Hans Swarowsky, un nom à redécouvrir 

par

Il est des noms que l’on voit passer dans des biographies sans savoir comment les situer dans l’Histoire. Il en va ainsi du chef d’orchestre Hans Swarowsky. Il fut, avec Hermann Scherchen et Franco Ferrara, l’un des plus grands pédagogues de la direction d’orchestre de la Seconde moitié du XXe siècle. Claudio Abbado, Adam et Ivan Fischer, Giuseppe Sinopoli, Zubin Mehta, Mariss Jansons, Theodor Guschlbauer, Bruno Weil, Mario Venzago, Jésús López Cobos furent, entre autres, ses élèves….Mais Swarowsky fut aussi un pionnier sous de nombreux aspects et il est important de ne pas oublier son nom alors que paraît un coffret indispensable chez Profil. 

Hans Swarowsky voit le jour en 1899 en Hongrie. Sa mère est une actrice du Théâtre populaire de Vienne mais, né hors mariage dans une époque des plus prudes, l’identité de son véritable père resta inconnue, le musicien se plaisant à croire que son père puisse être l’Archiduc Otto François Joseph. Il étudie à Vienne avec rien moins que Richard Strauss, Felix Weingartner, Clemens Krauss, Anton Webern et Arnold Schoenberg. On retrouve dans cet aréopage qui lui enseigna la direction d’orchestre et la composition, déjà une forme d’intransigeance tant dans la défense des modernités que dans le retour au texte musical. N’oublions pas que Felix Weingartner fut l’un des pionniers de la fidélité aux sources ; il décapa Beethoven des sucs romantiques dans une intégrale des plus fascinantes. 

Le jeune homme baigne dans un climat intellectuel stimulant. Il a participé à la création de la Symphonie n°8 de Mahler dans le choeur d’enfants, et il est subjugué par les Gurrelieder d’Arnold Schoenberg au point de lui demander des cours particuliers. Un concert avec la Symphonie n°3 de Mahler lui donne définitivement l’envie de devenir chef d’orchestre. Cette oeuvre dont il possédait une partition annotée par Mahler lui-même, l’accompagna tout au long de sa vie. 

Sûr de sa vocation, il monte les échelons, à l’ancienne, passant de chef de choeur au Wiener Volksoper (1927), à Kapellmeister auprès du Landestheater de Stuttgart, (1932 à 1933) puis Musikalischer Oberleiter à Gera. La consécration vient dans les années 1930, avec sa désignation comme Staatkapellmeister à Hambourg puis à Berlin, au Staatsoper unter den Linden auprès de son mentor Clemens Krauss. Mais victime des tensions entre Heinz Tietjen, directeur des théâtres prussiens et figure majeure de la culture nazie, et Clemens Krauss, Swarowsky est sèchement licencié. Chassé d’Allemagne par les nazis, il s’installe en Suisse où il dirige à l’Opéra de Zurich entre 1937 et 1940. Mais faute de visa de travail, il retourne, dépité et sans le sous, en Allemagne où Clemens Krauss parvient, non sans peine, à le faire engager comme assistant et dramaturge à Munich et à Salzbourg. Il réalise alors, et avec une haute compétence, de nombreuses adaptations de livrets d’opéras. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il occupe des postes à Stuttgart et Cracovie. Des recherches récentes mettent en avant son rôle pour faire sortir du camp de Płaszów des Juifs et des résistants afin de les faire jouer dans le choeur et l’orchestre de Cracovie. Hans Frank, le gouverneur nazi, bourreau de la Pologne, aimait la musique et il souhaitait un orchestre du plus haut niveau, Swarowsky put ainsi avoir un moyen d’action. Fuyant l’avancée des Soviétiques, il fut caché en Bavière par Richard Strauss avant d’être dénazifié et de pouvoir reprendre ses activités professionnelles.   

Il revient à Vienne où il est nommé à la tête des Wiener Symphoniker (1945-1947) et à l’opéra de Graz (1947-1950). Dès 1946, il est désigné professeur de direction à l’Université de Vienne et on le retrouve également dans la fosse du Staatsoper de Vienne aux côté d’un Herbert von Karajan alors tout-puissant qui se plait à être épaulé par ce chef très compétent et flexible et qui ne cherche pas à lui faire de l’ombre. À la fin des années 1950, il s’occupe de la direction de l’Orchestre National d’Ecosse à Glasgow. 

Le travail  de Swarowsky sur le répertoire était impressionnant. Fidèle à l’oeuvre de Mahler, il est l’un des pionniers du revival de sa musique. Dès 1946, il dirige les Knaben Wunderhorn et le premier mouvement de la Symphonie n°3. En 1947, il conduit ses Wiener Symphoniker dans la Symphonie n°9. En 1949, il amorce avec son orchestre de Graz une intégrale radiodiffusée du cycle des neuf symphonies. Pour les auditeurs, ces concerts diffusés le dimanche matin sont une occasion d’entendre pour la première fois ces oeuvres alors déroutantes. Dans les années 1950 et 1960, il est un champion du compositeur, défendant ces symphonies à travers le monde et au fil de ses engagements  (Montréal, Tel Aviv, Los Angeles...). Fidèle invité des Wiener Symphoniker, il dirige chaque année une symphonie dans le cadre des concerts d’abonnement. La Symphonie n°3 reste sa préférée et elle est au programme du concert viennois du Centenaire Mahler. Le chef sera honoré d’une médaille d’or de la Société Internationale Mahler qui lui sera remise à Vienne, en 1974, à l’issue d’une interprétation de la Symphonie n°7. 

Mais Swarowsky fut également un pionnier dans la redécouverte de l’oeuvre de Joseph Haydn. À la fin des années 1940, il rencontre à Vienne le musicologue américain Howard Chandler Robbins Landon alors sous les drapeaux. Ensemble, ils éditent le dernier opéra de Haydn, Orfeo ed Euridice (L'Anima del Filosofo) dont il enregistre une intégrale. Le chef dirigeait également des symphonies et il en grava même quelques-unes. Il est frappant de constater la vivacité de l’approche loin du style néo-romantique pachydermique qui caractérisait alors ce compositeur. Du côté de Beethoven, Swarowsky a retenu les leçons de Weingartner et quand il entre en studios pour graver les Symphonies n°4 et n°8, il souhaite que ces interprétations soient les plus authentiques y compris dans le respect des indications métronomiques. On retrouve cette fidélité au texte dans des enregistrements de Bach. En 1966, il enregistre la Passion selon Saint-Matthieu au pupitre d’un petit orchestre et d’un chœur basés sur les enseignements d’une approche alors historiciste. Un orgue positif est même spécialement reconstitué pour cet enregistrement. En 1967, un Oratorio de Noël suivra selon ce même respect musicologique. Son exploration du répertoire est sans limites, à l’opéra il dirige aussi bien le Couronnement de Poppée de Monteverdi à l’opéra de Vienne que Cardillac de Paul Hindemith ou même Angélique de Jacques Ibert. En 1968, il enregistre, en studio et en seulement quatre semaines pour le label Westminster, le Ring de Wagner à Nuremberg. Pour cette occasion, l’orchestre est constitué de musiciens de la Philharmonie Tchèque et du Théâtre National de Prague : ces derniers ont pu bénéficier d’une autorisation de voyager pendant la courte période d’ouverture du Printemps de Prague. Les chanteurs requis étaient pour certains des grands noms de l’autre côté du Rideau de fer : Otto v. Rohr (Wotan) ou Nadezda Kniplova (Brünhilde). Si cette somme est bien oubliée, elle était alors la second enregistrement studio du cycle complet après celui mené par Georg Solti pour Decca.    

Élève de Schoenberg et Webern, Hans Swarowski fut un défenseur des modernités. Il dirigea à plusieurs reprises les Gurrelieder et tenta même de programmer une version de concert de Moses und Aron dans le cadre des Wiener Festwochen, mais le concert fut annulé car seuls 36 billets avaient été vendus. Mais le chef défendait autant Stravinsky, Bartók, Hindemith….

Hans Swarowsky était également un homme de son temps. Régulier des studios, il laisse près de 200 enregistrements. Fasciné par la télévision, il initia des retransmissions d’opéra et la télévision autrichienne lui confia une émission pédagogique “Lebendige Musik” où il expliquait et dirigeait les oeuvres. 

Décédé en 1975 des suites d’une maladie, le chef laisse des statistiques impressionnantes : 3100 concerts et représentations d’opéras en 50 ans de carrière et des cours à travers le monde qui ont contribué à l’éducation de près de 600 étudiants dont certains sont devenus de stars de la baguette. 

Swarowsky, omnipésent à Vienne au point d’y apparaître comme le directeur de la musique non officiel, était un produit autrichien d’exportation. En 1958, il fut invité à donner un cours de direction dans le cadre du Pavillon de l’Exposition universelle de Bruxelles. Le public pouvait ainsi le voir enseigner son art à travers les baies vitrées de la représentation autrichienne. Son influence est considérable : n’oublions pas qu’il dirigeait les Wiener Symphoniker quand le jeune Harnoncourt en était l’un des violoncellistes….Son exigence inspira le futur Pape de la musique baroque.  

Le site consacré à la mémoire de Hans Swarowsky : www.hansswarowsky.com

A écouter :  

Hans Swarowsky-The Conductor- Oeuvres de : Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Franz Schubert, Felix Mendelssohn, Gustav Mahler, Arnold Schönberg, Johannes Brahms, Richard Strauss, Richard Wagner, Johann Strauss, Josef Strauss. Solistes, orchestres, direction : Hans Swarowsky. 1952-1965-Livret en anglais et allemand. 1 coffret de 11 CD Profil. PH 18061

Crédits photographiques : DR

Pierre-Jean Tribot

    

  

Un commentaire

  1. Ping : Le chef d’orchestre Hermann Abendroth et les 3B (Beethoven, Brahms et Bruckner)  | Crescendo Magazine

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.