprano belge Sarah Defrise présentait jeudi 17 octobre dans le Foyer Grétry de l’Opéra Royal de Wallonie son premier disque, « Entrevisions », paru le 11 octobre chez Musique en Wallonie. Consacré aux mélodies de Joseph Jongen, ce premier volet d’une intégrale (à venir) marque d’ores et déjà l’histoire de la musique belge d’une pierre blanche, puisque la plupart d’entre elles n’avaient jamais été enregistrées. 

L’on peut dire sans retenue que la soirée était placée sous le signe de l’inédit à plus d’un titre. Nous étions à l’opéra pour écouter un récital de mélodies à la façon des salons de musique, et nous avons goûté au plaisir, précieux, d’un chant tout autant musical que théâtral. Nous avons fermé les yeux pour tendre l’oreille vers une poésie subtile et raffinée, ciselée avec précision et délicatesse par la voix à la fois claire et aérienne de Sarah Defrise.

Sublime Andras Schiff   

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Dans le cadre de sa prestigieuse série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence Caecilia réinvite régulièrement certains artistes qui peuvent ainsi déployer l’éventail de leur répertoire. Tel est le cas du grand pianiste hongrois Sir Andras Schiff, entendu en février 2018 dans un programme Schumann, Brahms, Mozart, Bach et Beethoven. Et cette fois-ci, pour le récital de vendredi dernier, il s’est concentré sur les seuls Beethoven et Schumann.

Utilisant un somptueux piano Bösendorfer de couleur acajou, il propose d’abord le Beethoven trentenaire de la Douzième Sonate en la bémol majeur op.26 dont il chante la profonde sérénité en s’appuyant sur la richesse des basses que lui fournit l’instrument. De ce motif initial semblent découler naturellement les traits d’ornementation et les variations qui s’enchaînent avec une implacable logique. Par un jeu très articulé, le Scherzo prend un tour bondissant dont le Trio calmera les élans par le balancement de son cantabile. La Marcia funebre sulla morte d’un eroe se déroule en un tempo allant qui ne deviendra maestoso que dans la section médiane où éclatera le drame sur le roulement en trémolo de la main gauche, tandis que le Finale renouera avec une désinvolture volontiers babillarde que produisent les doubles croches de la main droite.

Trois siècles de musique qui annoncent Jean-Sébastien…avec Terpischore

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Pour fêter dignement quatre décennies de musique et d’amitié, l’Ensemble vocal  mixte TERPSICHORE, placé sous la direction de son chef et fondateur Xavier Haag, vient de présenter la première partie d’un diptyque musical lors d’un concert qui  s’est donné ce 13 octobre dans l’église romane de Villers La Ville.

Concert qui racontait les trois siècles de musique qui ont préparé la venue de Jean-Sébastien BACH. Superbe programmation qui a conduit le public de Janequin ("La Bataille de Marignan") à Haëndel (extraits du Messie) en passant par Lassus ("Bonjour mon coeur"), Monteverdi, Purcell (Extraits de Didon et Énée), Vivaldi (Extraits du Magnificat) et Bach ("Lobet den Herrn"). 

La première partie du programme, a capella, a révélé une belle homogénéité des voix. La seconde partie a vu s’adjoindre au chœur deux violons – José-Manuel Rodriguès et Patricia Vigas – et un violoncelle en la personne de la liégeoise Caroline Stevens.

Monte-Carlo: les 30 ans des Monte-Carlo Music Masters 

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Pour célébrer le 30e anniversaire des Monte-Carlo Music Masters, ce « concours des meilleurs » qu’ils ont fondé, Chantal et Jean-Marie Fournier ont proposé un feu d'artifice musical en invitant d'anciens membres du jury et des vainqueurs de ces Masters : Nelson Freire, Ruggero Raimondi, Maxim Vengerov, Béatrice Uria-Monzon, Maurizio Baglini, Roustem Saitkoulov, Alexander Gadjiev et Fanny Clamagirand se succèdaient sur la scène de l'Opéra Garnier. Un magnifique Bösendorfer trône sur scène et Alain Duault est le fidèle Maître de Cérémonie de cette soirée. 

ELIAS de Félix Mendelssohn au TCE : d’une bouleversante vérité

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Le nom du chef d’orchestre et claveciniste Masaaki Suzuki à la tête de l’Orchestra of the Age of Enlightenment constitue, en soi, la promesse d’un moment exceptionnel ; à plus forte raison lorsque c’est l’un des chef d’œuvres de l’Oratorio romantique qui est au programme. Elias concilie en effet l’équilibre architectural, la stylisation des affects de Bach, l’ardeur radieuse de Haendel et l’esthétique d’un monde nouveau, exubérant, coloré, puissant. Mais il y a plus, ces pages créés en 1846 à Birmingham, font « entendre » à travers les siècles la voix même du jeune compositeur. L’étonnant livret (respectant scrupuleusement le texte biblique), rédigé de sa main, ne craint ni les répétitions ni une rythmique assez peu variée, ce qui suscite un climat hypnotique et laisse l’esprit s’évader loin des diversions quotidiennes. Avec le personnage du prophète Elie, l’auditeur est confronté aux tragédies fondamentales de l’existence : la mort, la haine, le désespoir, l’amour parfait. Il est alors introduit dans la contemplation à travers le regard ardent du musicien. Suzuki dirige avec une ampleur d’une précision extrême offrant une vision aussi puissante que cohérente. L’orchestre, aux cuivres parfois très sonores, s’engage sans réserve tout comme le chœur. D’une pure beauté, le Trio des Anges « Lift thine eyes » -si proche des trois génies de La Flûte enchantée- sauve (à juste titre !) Elie du désespoir.