Sarah ? Oui, Jean-Luc, la respiration, c’est has been

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A l’italienne, le Théâtre Jacques Huisman (j’y étais il y a deux jours pour La tragédie comique de Yves Hunstad – sentiment : mitigé) accueille de rouge velours et d’or ornement un public qui ne ressemble guère à celui qu’on voit d’ordinaire dans les concerts de musique contemporaine : la raison, simple, en est qu’il ne s’agit pas d’un concert de musique contemporaine, mais d’une pochade, I Hate New Music, au titre provocateur – comme l’était celui du manifeste Why Do The Residents Hate The Beatles? imprimé sur la pochette de l’album The Third Reich 'N' Roll, paru en 1976, du groupe d’avant-garde de San Francisco –, qui pourrait faire croire, de la part d’une chanteuse lyrique qui y est intensément immergée (tout chez elle est intense), à une trahison envers le milieu qui la nourrit – si toutefois la pitance abondait, si toutefois la soupe n’était pas si souvent claire et froide, et si le propos acéré, parfois féroce, s’avérait dénué de tendresse : l’affection est au second plan, l’attachement parfois désespéré, mais le lien résiste et la passion réémerge toujours – Sarah châtie bien ce que Defrise aime.

Cela dit, le spectacle-qui-n’est-pas-un-concert s’entame sur une musique, dans le noir (avec un éclairage – magique, clownesque – qui me rappelle la Light Music de Thierry De Mey – les mains, les mains !), celle de la Sequenza III de Luciano Berio, issue de la série dans laquelle le compositeur italien dresse le portrait (en trois dimensions, tel une sculpture) d’un instrument solo (ici, la voix), qui va au-delà de son histoire, de son répertoire et qui exige – une virtuosité de l’interprète dont le public non averti n’a probablement pas conscience.

Une nuit d’été au Festival Savall : Vespro della Beata vergine, de Monteverdi

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Pour sa cinquième édition, le Festival Savall a rappelé son public vers le cadre enchanteur du parvis du monastère cistercien catalan de Santes Creus avec son arc en plein cintre surmonté d’une belle ogive qui nous évoquent tout de suite transition et voyage dans le temps. Sous la devise « Hommage à la diversité », il nous propose cette fois-ci un périple qui va bien au-delà des recherches bien connues de Jordi Savall sur les concomitances entre la musique ibérique ou italienne et ses consœurs des bords de la Méditerranée ou du Moyen Orient, pour retrouver des inspirations sur la route la soie et les voyages de Marco Polo vers la Chine, thème auquel était consacré l’un des concerts les plus attirants du Festival de cette année. Dans la foulée, le concert dédié aux Vespro della Beata Vergine était, sur le papier, l’un des plus intéressants. Monteverdi les avait publiées en 1610 à Venise, centre mondial de l’imprimerie musicale à l’époque. Des recherches de Jordi Savall, justement, situent cependant la première à la cathédrale de Mantoue en 1607. On sait que le compositeur postula avec cette œuvre imposante par sa longueur et sa densité pour devenir maître de chapelle à Rome et à Venise. Il deviendra maître de chapelle à Saint Marc en 1613. Ces Vêpres constituent la plus grande œuvre religieuse avant les grandes Passions de J. S. Bach et ont séduit un nombre impressionnant de musiciens au XXème siècle : on compte près de quarante enregistrements de l’œuvre, celui de Savall en 1988 étant l’un des phares. 

Je trouve assez frustrant ce terme tant galvaudé de « baroqueux » appliqué à Savall : le nombre de chemins qu’il a débroussaillé à nos oreilles, en éveillant notre curiosité vers des voisins et des époques plus ou moins lointaines auxquels nous devons une bonne part de nos racines musicales, est presque infini. Et le talent qu’il a déployé en se servant au départ d’un instrument aussi peu tape-à-l’œil que la viole de gambe est d’un tel ordre que l’on peut parler d’une des carrières musicales les plus riches et diversifiées de notre temps. Pour ne pas rallonger le panégyrique bien connu d’un tel artiste, je dois aussi avouer que le concert d’hier était décevant à bien des égards. Certes, son métier de chef (il est invité cette saison pour un concert avec les Berliner Philharmoniker ) est indiscutable et le langage polyphonique de Monteverdi n’a pour lui le moindre secret : il peut y déployer une pensée musicale d‘une clarté et d’une luminosité absolues. Cependant, les Vêpres ne sont en aucun cas une œuvre durchkomponiert, sinon un amalgame de psaumes, des chants et danses madrigalesques plus ou moins pieux adressées à la Vierge Marie, certes, mais parfois d’un ton tellement colloquial -voire érotique- qu’on pourrait se croire dans une célébration absolument païenne :  Pulchra es, amica mea, / Averte oculos tuos a me / Quia ipsi me avolare fecerunt (Tu es belle, ma mie, retire tes yeux des miens car ils m’éblouissent…). 

Trois visages du piano à La Roque d’Anthéron

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Le 45ᵉ édition du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron illustre, une fois encore, la richesse et la diversité de l’univers de cet instrument. Les trois soirées que nous avons passées au Parc du Château de Florans en seraient, à elles seules, la preuve éclatante.

Nuit du piano avec Hayato Sumino alias Cateen

Hayato Sumino faisait, le jeudi 7 août, sa première apparition au Festival — et quelle apparition ! Il assurait à lui seul les deux concerts de la Nuit du piano : à 20 h, un programme « classique » (Bach, Mozart, Chopin) ; à 22 h, un programme « Cateen» — pseudonyme de sa chaîne YouTube suivie par 1,5 million d’abonnés —, orienté vers le jazz, mêlant arrangements de pièces célèbres et compositions personnelles.

Demi-finaliste de la dernière édition du Concours Chopin de Varsovie, il s’est montré relativement « sage » dans la première partie. Dans le Concerto italien de Bach, il distingue clairement les plans sonores, donnant ainsi l’illusion, sur un seul clavier, d’un véritable concerto baroque. Dans la Sonate “alla turca” de Mozart, il introduit dès l’exposition du thème des ornements parfois substantiels, ce qui ne sert pas toujours la lisibilité lors des reprises, qu’il joue toutes. La Deuxième Ballade et la Polonaise héroïque de Chopin, malgré une virtuosité indéniable, restent dans une interprétation assez conventionnelle.

Mais l’essentiel de son art éclate dans la seconde partie. Dès ses Variations sur la Marche turque, on comprend que son rapport au clavier est aussi naturel que la parole : le piano devient le prolongement de son expression. S’enchaînent le Prélude et fugue de Friedrich Gulda, des extraits des Huit études de concert de Nikolaï Kapustin, et deux pièces de sa composition inspirées de thèmes et formules mélodiques d’Études de Chopin. Il les interprète toutes avec une originalité et une aisance déconcertantes. Le sommet de la soirée reste toutefois son arrangement du Boléro de Ravel : débutant sur un piano droit préparé, placé perpendiculairement au piano de concert, il en module minutieusement sonorités, volumes et timbres, recréant la chatoyance de l’orchestration. Son arrangement met en lumière sa maîtrise des couleurs et des effets orchestraux.

Les Arènes de Vérone entre modernisme futuriste et tradition

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Pour sa 102e édition depuis 1913, l’Arena di Verona Opera Festival affiche cinq opéras, les Carmina burana de Carl Orff, un Viva Vivaldi en concert immersif, le ballet Zorba le Grec, un gala Jonas Kaufmann et le Roberto Bolle and friends pour deux soirées.

Au niveau lyrique, la seule nouvelle production est consacrée à Nabucco, troisième ouvrage le plus fréquemment joué aux Arènes avec 239 représentations en 26 saisons. En cette année 2025, Cecilia Gasdia, la surintendante, en confie la réalisation à Stefano Poda qui conçoit à la fois la mise en scène, les décors, costumes, lumières et chorégraphie. Dans ses ‘Notes de régie’, l’homme-orchestre explicite son point de vue : « "Nabucco, c’est comme l’affrontement et la réunification entre deux polarités. Deux moitiés de sphère représentent non seulement la polarisation Hébreux-Babyloniens, mais aussi la spiritualité-rationalité sur un plateau scénique épuré dans une dimension spatiale post-moderne qui combine un labyrinthe de lumières futuristes avec la nudité des gradins de l’Arène. Les deux polarités s’attirent et se repoussent durant toute l’action jusqu’à un point extrême de scission pour parvenir à la synthèse du finale où les deux oppositions se réconcilient ».      

La métaphore est celle de la répulsion des particules atomiques. L’homme a réussi à découvrir comment scinder en deux parties un atome, pour se rendre compte ensuite qu’une telle science peut avoir des conséquences désastreuses. Ainsi le Finale de l’Acte II impliquant le moment où Nabucco prétend être Dieu provoque une explosion atomique avec effets spéciaux représentant la destruction de la raison séparée de la spiritualité.  La guerre est le bruit de fond de la trame concrétisée par des guerriers futuristes dotés de cuirasses lumineuses et d’armes blanches. Le monde naturel et détérioré des Hébreux arborant un jaune délavé symbolise la partie de l’intelligence humaine qui recherche la spiritualité, exprimant dans le célèbre « Va, pensiero » la tentative de fuir cette logique de l’affrontement.  Et la gigantesque clepsydre comportant le mot « Vanitas » juchée au centre symbolise le passage du temps qui efface inexorablement tout effort humain. Mais lorsqu’elle se rompra à l’Acte IV, elle obligera l’humanité à choisir entre le bien et le mal.                                                                

Un dimanche à Fécamp avec Les Musicales de Normandie : 2 églises, 2 concerts, 2 mondes

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Les Musicales de Normandie, ce sont, pendant tout l’été, cinquante concerts dans plusieurs dizaines de lieux caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure. En ce dimanche, ce festival était à Fécamp, pour deux concerts le même jour, dans deux sublimes églises de cette ville portuaire : l’immense Abbatiale de la Trinité, chef-d'œuvre du gothique primitif, l’après-midi, et l’église Saint-Étienne, de dimensions moindre et un peu plus récente mais non moins admirable, le soir.

16 h : Benjamin Alard au grand orgue de l’Abbatiale de la Trinité

Le seul récital d’orgue de ce festival a été confié à Benjamin Alard. Si sa réputation est maintenant internationale, il est né, et a fait ses premières études musicales en Normandie, avant de partir à l’étranger. Sa mère étant originaire de Fécamp, peut-être connaît-il bien l’orgue de cette abbatiale. Entièrement reconstruit par Aristide Cavaillé-Coll en 1883, il comportait alors 34 jeux, répartis sur 3 claviers. En 1910, un clairon a été ajouté. L’ensemble a été restauré en 1997.

Seule pièce non française de ce récital, Jean-Sébastien Bach. Benjamin Alard prépare actuellement une intégrale de son œuvre pour clavier (orgue, clavecin, clavicorde...) de Bach, qui devrait contenir une soixantaine de CD. C’est dire s’il connaît bien l’univers de Bach !

Benjamin Grosvenor, une clôture magistrale du 16ème Biarritz Piano Festival 

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Créé il y a quinze ans par le pianiste Thomas Valverde, le Biarritz Piano Festival s'est imposé comme un des grands rendez-vous estival dédié au clavier. Sa programmation éclectique est à l'image du directeur artistique lui-même, qui est à l'affiche de la première des deux fins d'après-midi gratuites en extérieur prolongées par un DJ set, ainsi que de la soirée de danse, à la gare du Midi, avec l'une des institutions du genre, le Malandain Ballet Biarritz. Les récitals à l'Espace Bellevue, promontoire sur l'océan, accueillent les grands noms de la nouvelle génération du piano, tels Lucas Debargue en ouverture, ou encore le jeune prodige Ryan Wang. L'accent sur la jeunesse se retrouve avec Gabriel Durliat, qui, à 24 ans, se confirme comme l'un des talents les plus prometteurs d'aujourd'hui. Élargi également à la musique de chambre, avec le duo formé par Simon Ghraichy avec le contrebassiste Marc André, ou le trio I Giardini, le festival se referme avec Benjamin Grosvenor, pour une clôture qui se révèle comme un condensé de son excellence artistique.

A l'exception peut-être du pittoresque de plein air, on évoque rarement assez la place et les interactions de l'environnement avec le concert en lui-même. Avec ses nuances de confession intimiste comme sait si bien les dessiner Schumann, les pastels expressifs de la première pièce de la soirée, Blumenstück op. 19, que révèle avec fluidité le soliste britannique, s'harmonise avec la blancheur du crépuscule entourant les spectateurs de la rotonde de l'Espace Bellevue. Équilibrée entre élans et pudeur, l'interprétation de ce double thème et variations écrit alors que le père de Clara Wieck s'opposait encore à son mariage avec Robert Schumann, et qui évoque les effusions de l'amour à la manière de l'éclosion des fleurs, se fait comme l'antichambre naturel d'une œuvre majeure composée à la même époque, la Fantaisie op.17.

Festival Bach à Saint-Donat: tradition et modernité en résonance

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À Saint-Donat-sur-l’Herbasse, entre les vallées de la Drôme, le Festival Bach a célébré sa 63ᵉ édition sous le thème « Héritage, Transmission, Filiation ». Né dans l’après-guerre pour sceller l’amitié franco-allemande, il trouve son cœur dans la musique de Bach et dans un orgue inspiré des instruments allemands de son époque, devenu le symbole sonore et historique de la manifestation.

De l’accent français à l’héritage universel de Bach

Dirigé depuis cinq ans par Franck-Emmanuel Comte, également directeur artistique du Concert de l’Hostel-Dieu et de La Chapelle de la Trinité à Lyon, le Festival Bach de Saint-Donat conjugue la musique du Cantor avec des esthétiques plus contemporaines. Le dernier jour de cette 63ᵉ édition, deux concerts illustraient cette ouverture : un récital orgue-clavecin par Jean-Luc Ho autour du programme « Bach francophone » et le concert de clôture « Bach to minimalism » par le Concert de l’Hostel-Dieu.

Dans la Collégiale Saint-Pierre & Saint-Paul, Jean-Luc Ho ouvre son récital en évoquant un souvenir marquant : sa première venue en 2001 pour écouter Rinaldo Alessandrini sous le thème de Bach à l’italienne. En contrepoint à ce souvenir, il propose cette fois une exploration de « l’accent français ». Dans son commentaire introductif, quelques exemples au clavecin montrent comment Bach copiait et ornait les œuvres de maîtres français. Puis l’organiste prend place à la tribune de l’orgue, construit en 1968 grâce aux recettes des premières éditions du Festival et inauguré par Marie-Claire Alain. Il enchaîne la Pièce d’orgue BWV 572, la Canzona en ré mineur BWV 588 et An Wasserflüssen Babylon BWV 653b, entourées du Trio en sol d’André Raison et du Récit de tierce en taille de Nicolas de Grigny. Ho rappelle que la passacaille de Raison inspira directement Bach, et qualifie la Pièce d’orgue de « fantaisie à la française ».

Jascha Horenstein à l’anglaise

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°1 en fa mineur ; Carl Nielsen (1865-1931): Symphonie n°5, op.50. Royal Philharmonic Orchestra, New Philharmonia Orchestra, direction : Jascha Horenstein. 1970 et 197. Livret en anglais, allemand et français. 72’50. ICA ICAC 5184.