Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Bon anniversaire, Sir Simon Rattle ! Et, surtout : merci !

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C’est à un concert en deux parties bien distinctes que nous conviait le London Symphony Orchestra (LSO) sous la direction de Simon Rattle, à la Philharmonie de Paris. La première était consacrée à des compositeurs britanniques récents : Michael Tippett (1905-1998) et Mark-Anthony Turnage (né en 1960), et la seconde à Ludwig van Beethoven (1770-1827).

Bien que sa carrière de compositeur ait commencé assez tard, puisqu’à l’âge de 30 ans Michael Tippett a détruit toutes ses partitions précédentes, elle s’étend tout de même sur 60 années. On a l’habitude de les considérer en quatre périodes distinctes. Son opéra The Midsummer Marriage (littéralement « Le mariage du solstice d'été », mais souvent traduit « Le mariage de la Saint-Jean »), d’où sont extraites les Ritual Dances de ce concert, a été écrit dans les années d’après-guerre. Il appartient à la seconde période, et porte l’influence manifeste de sa découverte du célèbre psychiatre Carl Gustav Jung. Auparavant, il avait été successivement athée, communiste puis pacifiste (ce qui lui vaudra un séjour en prison en 1943 – mais ne l’empêchera pas d’être anobli en 1966). 

Ces quatre danses reprennent les quatre saisons, et mettent en scène Strephon, danseur qui ne parle, ni ne chante. Dans les trois premières danses, il est pourchassé par une danseuse. Tous deux apparaissent sous différentes formes animales, et la musique décrit ces poursuites : respectivement, un lièvre par un chien de meute (La Terre en automne), puis un poisson par une loutre (Les Eaux en hiver), et enfin un oiseau par un faucon (L’Air au printemps). La quatrième danse (Feu d’été) est sous-titrée Le Sacrifice humain volontaire : Strephon reprend son apparence de danseur et s’autosacrifie par le feu.

Beethoven et Bruckner à Monte-Carlo

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On retrouve le chef d'orchestre franco-suisse Bertrand de Billy pour le premier concert symphonique de l'année de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo sur la scène de l’Auditorium Rainier III Monte-Carlo

Le Trio Zeliha composé de la violoniste Manon Galy, du violoncelliste Maxime Quennesson et du pianiste Jorge González Buajasán interprètent en première partie le Triple concerto de Beethoven. Ces jeunes trentenaires sont tous vainqueurs de concours internationaux et ont également une carrière de solistes. Ils s'étaient produits à Monte-Carlo en 2020, en pleine pandémie du Covid, à leurs débuts pour un concert de musique de chambre. Ils avaient programmé le Trio des esprits et le Trio archiduc de Beethoven.  Jorge González Buajasán avait donné un an plus tard une superbe interprétation du Concerto n°1 de Chopin avec l'OPMC sous la direction de Stanislav Kochanovsky. 

L'originalité du Triple concerto de Beethoven réside dans l'art d'équilibrer le détail de la musique de chambre et concertante, un étonnant mélange d’intimité et de déferlement orchestral. Beethoven n'a pas écrit de concerto pour violoncelle mais dans le triple concerto, le violoncelle à la partie privilégiée. Maxime Quennesson entretient un dialogue poétique avec le violon de Manon Galy et avec le piano majestueux de Jorge González Buajasán quand il joue en duo.  Et quand Quennesson joue seul, il est transpercé par son violoncelle. Bertrand de Billy, l'OPMC et les solistes ont une communication immédiate.

Le public est charmé par l'enthousiasme, l'ardeur, la musicalité, l'énergie vibrante, la virtuosité et la présence scénique du jeune trio. Après une ovation, ils donnent en bis le “rondo all'ongarese" du Trio n°39 de Haydn.

A Genève, un Orchestre de Chambre de Lausanne insolite

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Christian Immler
Photo: Marco Borggreve

Durant cette saison 2024-2025, l’Orchestre de la Suisse Romande, occupé par les répétitions de Salome au Grand-Théâtre de Genève, invite l’Orchestre de Chambre de Lausanne à se produire deux fois au Victoria Hall en l’espace de quinze jours.

Le premier programme aurait dû comporter les Six Monologues de Jedermann de Frank Martin, remplacés au cours de ces dernières semaines par les Kindertotenlieder de Gustav Mahler. Le baryton-basse Johan Reuter aurait dû en être l’interprète. Tombé malade, il est remplacé au pied levé par Christian Immler, interprète chevronné du lied, actuellement professeur à la Kalaidos Fachhochschule de Zürich.

L’Orchestre Simón Bolívar et Gustavo Dudamel à la Philharmonie : tout pour la fête !

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Au départ, il y a El Sistema, « Le Système », né en 1975 (on fête donc cette année son cinquantenaire). Il s’agit, nous dit le livret distribué pour les deux concerts donnés à la Philharmonie par son orchestre phare et son chef emblématique, d’un « programme d’une ampleur inégalée, désormais un véritable modèle pédagogique élargi à près de soixante-dix pays, a permis d’offrir une formation musicale gratuite à plus d’un million d’enfants et de jeunes au sein de 443 centres et 2351 modules d’enseignement répartis sur l’ensemble du territoire vénézuélien. »

Sur scène, il y a donc l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar, dirigé par celui qui en a pris les rênes en 1999 (lui-même issu de ce fameux El Sistema) et qui est devenu, depuis, incontestablement une star : Gustavo Dudamel.

Quant à la déclinaison française de ce programme vénézuélien, il s’agit de Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale), dont on fête cette année les 15 ans, et qui a déjà bénéficié à plus de 10 000 enfants de 7 à 12 ans.

Deux concerts étaient donc proposés : le samedi soir, avec des œuvres de José Antonio Abreu, le fondateur d’El Sistema (et professeur de Gustavo Dudamel, qui dit avoir tout appris de lui), et la Troisième Symphonie de Gustav Mahler ; et le dimanche après-midi, dont il sera question ici.

Avant même que le concert ne commence, il y a un air de fête. Tout d'abord, nous sommes accueillis, dans le hall, par des sonneries de cuivres, qui semblent venir du ciel... En montant au premier balcon, on découvre, sur la coursive qui donne sur le hall, huit musiciens de l’orchestre, en frac, qui jouent à intervalle régulier une courte (et impressionnante) fanfare. 

Et puis, dans la salle, il y a une atmosphère particulière. Moins feutrée que d’habitude. Sur scène, il y a de quoi installer une bonne centaine d’instrumentistes. L’entrée de Gustavo Dudamel déchaîne aussitôt l’enthousiasme.

A la Philharmonie de Paris : London Calling

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Boulez, Benjamin, Brahms. Triple B pour une soirée avec un grand S, et un casting anglo-saxon cinq étoiles : Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra, avec une certaine Barbara Hannigan en guest. Bref, la promesse d’un sacré moment.

Boulez joué à domicile 

Eclat (1965) était la première pièce donnée ; une petite dizaine de minutes de travail sur les timbres, avec quinze instruments. Et rien que pour entendre glockenspiel, harpe, célesta, mandoline et cymbalum sur la même scène, ça vaut le détour. L’une des nombreuses spécificités de ce morceau réside quand même, il faut le dire, dans la circulation imprévisible du son, qui erre nerveusement de pupitre en pupitre, sans que l’on ait toujours le temps d’identifier quel instrument joue. Expérience singulière, vous en conviendrez, que de voir des timbres aussi irréductibles se confondre. On aurait tout de même apprécié un calme olympien pour cette dentelle sonore – on eut plutôt droit à cinquante nuances de raclement de gorge. Indice de l’intérêt éprouvé par le public ? Joker.

Picture an evening like this 

Quoiqu’il en soit, après ce Boulez bien ardu, on avait soif de phrases juteuses. Arriva à point nommé l’Interludes and Aria de George Benjamin, pièce d’une vingtaine de minutes pour orchestre et soprane créée quelques jours plus tôt à Londres (tirée en réalité de l’opéra Lessons in Love and Violence du même compositeur). Ce morceau trouble, étrange, faisait émerger en son milieu une litanie sauvage exécutée par une Barbara Hannigan transie et bluffante. Un récitatif qui déborde rapidement son propre cadre, à coup de soubresauts, dans une ligne vocale (on n’oserait dire mélodique) folle et heurtée, mais fascinante malgré tout. Au global, la performance reste, même dans les passages purement orchestraux, une expérience étrange et déconcertante. Si vous connaissez le duo Benjamin/Crimp, vous ne serez pas surpris.

Fazil Say, l’insoumis bien tempéré ?

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Il est difficile, voire impossible, d’assister à un récital de ce grand artiste turc (qui atteignait précisément hier sa cinquante-cinquième année) et de rester impassible face au flot d’émotions et de visions incantatoires qu’il nous procure avec une véhémence et exaltation majeures. Le public bariolé, et bien plus jeune que d’habitude, rassure quant à la pérennité d’une audience s’intéressant à un type d'événement qu’on considère trop légèrement comme une relique du passé. Et l’interprète de génie abordant un colosse de l’histoire de la musique tel que les Variations Goldberg, transcende toute considération de « style », d’« académisme »  ou de « rigueur » pour nous plonger dans un monde absolument personnel, subjectif, fait de trouvailles sonores, de richesse et engagement rythmique ou de recherches sur l’architecture harmonique de l’œuvre, à tel point qu’il nous a semblé presque écouter une pièce jamais entendue auparavant. 

Si l’on se cantonne aux critères dits « historiques », aux habitudes d’interprètes certainement prestigieux et confirmés, on pourrait sûrement dire que Fazil Say est un iconoclaste cherchant l’originalité à tout prix. Rien à voir avec la mesure, la distinction ou l’ascèse qu’une Rosalyn Tureck, au piano, ou un Gustav Leonhardt, au clavecin, ont érigé en critère fondateur de l’interprétation moderne du grand Johann Sebastian. Si l’on se réfère, cependant, à un Sviatoslav Richter ou au jeune Jean Rondeau dans leurs respectifs instruments, on va se retrouver déjà sur des chemins détournés, sur des recherches novatrices et surtout foncièrement personnelles menant la sensibilité de l’auditeur vers des terres inconnues. Say surprend encore davantage, et provoque peut-être certains auditeurs. Mais si l’on analyse sa lecture extrêmement rigoureuse de la partition, on ne pourra jamais affirmer que, en soulignant obsessivement des éléments rythmiques, en affirmant l’évidente tension des certaines marches harmoniques ou les dissonances hardies du contrepoint, il ne fasse preuve de la moindre velléité d’arbitraire ou de recherche de l’originalité à tout prix. Il se distingue, sans nul doute, de tous les autres exécutants, mais je reste convaincu que sa vision répond à une sincérité de propos et à une vérité personnelle absolument irréfutables. Et que les critères de « objectivité » qu’un Maurizio Pollini prétendait défendre jadis, cherchant à se prémunir de la subjectivité du pianiste, resteraient pâles devant ce déferlement d'individualité, de tempérament certes, mais fondamentalement éloigné de la moindre afféterie, superficialité ou caprice. 

Recette d’un gala idéal : l’exemple de la 5eme édition des beautés de la danse 

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Ce dimanche 12 janvier, à La Seine Musicale, se pressaient  beaucoup d’enfants venus assister à la 5ème édition du gala nommé, à juste titre, “les beautés de la danse”. 

Nous vous dévoilons la recette pour un gala aussi réussi. 

Pour un bon gala il faut…. 

Des stars 

Un savant équilibre entre étoiles parisiennes, jeunes talents et star internationales sera à rechercher. 

On retrouve avec plaisir Bleuenn Battistoni, Dorothée Gilbert, Hugo Marchand et Paul Marque étoiles de l’Opéra national de Paris, accompagné de Inès McIntosh et Shale Wagman deux jeunes talents de la même maison. 

S'ajoutent à cela des stars internationales : Olga Smirnova, ancienne étoile du Bolchoï, désormais étoile au Het National Ballet d’Amsterdam. Mayara Magri et Matthew Ball sont deux étoiles du Royal Ballet de Londres. Victor Caixeta, soliste du Mariinsky désormais étoile du Dutch National Ballet. Esteban Berlanga étoile au Ballett Zürich et Michelle Willems première danseuse au Staatsballett de Berlin. 

De la technique 

Pour en mettre plein la vue et motiver les jeunes danseurs à retourner à la barre dès le lendemain. 

Les sauts ont la part belle chez les hommes, Shala Wagman s’illustre parfaitement dans ces exercices techniques : il semble rester suspendu quelques secondes dans les airs à chaque saut ! 

Les tours sont également des pas de bravoure : Shale Wagman se fait à nouveau  remarquer par sa suspension en fin de pas, Paul Marque propose des tours à la seconde sautés plus que bluffants. 

Chez les filles, ce sont les terribles fouettés qui sont guettés (le jeu du public est de les compter) : Inès McIntosh en propose deux séries et Bleuenn Battistoni s’y confronte aussi. 

Les portés sont également un passage obligé, on retient notamment ceux des Trois Gnossiennes assurés à merveille par Hugo Marchand.  

Les danseurs nous montrent aussi leurs belles qualités : la souplesse de Michelle Willems que l’on admire dans Orlando et les pieds de Mayara Magri. 

Intrinsèque à la technique, il faut aussi quelques cafouillis parfaitement rattrapés (pour rappeler aux jeunes que oui, les danseurs sont bien humains) et un claqueur qui lance les applaudissements. 

De l’émotion et de la sensualité 

Pour l’émotion c’est sans aucun doute Dorothée Gilbert et son illustre mort du cygne qui marquera les esprits. Dans une chorégraphie où les bras sont essentiels, elle semble cygne jusqu’au bout des doigts. Un instant suspendu où même le claqueur met une petite seconde pour lancer ses applaudissements. 

Il faut aussi un passage un peu sensuel, plus néo-classique pour ravir les mamans dans la salle. C’est Esteban Berlanga qui s’en charge avec Casi Fado de Ricardo Franco. Sur quelques notes de guitare et une mélodie chantée, il instaure une atmosphère ibérique avec ses mouvements emblématiques : tapes du pied et bras en l’air. 

Vilde Frang et Leonidas Kavakos, dans Schumann et Beethoven : au-delà du violon, la musique

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La page de France Musique consacrée à la diffusion en direct de ce concert affiche : « Le violon en partage : Vilde Frang et Leonidas Kavakos ». L’idée est que, même si seule la première est venue jouer du violon, et que le second était là en tant que chef d'orchestre, il est lui-même violoniste, a souvent joué ce Concerto pour violon de Schumann, et ce point commun leur permet une certaine communion pour l’interpréter ensemble.

En effet, Leonidas Kavakos est violoniste, et d’immense talent. Tout comme Vilde Frang d'ailleurs, il est capable de passer de la virtuosité la plus ébouriffante à l’introspection la plus intérieure avec la même aisance apparente, et le même engagement émotionnel. Contrairement à d’autres instrumentistes qui deviennent chefs d'orchestre sur le tard, comme pour renouveler leur activité musicale, Leonidas Kavakos dirige depuis fort longtemps. Voilà déjà un quart de siècle qu’il prend régulièrement les rênes des orchestres les plus réputés, voire qu’il en est directeur musical.

Des trois concertos écrits par Schumann, celui pour violon est aussi mal aimé que les deux autres (piano et violoncelle) sont populaires. Son histoire est complexe (il n’a été publié qu’en 1938), et surtout il est réputé difficile autant à jouer et à diriger qu’à écouter. Et en effet, il est assez étrange. Composé à la toute fin de sa vie, en 1853, juste avant son internement en asile psychiatrique dont il ne se remettra jamais, il navigue entre beautés indicibles, répétitions qui ne prennent leur sens qu’avec le temps, passages d’une intimité intimidante... Son dédicataire, Joseph Joachim, avait refusé de le jouer. De fait, nous sommes bien loin des grands concertos romantiques que nous ont laissé Bruch (1866), Dvořák (1879) ou Brahms (1887), pour ne citer que les ouvrages également inspirés par, ou dédiés à Joseph Joachim, et qui parlent immédiatement aux interprètes comme aux auditeurs. Plus que jamais chez Schumann, cette œuvre exprime la dualité qu’il a lui-même formalisée, entre ses deux doubles : Eusebius le poète rêveur et introverti, et Florestan le héros tempétueux et passionné.

Gigenis, génie d’Akram Khan, entre traditions indiennes et modernité

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Akram Khan, chorégraphe britannique mondialement connu pour ses pièces contemporaines, propose une plongée dans ses origines indiennes avec Gigenis, the generation of the earth, donné au Théâtre des Champs Elysées en ce début d’année 2025. 

Mahâbhârata, un poème épique 

Akram Khan s’inspire d’une pièce mythologique qu’il connaît bien : Mahâbhârata dans laquelle il a joué un de ses premiers rôles, à 13 ans dans la mise en scène de Peter Brook. 

Cette fois, il choisit un extrait précis de ce poème épique : l’histoire d’une femme, veuve de son époux mort à la guerre et dont l’un des deux fils va également périr au combat. Elle repense aux étapes de sa vie, matérialisées dans le spectacle par une voix off qui revient à plusieurs reprises avec la même phrase : “j’étais une fille, une épouse et ensuite une mère”. 

Pour donner vie à ce passage mythologique, Akram Khan convoque une équipe d’artistes issus des traditions indiennes. 

Jyotsna Prakash se charge des compositions et arrangements musicaux. Les septs musiciens et chanteurs sont présents sur scène, à cour et à jardin. 

Zeynep Kepekli s’occupe des lumières qui subliment les corps et la narration.  

Les danseurs sont des solistes, professeurs, spécialistes des danses traditionnelles indiennes. Akram Khan est lui-même sur scène malgré l’annonce de son retrait en 2022, l’appel de cette pièce était trop fort. 

Papier à musique : Calligraphie debussyste

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Qui n’a pas rêvé d’avoir accès aux manuscrits des plus grands compositeurs, rêve devenu réalité dans une certaine mesure, depuis que les détenteurs de ces manuscrits acceptent qu’ils soient reproduits en tout ou partie. Sans dénier l’interêt de certains livres qui proposent des pages isolées de grands manuscrits, le musicien cherchera plutôt des fac-similé complets pour s’immerger totalement dans l’œuvre concernée et tenter d’en comprendre la gestation, une approche graphologique en quelque sorte, une approche pleine de surprises. Rien de nouveau dans le fait que le côté brouillon parfois indéchiffrable des manuscrits de Beethoven révèle une personnalité tourmentée et passionnée. On le savait. De même, l’écriture bien ordonnée de Jean-Sébastien Bach correspond parfaitement à la musique structurée qu’il nous a livrée. Mozart, plus difficile ; ça part dans tous les sens. Ravel, de belles pages d’écriture. Berlioz, Mahler, de parfaits reflets de l’instabilité de ces compositeurs. Et Debussy ? Plus besoin d’aller à la BNF, le manuscrit de La Mer est à présent disponible en fac-similé (Bärenreiter), accompagné d’une analyse de Denis Herlin et Mathias Auclair. Depuis l’époque des premières publications en fac-similé, les techniques de reproduction ont fait des progrès considérables, notamment les contrastes qui rendent lisibles les moindres détails. Et ils sont essentiels car Debussy aimait les pattes de mouches.

Le chef d’orchestre qui ouvre un tel volume commence par chercher les différences. Bien sûr les fanfares à la fin des Dialogues du vent et de la mer. Elles sont bien présentes dans le manuscrit original, mais elles avaient été supprimées dans la seconde édition qui a servi de référence pour la postérité et on les joue rarement aujourd’hui. J’ai eu la chance d’entendre Ansermet diriger La Mer à la fin de sa vie. Il les avait rétablies et m’avait expliqué que c’était le choix ultime de Debussy. Dont acte.