Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Le concert européen du Berliner Philharmoniker dans la nef du Musée d’Orsay

par

Depuis la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne, l’orchestre Philharmonique de Berlin investit chaque 1er mai un lieu phare du patrimoine culturel européen pour un concert hors-les-murs. Il commémore ainsi l’anniversaire de sa fondation. Cette année, l’Orchestre a choisi le Musée d’Orsay, succédant à l’Acropole d’Athènes, à l’église Sainte-Irène d’Istanbul ou au Palazzo Vecchio de Florence pour ne citer que ces lieux.

Sous la direction de Daniel Harding, l’Orchestre a proposé un programme extatique composé d’œuvre de Wagner, de Berlioz et de Debussy, sous le signe de l'amour : amour mystique et religieux, amour platonique, amour fusionnel… La plus grande partie du concert se déroule comme une succession d’harmonies envoûtantes dont l’ivresse musicale, dans une acoustique plus que généreux de la nef éclairée par une douce lumière du printemps à travers les verrières, devient presque léthargique. Placés entre les statues, les musiciens doivent adopter une configuration peu habituelle, comme les premiers violons et les contrebasses contournant La Liberté éclairant le monde de Frédéric-Auguste Bartholdi, fondue en 1889 en l’honneur du centenaire de la Révolution française d’après un prototype de la statut géante de New York (1886). Si, dans une salle de concert avec un acoustique précise, cette disposition devrait altérer sensiblement l’équilibre sonore, le grand espace du Musée d’Orsay, sous un très haut plafond, fait fondre et fusionner les sons, ce qui joue en faveur de ce programme. Autant dire que le choix est intelligent et ingénieux, parfaitement adapté au lieu.

Cinématographique : Les Hauts de Hurlevent de Bernard Herrmann à Nancy

par

Non, mon titre n’est pas une facilité d’écriture liée au « pédigrée » de l’auteur de l’opéra, il précise assez exactement ce que les spectateurs de l’Opéra de Nancy ont entendu et vu à l’occasion de la « première scénique française » des « Hauts de Hurlevent » de Bernard Herrmann (1911-1975).

Il est vrai que celui-ci s’est imposé comme compositeur de musiques de films : les BO des Hitchcock, c’est lui, de même que celles de « Citizen Kane » de Welles, « Farenheit 451 » de Truffaut, « Taxi Driver » de Scorsese et tant d’autres. Des partitions qui rencontraient et amplifiaient les univers de grands cinéastes.

À Genève, un chef pour Chostakovitch

par

Pour son premier concert après sa longue tournée en Extrême-Orient, l’Orchestre de la Suisse Romande invite David Afkham, jeune maestro d’origine iranienne né à Freiburg-in-Brisgau qui, depuis 2014, est le premier chef de l’Orchestre National d’Espagne et qui en deviendra le directeur artistique à partir de septembre 2019.

Son programme commence par un classique de Beethoven, le Troisième Concerto en ut mineur op.37, qui a pour soliste le pianiste israélo-palestinien Saleem Ashkar dont le jeu précis qui se veut consistant paraît bien vite boursouflé et sans âme face à un tutti massif qui, Dieu sait pourquoi, inclut dix premiers et dix seconds violons et les cordes graves par huit. Dans le Largo pris ‘lentissimo’, le canevas s’irise de demi-teintes que le piano incorpore sporadiquement avant de livrer une ‘cadenza’ trop oratoire et un rondò articulé à l’extrême avec des arpèges à l’arraché et une stretta bousculée par un tempo trop rapide. En bis, une Träumerei des Kinderszenen de Schumann qui s’empreint furtivement d’un brin de poésie !

Un West-Side Story trop classique de Barrie Kosky au Komische Oper

par

Créée en 2013, cette production du chef d’œuvre de Leonard Bernstein était très attendue. En effet, le Directeur Artistique maison (Intendent) de la Komische Oper Berlin est un des grands noms actuels de la mise en scène lyrique. On l’avait remarqué notamment dans ses opéras et oratorios baroques :  Saul à Glydebourne en 2015, et deux opéras de Rameau à Dijon Castor et Pollux en 2014 et des Boréades toutes récentes en Mars dernier. Place aujourd’hui au « musical » West-Side Story, qui est avant tout un chef d’œuvre du XXe siècle, un vrai de vrai.

La scène s’ouvre sur un plateau vide, où les Jets et les Sharks s’affrontent autour d'un ballon de basket. Le théâtre est comme mis en abîme, puisque l’on aperçoit en fond de scène des éléments de machinerie mis à nus. Cet aspect brut colle bien avec ce que Kosky développe dans certaines de ses interviews : Ce dernier n’est pas dans l’optique de réinventer le théâtre, mais de le transcender lui-même, d’en faire sentir la chair et le sang. Il y a en effet un côté brut, animal, dans cette version du West-Side de Bernstein et Sondheim, donné notamment grâce aux muscles saillants et aux tatouages des Sharks. L'onirisime pointe aussi, au moment où des dizaines de boules à facettes descendent sur scène lors du Mambo, mais illuminant surtout le Cha-Cha qui suit, figurant la rencontre entre Maria et Tony.

Paavo Järvi, à l’heure suisse

par

Paavo Järvi, directeur musical désigné du Tonhalle-Orchester Zürich, était en concert dans le cadre du Beethoven Festival de Varsovie avec un programme démonstratif qui associait Messiaen à Beethoven. Alors qu’il venait juste de présenter sa première saison comme directeur musical de l’Orchestre suisse, le chef répond aux questions de Crescendo Magazine.

Vous dirigez, pour ce concert du Beethoven Festival, l’Ascension d’Olivier Messiaen, compositeur dont vous venez de terminer l’enregistrement d’un album (RCA). Quel est pour vous la place de Messiaen dans l’Histoire de la musique française ?

Pour moi, Messiaen est l’une des voix musicales les originales dans l’histoire de la musique française du XXe siècle. Il y a bien sûr Maurice Ravel et Claude Debussy, qui sont des incontournables, mais après eux la figure de Messiaen est extrêmement importante. Beaucoup de musiques qui ont été composées dans le milieu du XXe siècle sonnent “datées” à nos oreilles, mais ce n’est absolument pas le cas de la musique de Messiaen qui nous offre toujours son originalité, sa fraîcheur, ses couleurs ou ses harmoniques absolument géniales.

Lors de mon mandat à l’Orchestre de Paris, j’ai parlé de Messiaen avec des musiciens et j’ai été surpris de leur relation difficile avec sa musique. Ils aiment énormément Dutilleux, que j’adore également, mais Messiaen semblait trop éloigné d’une zone de confort. Messiaen est un compositeur absolument génial et je souhaitais commencer mon mandat auprès du Tonhalle-Orchester Zürich avec un enregistrement dédié à ses oeuvres symphoniques ; nous avons terminé les sessions et il paraîtra à la rentrée prochaine.

Francisco Coll, compositeur

par

Le premier International Classical Music Award (ICMA) attribué à un compositeur va à l’Espagnol Francisco Coll (*1985).  Formé à Valence et à Madrid, Francisco Coll est devenu en 2009 le seul élève privé du compositeur britannique Thomas Adès. Il a terminé ses études à la prestigieuse Guildhall School en même temps qu’il débutait une impressionnante carrière internationale de compositeur avec des commandes du London Symphony, du Los Angeles Philharmonic, de l'Ensemble intercontemporain et du London Sinfonietta, entre autres. Pour la revue Scherzo, membre espagnol du jury des ICMA, Pablo L. Rodríguez a évoqué avec lui le passé, le présent et l'avenir au cours d’un entretien chez lui depuis à Lucerne.

Comment devient-on compositeur aujourd'hui ?

En réalité, je n'ai jamais pensé à devenir compositeur. Dans mon cas, c'était complètement irrationnel. Je me souviens parfaitement de la première fois où j'ai voulu composer quelque chose : j'en avais assez d'entendre toujours la même chose dans mon Walkman et j'ai décidé d'enregistrer quelque chose que j'avais créé moi-même avec des instruments que je pouvais jouer. Je devais avoir une quinzaine d'années. C'était une façon de faire la musique que je voulais entendre. Et c'est en quelque sorte ce que je fais encore aujourd'hui. C’était désastreux, mais c'était une tentative.

Tcha Limberger et le Tatavla trio dans un concert interactif à Bozar

par

Ce samedi 27 avril, on retrouvait à Bozar Tcha Limberger et ses musiciens pour un concert interactif dans le cadre de Balkan Trafik -un concert 100% Grec ! Le concert était destiné à des enfants à partir de 6 ans, mais pas que... Outre les familles, des adultes sans enfants était également venus profiter de ce voyage musical.

Le concert a débuté avec une introduction par une animatrice de “Jeugd en Muziek Brussel”. Elle nous a appris des petites chansons en grec, des rythmes et une danse. Les rythmes grecques irréguliers ne sont pas toujours évidents pour les enfants mais, heureusement, certains parents très enthousiastes chantaient à pleine voix. Il faut dire qu’il n’y avait pas beaucoup de monde dans la salle, ce qui n’aidait pas pour la dynamique de groupe. Mais l’atmosphère était conviviale et détendue, le public étant là avant tout pour s’amuser et partager un bon moment.

Eva Gevorgyan, Discovery Award des ICMA 2019

par

La jeune pianiste russe Eva Gevorgyan a déjà joué sur de nombreuses scènes prestigieuses. Étudiante à l'École centrale de musique de Moscou et boursière de l'Académie internationale de musique du Liechtenstein, elle a remporté de nombreux prix ainsi que le Discovery Award 2019 des International Classical Music Awards (ICMA). Evgenia Krivitskaya, du magazine russe Musical Life, a réalisé cet entretien avec la brillante jeune musicienne. 

Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez reçu la nouvelle du prix ICMA?

De la joie et du bonheur ! Se produire sur scène aux côtés de l'Orchestre Symphonique de Lucerne est un grand événement pour tout musicien. Cette récompense sera certainement une impulsion pour mon développement ultérieur. C’est un grand honneur de participer à une cérémonie aussi importante dans le monde de la musique classique, aux côtés de musiciens de renommée mondiale.

Cette année, vous fêtez vos 15 ans et vous avez déjà remporté des prix dans une quarantaine de concours de piano. Vous participez donc à des compétitions quatre ou cinq fois par an. N'est-ce pas difficile?

Les concours sont très importants dans la vie de musicien car c’est l’occasion de se présenter devant un large public. Chaque compétition est pour moi une nouvelle expérience et l’opportunité d'obtenir de nouveaux engagements. Après les concours, je suis souvent invitée à des festivals et concerts, et c’est important pour moi. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles je poursuis mon marathon de compétitions.

Un drone satanique : Der Freischütz à Strasbourg

par

Une première sans doute à l’opéra : un drone y a un rôle à jouer. Et cela dans « Der Freischütz », un opéra romantique allemand créé en 1821 !

De quoi s’agit-il ? C’est l’histoire de Max, un jeune homme qui, s’il ne remporte pas un concours de tir, risque à la fois de perdre une promotion enviable – devenir le garde-chasse du Prince – et la main d’Agathe, la fille du garde-chasse en place, qui « fait valoir ses droits à la retraite ». Inquiétude : lors d’un concours préparatoire, le pauvre Max a eu la main tremblante et s’est même fait battre par un simple paysan. Mais voilà que surgit son ami Kaspar, un forestier, aux abois : il a vendu son âme au diabolique Samiel. Une solution pour lui, trouver un « remplaçant ». Ce sera Max. Dans la terrible Gorge-au-Loup, Kaspar lui prépare sept balles magiques. Ce que Max ignore, c’est que la septième sera guidée par Samiel. Il l’emploie pour tirer sur une colombe, Agathe s’écroule… Morte ? Miraculeusement non. Un moine survenant fort à propos a détourné le projectile, qui a abattu Kaspar. Tout est bien qui finit bien ? Presque. Le Prince accorde Agathe à Max, mais avec un sursis d’un an.

Voilà qui justifie – avec les développements de sa partition évidemment - que l’on considère cet opéra de von Weber comme l’un des premiers opéras romantiques allemands.

À la Scala, une MANON LESCAUT maussade

par

Depuis vingt ans, depuis la production de Liliana Cavani présentée en juin 1998 sous la direction de Riccardo Muti, Manon Lescaut de Puccini n’a pas été reprise à la Scala de Milan. Aujourd’hui, David Pountney en présente une nouvelle mise en scène dans des décors de Leslie Travers, des costumes de Marie-Jeanne Lecca, des lumières de Fabrice Kebour.

L’action est transposée à la fin du XIXe siècle, au moment où le compositeur écrivait son troisième ouvrage. Selon David Pountney, « il n’est plus possible de considérer l’histoire de Manon Lescaut comme l’aurait fait un spectateur voyeur du XVIIIe siècle ; mais Puccini se montre capable de transcender la bulle temporelle de ses propres perceptions, en nous laissant une œuvre qui permet d’explorer une variété de significations sociales et sexuelles qui vont bien au-delà de ce que ses créateurs auraient pu imaginer ».  Donc la trame se déroule dans une gare de chemin de fer début XXe, style Orsay ou Gare du Nord, avec une passerelle métallique surplombant un bar-buvette et un quai jouxtant les voies d’entrée de trains surpeuplés. Accompagnée de quatre petites filles modèles à canotier enrubanné, symbole de son innocence rapidement culbutée par le plaisir, la pauvre Manon est en proie à la cupidité des hommes, tous vêtus de blanc, arborant feutre mou et œillet rouge comme l’étudiant Edmondo, gilet brodé comme Lescaut, houppelande comme Des Grieux, manteau à col de zibeline et canne à pommeau d’argent comme Géronte de Ravoir. Toute cette société corrompue va ensuite se retrouver  dans les wagons capitonnés d’un Orient-Express qui accueille, au passage, un ‘musico’ et deux ou trois pastourelles échappés du Siècle des Lumières, faisant face à l’héroïne vêtue de satin rouge, tombée au rang de la poule de luxe mais trônant sur un fauteuil d’apparat dérobé à un potentat oriental. Le Port du Havre voit un convoi à bestiaux avec lucarnes, où l’on a entassé les prostituées, finir sa course contre un paquebot armé dont le départ sera ridiculement salué par la foule comme dans un finale de Show Boat. Et comment croire que le dernier tableau peut se passer dans une station ferroviaire désaffectée, dévorée par les dunes de sable, ne contenant plus qu’un chariot où se consume la malheureuse, que son chevalier s’empressera d’abandonner, une fois le dernier soupir rendu ! Et si au moins une once de passion avait pu habiter ce décor léché, ces costumes magnifiques, ces éclairages fascinants !