Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Anna Fedorova et l’Orchestre national de Metz Grand Est au Namur Concert Hall

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Photo: Marco Borggreve
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Ce jeudi 23 janvier a lieu le concert de l’Orchestre national de Metz Grand Est au Namur Concert Hall. L’orchestre est placé sous la direction de la cheffe d’orchestre sud-coréenne Shi-Yeon Sung. La pianiste ukrainienne Anna Fedorova est la soliste du soir. Trois œuvres sont au programme de cette soirée : Ciel d’hiver de Kaija Saariaho, le Concerto pour piano N°1 en si bémol mineur de Tchaïkovski et les Danses symphoniques de Rachmaninov.

Le concert débute avec une pièce de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho : Ciel d’hiver (2013). Cette pièce, atmosphérique et introspective, est un arrangement du deuxième mouvement de sa pièce orchestrale Orion. Le public est plongé dans une expérience où la perception du temps est illusoire. En effet, le silence et la couleur sonore occupent une place centrale dans cette œuvre. L’interprétation de l’orchestre, à travers des textures subtiles et des nuances assez délicates, évoque la tranquillité et la profondeur de l'hiver, avec une sensation de suspension dans le temps. L'œuvre explore également les contrastes entre le calme et la tension, nous invitant à une méditation sonore. 

Après cette délicate entrée en matière, place au Concerto pour piano N°1 de Tchaïkovski. Cette œuvre, à la fois majestueuse et émouvante, est sans conteste l'un des concertos les plus emblématiques du répertoire pianistique. Ce concerto est caractérisé par une écriture pianistique brillante et une orchestration riche, bien que cette dernière peut parfois porter préjudice à l’interprétation de la pièce. Au piano, nous retrouvons la pianiste ukrainienne Anna Fedorova, célébrée comme une étoile internationale. 

Programme hétéroclite à Monte-Carlo

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Mirga Gražinytė-Tyla revient à Monaco dans un programme hétéroclite avec des œuvres de Weinberg, Chopin et  Dvořák au pupitre de l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo.  

Le concert commence par la Suite n°4 du ballet La clé d’or de Mieczysław Weinberg  d'après le conte La petite clé d'or ou les aventures de Bouratino d'Alexeï Tolstoï. Mieczysław Weinberg qui commence à sortir peu à peu de son injuste purgatoire et dont la cheffe s’est imposée comme une grande promotrice.

Toute menue, avec un physique androgyne, Mirga Gražinytė-Tyla est une bombe d'énergie. Cette  cheffe originaire de Lituanie fascine le public. Elle se démarque de ses collègues par une gestuelle fort exubérante. Elle est très engagée et fait éclater toutes les couleurs sonores de la partition. Ce qui dérange c'est cette volonté d'en faire trop.

Est-il nécessaire de venir pieds nus sur scène, prétextant qu'elle a oublié ses chaussures, comme Patricia Kopatchinskaja ? On voit mal un chef comme Bertrand de Billy, qui a électrisé le public la semaine passée avec un Bruckner inoubliable, ou Nathalie Stutzmann venir diriger l'orchestre pieds nus. Ce n'est plus de la musique, mais du marketing...

Le pianiste letton Georgjjs Osokins a attiré l'attention du public lors du Concours Chopin à Varsovie. Il est invité aux festivals les plus prestigieux : Lockenhaus, Gstaad, Klavier Festival Ruhr, Festival de Musique de Shanghai, Festival de Salzbourg... Il partage régulièrement la scène avec Gidon Kremer, avec qui il effectue des tournées au Royaume-Uni, en Allemagne, en Asie et aux Etats-Unis.

Magistral Don Giovanni incarné par Florian Sempey au Théâtre des Champs-Élysées

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Le 20 janvier dernier, Jeanine Roze Production et Les Grandes Voix ont offert un moment mémorable : une représentation en concert de Don Giovanni de Mozart. La distribution réunissait une légion de chanteurs français et francophones. Parmi eux, Florian Sempey incarnait le rôle-titre avec une maîtrise impressionnante.

Assister à Don Giovanni de Mozart, l’un des plus grands chefs-d’œuvre d’opéra, est toujours un événement — même sans mise en scène, comme ce fut le cas ce soir-là. À la place, une mise en espace de Mohamed El Mazzouji laissait une grande liberté à l’imagination du spectateur. Les chanteurs évoluaient devant l’orchestre, mais aussi parmi les musiciens, avec des entrées et sorties tant à l’avant qu’à l’arrière de la scène. Parfois, la salle elle-même était intégrée, une marche placée côté jardin permettant de rejoindre directement la scène.

Dans la version de Vienne (1788) présentée ce soir-là (malgré la mention « version de Prague » sur le programme), le final montrant la chute du libertin aux enfers, sous des lumières rouges intenses, n’exigeait aucun artifice visuel supplémentaire. La musique de Mozart dit tout, et l’ébranlement ultime du corps suffit à transmettre toute l’intensité dramatique. À cet instant, les cris de Don Giovanni, si arrogant et sûr de lui jusqu’alors, résonnent dans le vide, non sans ironie. Et quels cris ! Ceux de Florian Sempey, magistral.

Tout au long des deux actes, le baryton incarne avec un charisme évident le libertin dévoyé et sans scrupule. Il suit la musique de Mozart avec une intonation de l’italien remarquablement vivante, insistant délibérément sur les accents toniques, parfois jusqu’à générer une certaine violence dans la diction. Ainsi, les paroles se fondent naturellement dans la musique et vice versa, leur conférant une théâtralité saisissante. Au cœur de cette vivacité, la douceur musicale trouve également sa place, notamment dans la célèbre sérénade accompagnée à la mandoline par Anna Schivazappa. À travers ce passage, Florian Sempey révèle avec brio le narcissisme du tyran séducteur. Et quel plaisir pour le public !

Thomas Dolié endosse le rôle de Leporello, plus malin que d’être victime face aux caprices de son maître. Son physique élancé crée un effet de contraste bouffon à l’instar de Don Quichotte et Sancho Pança (mais à l’inverse), tout comme la situation similaire dans laquelle les deux laquais se trouvent. Outre son magnifique timbre de baryton, il déploie avec espièglerie les aigus pour accentuer le caractère de son personnage. Cyrille Dubois en Don Ottavio, remplace au pied levé Léo Vermot-Desroches, de sorte qu’il apparaît sur scène avec sa tablette. Sa voix résonne amplement, sans perdre le caractère confident de certains passages. Louis Morvan, à la fois le commandeur et Masetto, est beaucoup plus convaincant dans le premier que le dernier. Si son Masetto souffre quelque peu de statisme, ce même caractère fonctionne à merveille à la fin de l’opéra, conférant à l’homme de pierre une autorité et une froideur effrayante. 

Gala des 10 ans du Concert de la Loge au Théâtre des Champs-Élysées

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Le Concert de la Loge a célébré son dixième anniversaire au Théâtre des Champs-Élysées le 15 janvier dernier, réunissant une quinzaine d’artistes qui collaborent régulièrement avec l’ensemble. Combinant une dramaturgie opératique narrative et une série d’interprétations instrumentales, cette soirée en trois parties s’est déroulée dans une atmosphère chaleureuse et amicale, reflétant une collaboration artistique épanouie.

Au début du concert, Julien Chauvin, fondateur de l’ensemble, salue le public et prend la parole pour évoquer les absents, notamment Marie-Nicole Lemieux, Cyrille Dubois… et surtout Jodie Devos, prématurément décédée en juin dernier à l’âge de 35 ans. « On pense bien fort à elle », confie-t-il avec émotion.

La première partie commence avec  l’ouverture de La Flûte enchantée, suivie d’un pastiche de scènes d’opéra constitué d’extraits de Phèdre de Jean-Baptiste Lemoine, de Chimène ou le Cid d’Antonio Sacchini et d’Iphigénie en Tauride de Gluck. Judith van Wanroij, Jérôme Boutillier et Stanislas de Barbeyrac prêtent leur talent à ce jeu, accompagné d’une mise en espace et d’un jeu d’acteurs marqué par quelques exagérations théâtrales volontaires qui accentuent les propos. Dans ces premières pièces, chaque pupitre de l’orchestre déploie une sonorité distincte, conférant à l’ensemble une richesse corsée et pleine de caractère, notamment les cordes.

Julien Chauvin reprend le micro pour évoquer une pratique historique méconnue : celle d’applaudir au cœur d’une pièce, à la manière des concerts de jazz, lorsqu’une interprétation est appréciée. Le 2e mouvement de la Symphonie concertante n° 4 pour flûte, hautbois, basson et cor de François Devienne illustre cette coutume. Ce genre musical, très prisé entre 1775 et 1780, permettait à chaque instrumentiste de briller par son virtuosité. Ainsi, Tami Krausz, Emma Black, Javier Zafra et Felix Roth offrent chacun une prestation éclatante.

La suite du programme inclut des airs extraits de La Clémence de Titus de Gluck et de L’Enlèvement au sérail de Mozart, interprétés avec brio par Sandrine Piau, Sulkhan Jaiani et Florie Valiquette. Puis vient le Concerto pour clarinette de Mozart, magnifiquement joué par Nicolas Baldeyrou sur une clarinette de basset, reconnaissable à son pavillon d’amour.

A l’Opéra de Paris, Castor et Pollux au paradis des hippies

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La deuxième Tragédie lyrique  de Jean Philippe Rameau fut créée en 1737 et, trente ans plus tard, inaugura le nouveau théâtre construit par Gabriel pour le mariage du dauphin avec Marie-Antoinette. 

Le récit mythologique met en scène Castor et Pollux nés d’une même mère, la déesse Léda. L’un est mortel, l’autre pas. Le premier a été tué au combat, le second, fils de Jupiter, descend aux Enfers afin de ramener son frère à la vie à condition qu’il prenne sa place au royaume des morts. Pollux se sacrifie mais Castor s’engage à le rejoindre à l’issue d’une journée sur terre. Les dieux touchés d’un tel amour, rendent les Dioscures immortels et les métamorphosent en étoiles- les Gémeaux. 

En symétrie inversée, Télaïre fille du soleil aime Castor et est aimée de Pollux tandis que Phébé, princesse de Sparte, aime Pollux et tente de le détourner de sa rivale.

Ici, la version d’origine avec Prologue aurait été choisie de préférence à celle de 1754 plus courte et plus souvent représentée (en 2014  au T.C.E. ou à Lille et Dijon dans une remarquable mise en scène de Barrie Kosky).  L’intrigue qui nous est présentée est néanmoins remaniée, empruntant certains éléments à la seconde version et en modifiant d’autres. Mais, le décalage le plus important concerne  le propos central de la tragédie quelle qu’en soit la version.

Pour le librettiste Pierre-Joseph Bernard et pour Rameau, la question cruciale est celle du passage de la condition humaine à la divinisation à travers la mort - sujet abordé  soixante ans plus tôt par les tragédies lyriques de Lully, Thésée et Alceste, admirées du compositeur.

Pour le metteur en scène Peter Sellars, l’enjeu est différent : « il s’agit de montrer comment mettre fin à la guerre ». Ainsi a-t-il rétabli le Prologue parce que « la guerre détruit » et que l’amour répare. « Nous avons besoin de nouvelles étoiles et de diverses lumières. Chaque être humain doit briller de tout son éclat. », précise-t-il, guirlandes de lucioles à l’appui.

Zubin Mehta et les Wiener Philharmoniker dans une poignante Neuvième de Bruckner

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Le 30 août 1969, cinq jeunes musiciens, parmi les plus talentueux de leur génération et qui allaient confirmer les espoirs placés en eux par d’exceptionnelles carrières internationales, se retrouvent à Londres pour une mémorable Truite de Schubert. Le cinéaste Christopher Nupen immortalise le concert, et réalise à cette occasion un film qui montre toute l’insouciance et la joie de vivre de ces musiciens capables d’une interprétation aussi profonde et aboutie. Quatre d’entre eux avaient la vingtaine : le pianiste Daniel Barenboïm (26 ans), le violoniste Itzhak Perlman (24 ans), l’altiste Pinchas Zukerman (21 ans), et la violoncelliste Jacqueline du Pré (24 ans). Le contrebassiste, Zubin Mehta, était sensiblement plus âgé (33 ans). Dans les décennies suivantes, ils allaient se retrouver régulièrement, en diverses formations, y compris après le décès de Jacqueline du Pré en 1987.

Plus d’un demi-siècle plus tard, l’aîné et le benjamin se retrouvaient au Théâtre des Champs-Élysées. Depuis 1969, Pinchas Zukerman a continué de jouer, au violon, en Duo avec Itzhak Perlman, en Sonate et en Trio avec Daniel Barenboïm et Jacqueline du Pré. Zubin Mehta, lui, en tant que chef d'orchestre cette fois, les a, tous, souvent accompagnés. 

S’il est devenu un vieux monsieur qui marche difficilement et doit se tenir assis sur une chaise haute pour diriger, il a conservé toute sa vivacité de geste et d’esprit. Il a donné tout le concert par cœur, y compris le Concerto de Mozart.

Ce Concerto, c’était le Troisième, en sol majeur, un des plus populaires des cinq que Mozart a écrit pour violon (tous la même année : 1775), et peut-être le plus original. Avec un effectif relativement réduit (24 cordes), l’Orchestre Philharmonique de Vienne a une sonorité de rêve. Et quels musiciens ! Ils jouent Mozart avec une telle spontanéité... À regarder jouer les violonistes, on se dit qu’ils seraient tous, jusqu'au dernier pupitre, capables de jouer en soliste ce Concerto. Pinchas Zukerman joue très court d’archet, avec un vibrato généreux ; il n’hésite pas à placer quelques ports de voix. Visiblement, l’évolution de l’interprétation ces cinquante dernières années ne l’a pas beaucoup touché ! C’est bien entendu son droit le plus strict. Il faut avouer, cependant, que sa sonorité est par moments quelque peu écrasée, et que son jeu n’est pas toujours d’une finesse exemplaire. Mais que de vie dans son archet ! Et la variété de ses attaques est remarquable.

Le Stabat Mater de Pergolèse au Théâtre des champs Elysées

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Le Poème harmonique de Vincent Dumestre donnent au Théâtre des Champs Elysées une représentation du Stabat Mater de Pergolèse. Pour mieux saisir l’atmosphère de son époque, quelques œuvres du XVII siècle, ont été ajoutée,   à savoir :  l'Intonation d’un Stabat Mater d’un compositeur inconnu, une tarentelle « Mo’e benuto il Giovedi Santu » d’un autre compositeur anonyme, le Stabat Mater du Manuscrit de Monopoli, le Concerto per quartetto numéro 1 en Fa mineur de Francesco Durante et le Stabat Mater du Manuscrit d’Ostuni. Toutes ces partitions précédent l’ultime chef d’œuvre de Pergolèse.

Est-ce le hasard de la programmation qui fit que le spectacle était divisé entre une première partie orientée vers les voix masculines, à savoir du Stabat Mater initial jusqu’à celui du manuscrit d’Ostuni, et une seconde vers les voix féminines avec le Stabat Mater de Pergolèse ? En tous cas, le spectacle commença fort bien était fort avec le l’Intonatione du Stabat Mater initial, duo a capella dans lequel Serge Goubioud et de Hugues Primard purent exprimer leur souplesse vocale. Il continua avec la Tarentelle, durant laquelle les musiciens entrèrent dans la salle en passant au milieu des spectateurs, Puis ce fut le Stabat Mater du manuscrit de Monopoli, talon d’Achille du spectacle, dans lequel Serge Goubioud, Hugues Primard et leur confrère baryton Emmanuel Vistorky cherchaient en vain la vitalité de cette œuvre quasi monocorde.

Christian Thielemann, la musique avant tout

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C’est l’un des chefs d’orchestres les plus célèbres de notre temps, mais c’est aussi l’un des plus discrets en dehors des podiums. Alors qu’il fait paraître un album avec les deux concertos pour piano en compagnie d’Igor Levit (Sony) et qu’il vient de terminer les célébrations bruckeriennes de 2024, Christian Thielemann s’entretient avec notre collègue Nicola Cattò du magazine italien Musica et Secrétaire général du jury des ICMA que nous remercions vivement de nous permettre de proposer à nos lecteurs cette interview. 

Vous aviez déjà enregistré à la Staatskapelle de Dresde les concertos pour piano de Brahms avec Maurizio Pollini. (DGG) et vous faites paraître, cette fois avec les Wiener Philharmoniker et Igor Levit, une nouvelle version.  Quelles sont les principales différences entre ces deux enregistrements ?

Les orchestres sont assez similaires dans leur approche de Brahms ; les personnalités des pianistes changent. Pollini, qui était plus âgé, était un pianiste très expérimenté et arrivait aux concerts très détendu : je n'avais jamais travaillé avec lui auparavant, je le respectais beaucoup, et l'orchestre répondait très bien à ses indications. Son approche était plus analytique que celle d'Igor [Levit], qui a tendance à être plus romantique : un choix tout à fait légitime.

Le deuxième concerto de Brahms est peut-être le plus difficile du grand répertoire en raison de la relation entre le soliste et le chef d'orchestre.

Certes, il faut bien se connaître : ni Igor, ni Pollini, ni moi ne nous sommes parlé avant les répétitions, nous ne nous sommes pas rencontrés pour discuter en profondeur de la théorie. Nous avons commencé à jouer et à voir comment nous nous débrouillions ensemble : une collaboration fonctionne ou ne fonctionne pas, il n'y a pas de juste milieu. C'est toujours une aventure, même avec les chanteurs : quand vous faites une répétition, il arrive que vous ayez en face de vous des artistes que vous ne connaissez pas du tout. Alors je leur dis toujours : vous me regardez, je suis à l'écoute, et on voit comment la relation fonctionne. Certains de mes collègues aiment parler aux solistes, ils demandent des répétitions au piano... : cela m'est égal, seul le moment du concert compte. Bien sûr, il faut choisir les bonnes personnes, mais sans fermer la porte : et attention, cela n'a rien à voir avec la qualité des personnes. Il peut arriver que deux excellents artistes ne travaillent pas bien ensemble, que le bon feeling ne se dégage pas.

En Allemagne, Igor Levit est un artiste qui s'exprime ouvertement sur les questions politiques et sociales, alors que vous estimez que celles-ci doivent rester séparées de la musique. Pensez-vous toujours la même chose ?

Igor et moi sommes des amis très proches et, en privé, nous parlons de nombreux sujets, mais pas de politique : personne n'a jamais jugé les opinions de l'autre. Personnellement, je n'ai jamais ressenti le besoin de m'exprimer sur des sujets politiques, car le risque de malentendu est trop élevé, et d'ailleurs Igor reçoit beaucoup de messages critiques et agressifs : il s'en plaint, mais je lui dis toujours que c'est de sa faute, qu'il s'expose trop. À sa place, je ferais plus attention.

Poursuivons avec Brahms : ces dernières années, certains chefs ont eu tendance à proposer sa musique avec des formations plus légères, comme l'orchestre de Meiningen. Qu'en pensez-vous ?

Dans presque tous les cas de l'histoire de la musique, les compositeurs n'ont jamais été vraiment satisfaits des conditions d'exécution qui leur étaient offertes : Wagner a fait construire des tubas wagnériens et s'est plaint de la qualité de l'orchestre, Brahms aurait certainement voulu un orchestre plus grand et au son plus profond. Un orchestre aussi grand que le Philharmonique de Vienne, avec beaucoup de cordes, peut bien sûr jouer piano et pianissimo: et un tel pianissimo est une chose merveilleuse en raison de la qualité du son, en particulier au Musikverein, où nous avons enregistré ce disque. C'est aussi parce qu'Igor a apporté son propre instrument et qu'il s'est senti chez lui : pour moi, c'est un plaisir de jouer du piano dans un grand orchestre, c'est d'une beauté unique. Pensons aussi qu'il y a 140 ans, un fortissimo avait un poids différent, les instruments de l'époque n'étaient pas aussi puissants que les nôtres, si perfectionnés sur le plan technologique : le fortissimo n'est pas seulement une indication du volume, mais aussi de l'intensité du son. L'important est de ne jamais couvrir le soliste instrumental ou le chanteur : si l'un d'eux a moins de voix, l'orchestre doit être réduit.

Vous avez décrit la musique de Brahms comme étant essentiellement mélancolique.

Je ne sais pas si vous êtes déjà allé à Hambourg en novembre, lorsqu'il pleut légèrement et abondamment, qu'il fait sombre et froid à quatre heures de l'après-midi : peut-être avez-vous voyagé en train jusqu'à l'île de Sylt, au milieu d'un paysage plat et cristallisé. C'est le début de la quatrième symphonie: pas trop de feu, mais quelque chose de calme, de méditatif. Mais cette absence de soleil et de chaleur n'exclut pas les plaisirs de la vie : une fois que, comme les vieux trains à vapeur, nous prenons de la vitesse, nous assistons à quelque chose de bouleversant. Brahms peut être d'une intensité brutale, et sa musique a toutes les couleurs, de la mélancolie à la force débridée.

Giampaolo Bisanti, face à Tristan und Isolde 

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Événement à l’opéra royal de Liège avec une nouvelle production de Tristan und Isolde de Wagner sous la direction de son directeur musical Giampaolo Bisanti.  Cela fait 99 ans que la partition n’a pas été présentée à Liège (dernière représentation le 26 mars 1926). Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec le maestro qui nous explique son rapport à ce chef d'œuvre.  

Diriger Tristan und Isolde, n'est-ce pas un absolu pour un chef d'orchestre ? 

Diriger les œuvres de Wagner, en particulier Tristan und Isolde, est une expérience à la fois exaltante et extrêmement exigeante. C'est comme plonger dans un océan de sonorités infinies, où chaque nuance, chaque respiration musicale porte une signification profonde. 

Tristan und Isolde est particulièrement emblématique de cette complexité, mais la satisfaction d'interpréter une telle œuvre est immense. L’orchestration de Wagner est d'une complexité telle qu'elle demande une maîtrise absolue de la partition, une compréhension profonde de l'harmonie et une vision très personnelle de l'œuvre. Chaque instrument, chaque voix doit trouver sa place dans un ensemble colossal, pour créer une atmosphère unique et envoûtante. L'harmonie wagnérienne, avec ses chromatismes et ses modulations audacieuses, repoussait les limites du langage musical de son époque. Pour un chef d'orchestre, c'est un défi passionnant que de donner vie à cette musique si riche et si dense.

Il y a indubitablement dans cette partition, une sorte de transe extatique, en particulier à l'acte II. Dès lors, comment canaliser cette énergie de sentiments ? 

Le deuxième acte présente sans aucun doute des pages musicales très inspirées et d'une grande portée émotionnelle pour les interprètes et l'auditeur. Le chef d’orchestre, dans ce cas, doit être un peu comme le sculpteur d'un bloc de marbre qui révèle peu à peu la beauté cachée au cœur de la partition. La communion avec les musiciens et le public, lorsque tout fonctionne à la perfection, est une expérience inoubliable. C'est un moment où l'art et l'émotion se mêlent pour créer une magie unique.

Dans une récente interview, Christian Thielemann déclarait à propos de Wagner : "sa musique est d'une telle intensité qu'on ne peut y échapper : ceux qui prétendent détester sa musique font preuve d'un amour déçu pour elle.". Qu'en pensez-vous ? Peut-on dire que si on déteste Wagner c'est les suites d'un amour déçu avec sa musique ?  

Je ne pense pas qu'on puisse détester un musicien ou un compositeur. La haine est un mot que je n’associerais jamais à la musique. 

Bon anniversaire, Sir Simon Rattle ! Et, surtout : merci !

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C’est à un concert en deux parties bien distinctes que nous conviait le London Symphony Orchestra (LSO) sous la direction de Simon Rattle, à la Philharmonie de Paris. La première était consacrée à des compositeurs britanniques récents : Michael Tippett (1905-1998) et Mark-Anthony Turnage (né en 1960), et la seconde à Ludwig van Beethoven (1770-1827).

Bien que sa carrière de compositeur ait commencé assez tard, puisqu’à l’âge de 30 ans Michael Tippett a détruit toutes ses partitions précédentes, elle s’étend tout de même sur 60 années. On a l’habitude de les considérer en quatre périodes distinctes. Son opéra The Midsummer Marriage (littéralement « Le mariage du solstice d'été », mais souvent traduit « Le mariage de la Saint-Jean »), d’où sont extraites les Ritual Dances de ce concert, a été écrit dans les années d’après-guerre. Il appartient à la seconde période, et porte l’influence manifeste de sa découverte du célèbre psychiatre Carl Gustav Jung. Auparavant, il avait été successivement athée, communiste puis pacifiste (ce qui lui vaudra un séjour en prison en 1943 – mais ne l’empêchera pas d’être anobli en 1966). 

Ces quatre danses reprennent les quatre saisons, et mettent en scène Strephon, danseur qui ne parle, ni ne chante. Dans les trois premières danses, il est pourchassé par une danseuse. Tous deux apparaissent sous différentes formes animales, et la musique décrit ces poursuites : respectivement, un lièvre par un chien de meute (La Terre en automne), puis un poisson par une loutre (Les Eaux en hiver), et enfin un oiseau par un faucon (L’Air au printemps). La quatrième danse (Feu d’été) est sous-titrée Le Sacrifice humain volontaire : Strephon reprend son apparence de danseur et s’autosacrifie par le feu.