Rusalka de Dvořák à Nice

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L'Opéra de Nice présente Rusalka d'Antonín Dvořák  en coproduction avec les opéras de Toulon, Marseille et Avignon. Les metteurs en scène très inventifs du "Lab" Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil ont transposé l'opéra inspiré de La petite sirène d'Andersen et du conte Ondine de Friedrich de La Motte-Fouqué, dans l'univers de la natation synchronisée. C'est très ingénieux. L'action prend place au bord d’une piscine olympique qui occupe la majeure partie de l’espace scénique.La sirène est une nageuse, une jeune fille qui se demande ce que ça signifie d’être "une vraie femme" et le comprend avec son entrejambe plutôt qu’avec une queue de poisson. 

On apprécie tous les clins d'œil humoristiques :  le prince en bellâtre testostéroné, la sorcière Jezibaba en femme de ménage, le père Vodnik en coach de natation.  Quel lieu plus évocateur d'une sensualité naissante que celui d'une piscine.

De la fragile petite Sirène d’Andersen à la romantique Rusalka de Dvořák, des fantaisies nautiques hollywoodiennes au monde cruel de la natation synchronisée d’aujourd’hui, il n'est pas facile pour une jeune fille de construire sa féminité sans douleur. Dans l’opéra de Dvořák comme dans les vestiaires de nos piscines modernes, la pression exercée sur les adolescentes, au XIXe siècle comme de nos jours est constante et cruelle. 

Le tandem Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil utilisent un écran immense,  omniprésent, envahissant (on est loin de ce que David Livermore avait utilisé pour sa mise en scène de Don Carlo à l'Opéra de Monte-Carlo).  Les images magnifiques avec des superbes nageuses, les fonds marins, la forêt, éclipsent la scène. On a l'impression d'être au cinéma plutôt qu'à l'opéra…

Cycle George Benjamin à Lille : lyrisme contemporain

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Alexandre Bloch et l’Orchestre national de Lille ont imaginé un cycle de concerts sur l’un des compositeurs les plus représentatifs de notre temps : George Benjamin (né en 1960). À cette occasion, deux grandes œuvres sont entrées au répertoire de l’ONL : le Concerto pour orchestre et l’opéra Written on Skin. Entre les deux, un concert flash autour de Piano Figures par l’ensemble Miroirs Étendus.

Le concert du 18 janvier, sous la direction de George Benjamin lui-même, est construit avec des pièces qui ont marqué sa vie de compositeur, mais aussi en quelque sorte en hommage à la France. Le compositeur lui-même confie à Alexandre Bloch, le directeur musical de l’ONL, qu’il s’agit d’un programme « très personnel ». Les Offrandes oubliées pour évoquer Olivier Messiaen qui, en tant que son professeur de composition dès l’âge de 16 ans, a joué « un rôle capital » dans sa vie et « éprouve une gratitude infinie à son égard ». Il considère La Mer de Debussy comme « le sommet de l’art de Debussy », avant d’ajouter qu’il a entendu ce triptyque pour la dernière fois à Londres, juste avant le confinement, dirigé par… Alexandre Bloch ! Et, entre eux, Lontano de Ligeti, le compositeur qu’il a bien connu personnellement.

Ses gestes jamais brusques dans sa direction font transparaître sa grande sensibilité aux timbres que proposent différentes combinaisons d’instruments, ainsi que son écoute aiguisée jusqu’au moindre détail. Ainsi, dans son Concerto pour orchestre, où les cordes, les bois, les cuivres et les percussions donnent des figures sonores diversifiées, contrastées et fusionnées, tantôt en se mêlant, tantôt en se chevauchant. La musique, bien que qualifiée d’« insaisissable » par le compositeur, est un festin de timbres. Sur un tapis sonore créé par une pédale de plusieurs instruments, parfois tel un orgue à bouche, chaque instrument a un moment de solo, court ou long. On sent dans l’interprétation la concentration des musiciens au plus haut niveau, pour répondre à la subtilité de la partition et aux indications exigeantes du compositeur. Dans Ligeti, les extraordinaires bois au début lancent un élan qui traverse toute l’œuvre, alors que les effets divers de la nature dans La Mer -changement de lumières, miroitement d’eau, balancement de vagues ou sifflement du vent ; écumes, houles, déferlement- sont minutieusement détaillés par la direction de George Benjamin qui ne laisse échapper les moindres intentions de Debussy.

Gala Puccini à l’ORW

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À l’occasion du centenaire de la mort de Giacomo Puccini, l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie nous a proposé une soirée consacrée au maestro italien. Giampaolo Bisanti, directeur musical de l’ORW et chef du soir, a décidé de centrer le concert sur la jeunesse de Puccini. Nous avons donc pu entendre la Messa di Gloria ainsi que son opéra Le Villi en version concert. 

La Messa di Gloria fut composée en 1880 par un Puccini âgé de seulement 22 ans. Écrite à l’occasion d’un examen, l'œuvre est la seule pièce religieuse d’envergure composée par Puccini. L’opéra Le Villi fut quant à lui composé en 1883 lors de la participation de Puccini au concours de composition de l’éditeur Sonzogno. Bien qu’il n’ait pas reçu le premier prix, l’opéra fut un succès. 

Giampaolo Bisanti a mené ses musiciens d’une main énergique et sautillante. Véritable attraction à lui tout seul, il a dégagé une énergie considérable afin d’emmener les musiciens et chanteurs là où il le voulait. L’orchestre a donné entière satisfaction tout au long du concert. Sérieux et attentifs au moindre geste du chef, les musiciens ont livré une prestation pleine de couleurs et de contrastes. Le travail accompli est d’autant plus apprécié que la production simultanée de Rusalka demande également une très grande implication de tous les musiciens. 

Un opéra contemporain de deux cents ans

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A l’Opéra-Comique de Paris, les spectateurs découvrent avec émotion, ravissement et enthousiasme un opéra contemporain… qui a deux cents ans : « L’Autre Voyage » d’après Franz Schubert.

Voilà qui nécessite bien quelques mots d’explication.

Comme le précise Agnès Terrier dans sa note de mise en perspective du spectacle, « on a pu considérer que l’inachèvement caractérisait la démarche et l’œuvre d’un artiste [Schubert] dont la vie brutalement rompue à 31 ans obéit à la même logique ». Cela se vérifie dans son corpus de chambre, dans ses œuvres pour piano (douze sonates achevées sur vingt-trois entamées) ou pour l’orchestre (sept symphonies complètes sur une quinzaine mises en chantier). Pour l’opéra aussi : une vingtaine de projets dont trois seulement ont vu le jour de son vivant : deux musiques de scène et un petit singspiel en un acte, difficiles à monter, plus que rarement montés.

Dans ces ébauches, Raphaël Pichon a découvert des « pages de premier ordre ». Qu’il a donc « mises en ordre, puis entremêlées à d’autres composition de Schubert de façon à former une véritable partition, à laquelle les arrangements et orchestrations de Robert Percival ont apporté une unité ».

Ce qu’il en résulte est une « œuvre nouvelle » d’une beauté séduisante, admirablement servie et enrichie dans son interprétation par l’ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon, alternant moments d’intense émotion, délicatesses instrumentales, flux orchestraux. Quant aux interventions des solistes et du choeur, elles semblent aller de soi dans ce qui est un puzzle aux pièces magnifiquement découpées et assemblées. Quelle merveilleuse rencontre que celle qui nous est offerte avec ces pépites retrouvées.

Pour donner vie à tout cela, Silvia Costa l’a inscrit dans un « argument » qui lui confère cohérence et pertinence, qui le « dramatise », qui nous attache à son héros. Une œuvre sans actions ni rebondissements, mais qui, issue de la situation humaine sans doute la plus douloureuse, la mort d’un enfant, nous fait parcourir le cheminement qui mène au deuil réconcilié.

Adrien Perruchon et l’Orchestre Lamoureux 

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Le chef d’orchestre Adrien Perruchon vient d’être renouvelé à la direction musicale de l’Orchestre Lamoureux. Cette annonce vient récompenser un travail exemplaire auprès de l’un des grands orchestres associatifs français, une phalange qui a tant marqué l’histoire de la musique symphonique. En prélude à un concert autour de Ravel, Adrien Perruchon répond aux questions de Crescendo Magazine. 

L’Orchestre Lamoureux est historiquement lié à l'œuvre de Ravel, est-ce que vous pouvez revenir un peu sur cette relation historique entre Ravel et l'orchestre ? 

Les liens entre l’Orchestre Lamoureux et Ravel sont en effet très forts avec plusieurs premières mondiales, l’orchestre ayant en quelque sorte accompagné le développement de l'œuvre de Ravel des Valses Nobles et Sentimentales (1912) jusqu’au Concerto pour piano (1932). L’Orchestre Lamoureux c’est donc la création d’autres grandes œuvres avec en plus de celles déjà citées La Valse, la version de concert de Bolero (création française), mais aussi des partitions moins emblématiques, voir oubliées comme l’orchestration hélas perdue du Noël des jouets  ou celle très belle de la Tarentelle styrienne de Debussy. 

Cette relation, c’est aussi un lien avec des interprètes directement liés à Ravel : les chefs d’orchestre Gabriel Pierné, Camille Chevillard, Paul Paray ou la pianiste Marguerite Long. Cette filiation ravélienne s’est poursuivie au fil des années avec des mandats de chefs d’orchestre comme Eugène Bigot, Jean Martinon, Igor Markevitch, Yutaka Sado. Un formidable capital discographique témoigne de cet héritage. Il est intéressant de noter, en regardant les programmes de saison que, déjà du vivant de Ravel, en marge des créations, son œuvre est  très rapidement entrée au répertoire régulier de l’orchestre. Daphnis et Chloé, par exemple, a été introduit par Camille Chevillard et donné en une décennie par une demi-douzaine de chefs dont Ravel lui-même, et Eugène Bigot en fit, bien avant Charles Munch, un des ses chevaux de bataille.   

Quand on pense orchestre français, et Ravel, on pense sonorité. Quelles étaient les particularités sonores de l'orchestre tel que Ravel a pu le connaître ?  

Le profil sonore des instruments était autre, avec une palette de timbres à coup sûr plus différenciée. Les cordes naturelles, les sourdines en bois, la perce plus petite des cuivres et bien entendu l’insensée richesse de la facture chez les bois. Paris seul comportait plus d’une dizaine de fabricants de hautbois alors qu’il y’en a probablement une poignée dans le monde actuel. L’outil qu’est la salle de concert est aussi un paramètre intéressant à envisager. Jouer une partition comme Daphnis et Chloé dans un espace comme la Salle Gaveau produisait certainement un effet différent du point de vue des auditeurs et des interprètes que celui que nous avons intégré en jouant dans des salles au lustre et au volume bien différents. 

Début prometteur du cycle Mahler à Zürich avec Paavo Järvi

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Ce samedi 3 février a lieu le concert de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich sous la baguette de son directeur musical, Paavo Järvi. En soliste, nous retrouvons la hautboïste espagnole Cristina Gómez Godoy. Après des enregistrements mettant Tchaïkovsky et Bruckner à l’honneur (ICMA du meilleur enregistrement symphonique de l’année 2023 pour la Symphonie n°8 de Bruckner), Paavo Järvi et l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich s’attaquent à un des compositeurs-phares du répertoire : Gustav Mahler et ses symphonies. Paavo Järvi le considère comme un des plus grands compositeurs de musique symphonique germanique. Mahler résume à lui seul toute la musique qui l’a précédé. C’est donc dans une logique de continuité que le choix d’un nouveau cycle s’est porté sur Mahler. Ce concert, le dernier d’une série de trois, est synonyme du début de ce cycle, marquant encore un peu plus la fructueuse collaboration entre le chef estonien et la phalange zurichoise. Au programme, le Concerto pour hautbois en do majeur, KV 314 de Mozart et la Symphonie n°5 en do# mineur de Gustav Mahler.

Tout d’abord, place au Concerto pour hautbois en do majeur, KV 314 de Mozart. Cette œuvre est composée en 1777 pour son ami hautboïste Giuseppe Ferlendis, lui aussi membre de la Chapelle Royale de Salzbourg. Cette pièce en trois mouvements est considérée comme l'œuvre symphonique classique de référence pour le hautbois. La soliste du soir, Cristina Gómez Godoy, nous propose sa version de ce concerto. Son interprétation est convaincante. Elle fait preuve de musicalité avec de beaux contrastes. Le son qu’elle développe est rond et chaleureux, on dirait presque de la clarinette. Paavo Järvi et l’orchestre (évidemment en formation réduite par rapport à ce qui nous attend après) prêtent une grande attention à la soliste afin de suivre ses idées musicales. Ce concerto, réussi avec brio, est une très belle entrée en matière avant la suite du programme. En bis, nous avons droit à un sublime extrait tiré de l’opéra Orphée et Eurydice de Glück. Cristina Gómez Godoy parvient à aller chercher des pianissimos totalement bluffant, surtout au hautbois où la tâche est plus ardue qu’à la clarinette par exemple. Le public applaudit chaleureusement au bout de cette première partie.

Festival Prokofiev à Bozar 

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Plus de 70 ans après son décès, le grand Prokofiev est mis à l’honneur d’un petit festival de 3 jours au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Du jeudi au dimanche, différentes facettes du grand musicien sont ainsi illustrées avec des concerts, des conférences et même un happening avec de l'électro pour un concept présenté comme déconstruisant Prokofiev... Mais le grand intérêt de ce festival est de proposer des œuvres bien moins connues aux côtés de tubes. Certes, le public jeune et moins jeune pouvait entendre Pierre et le Loup et le Concerto pour violon n°1, mais aussi les Symphonies n°2 et n°6 ainsi que les suites du Pas d’Acier et de Chout. Au final, on pointait une majorité d'œuvres rares, voire très rares au concert. 

En ouverture d’une soirée de samedi contrastée avec un concert symphonique et un happening mêlant Prokofiev et DJ, le Antwerp Symphony Orchestra proposait la Symphonie n°6 sous la baguette d’Osmo Vänskä. La venue de l’immense chef finlandais en Belgique est déjà en soi un événement et la Symphonie n°6 est une œuvre fascinante par son ton tragique en angoissé.  Osmo Vänskä en livre une lecture noire et dramatique, d’une portée mahlérienne dans la tension qu’elle véhicule. Sa direction tend l’arc dramatique avec d’emblée un premier mouvement sombre, angoissé et traversé d’orages instrumentaux. La masse orchestrale est toujours parfaitement lisible avec une idéale mise en avant des interventions solistes (superbe vents). Le second mouvement poursuit cette tragédie avec un superbe galbe des cordes et des vents magistraux avant que le final, faussement joyeux, explose dans le cataclysme conclusif. L’Antwerp Symphony Orchestra livre une prestation magistrale tant dans ses tutti que dans ses individualités. On sent les musiciens en osmose totale avec leur chef d’un soir. 

Fertiles influences franco-flamandes au temps du Siècle d’or espagnol

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Canto a mi Caballero. Œuvres d’Antonio de Cabezón (1510-1566), Alonso Mudarra (1510-1580), Nicolas Gombert (1495-1560), Hernando de Cabezón (1541-1602), Luys de Narváez (c1500-1555), Cipriano de Rore (1515-1565), Diego Ortiz (1510-1570), Cristobal de Morales (1500-1553), Jacques Arcadelt (c1505-1568). Capriccio Stravagante. Skip Sempé, clavecin, virginal. Jay Bernfeld, Anne-Marie Lasla, Christine Plubeau, Françoise Enock, viole de gambe. Patricia Lavail, flûte à bec. Mike Fentross, vihuela, chitarrone, guitare. Massimo Moscardo, Benjamin Perrot, guitare. Françoise Johannel, harpe. Septembre 1998, rééd. 2023. Livret en anglais, français, espagnol. TT 57’58. Paradizo PA0021

Bruckner par Rémy Ballot 

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Anton Bruckner (1824-1896) : intégrale des Symphonies y compris la Symphonie en ré mineur WAB 100 “Die Annulierte”). Altomonte Orchester St Florian, Oö.Jugensinfonieorchester (Symphonie n°8), direction : Rémy Ballot. Enregistrements lives 2013-2023. Livret en anglais et allemand. 11 CD Gramola 99311