Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Les Troyens : Tcherniakov / Berlioz : 1 à 0

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Les Troyens, opéra en cinq actes, relate la prise de Troie, l’arrivée des vaincus à Carthage et les amours de Didon et Énée. Le rideau s’ouvre sur une famille de dictateurs, Beyrouth en cendres puis les pensionnaires d’un centre psychiatrique de réhabilitation ; tous unis par la démence, celle de Cassandre, Didon, Énée, leur suite… Une parabole de notre monde ? Peut-être. Mais dès lors les émotions sincères et délicates, les passions, la grandeur morale sont balayées par la dérision. Or c’est justement ce qu’il y a de plus beau, de plus bouleversant et d’unique dans la musique de Berlioz : un engagement total de lui-même, une vitalité exacerbée, une tendresse aussi. Qui culminent dans le duo O nuit d’ivresse et d’extase infinie succédant à une Chasse royale, orage et clair de lune des plus shakespeariens (Acte IV).

L’Orchestre National de Lyon à Genève

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Au cours de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande cède deux ou trois soirées de sa programmation à d’autres grandes formations. Actuellement, lourdement affairé par la préparation de la Tétralogie qui doit rouvrir le Grand-Théâtre de Genève, il sollicite l’Orchestre National de Lyon qui, pour la circonstance, est dirigé par Eliahu Inbal.

Le programme débute par l’intervention du soliste, le grand pianiste brésilien Nelson Freire, qui est régulièrement invité à Genève où il compte de nombreux amis, dont Martha Argerich et Nelson Goerner, tous deux présents au concert. Cette fois-ci, il opte pour une œuvre complexe, mal-aimée du grand public, le Quatrième Concerto en sol mineur op.40 de Sergey Rakhmaninov. Profitant de la parfaite fusion des pupitres lyonnais, il attaque avec une rare énergie le premier thème fortement rythmé puis fluidifie le trait pour dialoguer avec le cor anglais en un cantabile élégiaque ; mais le développement a tendance à devenir touffu, en frisant la boursouflure. Par contre, le largo renoue avec une poésie intimiste, alors que le canevas feutré des cordes livre les bribes d’une chanson anglaise pour enfants, Three Blind Mice. En lignes arachnéennes à la Prokofiev, est dessiné un finale qui est empreint d’une exubérance tonifiante malgré les zones d’ombre inquiétantes qui s’amoncellent sur son parcours.

Pygmalion et L’Amour et Psyché dans une diversité culturelle multi-couleurs

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Pygmalion de Jean-Philippe Rameau, acte de ballet, associé à L’Amour et Psyché, 3e entrée des Fêtes de Paphos, ballet héroïque de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, pour un spectacle en coproduction Opéra de Dijon, Opéra de Lille, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg et Théâtre de Caen, est un choix soigneusement arrêté par Emmanuelle Haïm. Après avoir fait tour de plusieurs idées, comme l’Anacréon de Rameau, d’autres Pygmalion tel celui De La Barre, ou faire précéder Pygmalion d’une partie construite autour d’airs de cour du XVIIe siècle, elle a opté pour le thème de l’amour, narcissique ou jaloux, créatif ou destructif, exprimé dans ces deux pièces.

The Beggar’s Opera : magouille, sexe et drogue dans les cartons

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Créée en avril dernier au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, la nouvelle version du Beggar’s Opera par Ian Burton (dramaturgie) et Robert Carsen (mise en scène) remporte un immense succès partout où elle pose sa valise : Paris, Italie (Spoleto, Pise, Novara), Edinbourg, Luxembourg, Genève, Clermond-Ferrand, Athène, Angers, Saint-Brieuc, Dinan, Vanne, Saint-Nazaire, Le Mans, Roche-Sur-Yon, Laval, Nantes, Caen, Versailles… Après la production à Renne à laquelle nous avons assisté, la tournée continue à Quimper, à Reims, à Massy et à La Rochelle. Raison de cette réussite ? La modernisation des propos pour situer l’intrigue au XXIe siècle. Car l’univers des bas-fonds de Londres du début du XVIIIe siècle n’a guère changé trois siècles plus tard et se reproduit aujourd’hui dans n’importe quelle ville de n’importe quel pays…

A Genève, la venue de Tan Dun, compositeur-chef d’orchestre

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Dans le cadre de sa saison symphonique, le Service Culturel Migros reçoit pour la première fois le compositeur cantonais Tan Dun en tant que chef d’orchestre. L’on a beaucoup parlé de lui en décembre 2006, au moment où le Met de New York assumait la création de son ouvrage en deux actes, The First Emperor, avec Placido Domingo dans le rôle de l’Empereur Qin. Et pour trois concerts à Genève, Lucerne et Zürich, il dirige la formation de son pays natal, l’Orchestre Symphonique de Guangzhou qui, par ailleurs, s’était déjà produit en Suisse en janvier 2015.

Le programme commence par l’une des premières pages orchestrales de Stravinsky, Feux d’artifice op.4, datant de 1908. Par une vrille brillante, le discours est emporté vers un sommet percutant proclamé par les cuivres, d’où se répand un flux beaucoup plus lyrique que poivrera la reprise du début, aboutissant à une effervescence paroxystique.

Spectacle “Casse-Noisette et moi” : un moment féérique en famille

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Ce dimanche 27 janvier se tenait le spectacle “Casse-Noisette et moi” à Bozar, créé par la pianiste Alexandra Dariescu.

Le concept en est simple : une pianiste et une danseuse interagissent sur scène avec une animation vidéo projetée sur grand écran. L’histoire est une adaptation du célèbre ballet Casse-Noisette de Piotr Illich Tchaïkovsky, dont les grands tubes ont été repris, arrangés et adaptés pour piano solo. Le spectacle se veut accessible à tous, et il a pour but de toucher un large public.

La Filarmonica della Scala à la Philharmonie de Paris: Vengerov enchante, Chailly déçoit

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Venus à Paris pour un unique concert à la Philharmonie, l’orchestre et le chef milanais avaient concocté un programme composé de deux oeuvres seulement, mais très exigeantes tant pour le soliste que pour l’orchestre.

Dès le premières mesures du Nocturne qui ouvre le Concerto pour violon n° 1 de Chostakovitch, l’impression que donnait Maxim Vengerov était celle d’une concentration totale, alors que, les yeux mi-clos, il déployait la ligne mélodique avec un sens de la cantilène et un lyrisme qui allait infailliblement au coeur de la musique. Dans le diabolique Scherzo, Vengerov opta par moments pour un son plus cru tout en montrant une sensibilité d’écorché vif, déchaîné dans l’épisode central dont -servi par une maîtrise technique hallucinante- il fit ressortir ce sentiment de danger et de folle prise de risques, avant de saisir à la perfection le côté klezmer parodique et grinçant.

L’hommage à Basquiat à la Fondation Louis Vuitton

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Présenté en clôture de l’exposition Jean-Michel Basquiat, ce concert de l’Ensemble intercontemporain associait grands maîtres américains (Cage, Crumb), jeunes compositeurs installés à Paris (Robin, Dessner) et la création mondiale d’une pièce pour trois trompettes du directeur musical de l’ensemble, Matthias Pintscher.

Skull de ce dernier se veut un hommage à Basquiat (le « crâne » étant une figure omniprésente chez le peintre américain). On repère bien un tâchisme instrumental, un travail de spatialisation à la manière de la superficie d’une toile, et une volonté d’accumulation expressive, mais Skull s’apparente avant tout à une œuvre de commande au modernisme apaisé, utilisant les sourdines des trompettes (Lucas Lipari-Mayer, Gustav Melander, Clément Saunier) avec beaucoup de goût dans un discours très élégant et architecturé. Oublions rapidement les 7 Haikus de John Cage interprétés par le valeureux pianiste Hideki Nagano. De l’aveu de Basquiat, le groupe de noise auquel il appartenait faisait de la musique inspirée par John Cage, c’est-à-dire « de la musique qui n’[était] pas vraiment de la musique ». On ne saurait donner tort aux propos de l’artiste new-yorkais, tant on ne sait quand commencent ni finissent ces piécettes au bord du néant. Seule reste l’idée de performance artistique, et la probable envie d’épater le bourgeois.

JoAnn Falletta, cheffe d’orchestre à la curiosité sans frontières

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La Maestra JoAnn Falletta est une exploratrice musicale, aimant découvrir et enregistrer des partitions tombées dans l’oubli. Avec ses fidèles musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Buffallo, elle a gravé pour la firme Naxos l’un des plus épatants panoramas de la musique orchestrale. L’ensemble compose l’un des legs les plus indispensables de notre époque et se doit d’être un modèle d’intelligence et d’inspiration pour les jeunes générations de musiciens. Alors qu’elle dirige au Concertgebouw d’Amsterdam un exigeant programme qui associe littérature et musique contemporaine, elle répond aux questions de Crescendo Magazine.  

Quand on regarde votre discographie, on est impressionné devant son amplitude. Vous avez enregistré un incroyable panorama de la musique orchestrale avec des oeuvres de Respighi, Novák, Glière, Schmitt, Holst, Schreker .... Comment avez-vous découvert ces partitions, car certaines sont des raretés absolues?

Le répertoire "moins connu" m'a toujours intéressée. J’ai cet attrait depuis ma jeunesse mais cette attirance s’est renforcée au moment où suis devenue directrice musicale du Womens Philharmonic. Notre mission au Womens Philharmonic était de jouer des musiques inconnues composées par des femmes (que ce soient des oeuvres du passé ou des oeuvres de notre temps). J'ai dû faire beaucoup de recherches sur le répertoire -de Hildegard von Bingen aux premières mondiales des femmes contemporaines. J'aimais découvrir de nouvelles partitions ou des trésors injustement tombés dans l’oubli. Cet appétit de trouver des œuvres inhabituelles a été ravivé lorsque Klaus Hermann, le fondateur du label Naxos, a invité l’Orchestre Philharmonique de Buffalo à devenir l'un de ses orchestres réguliers pour des d'enregistrements. Bien sûr, Klaus ne voulait pas ré-enregistrer les piliers du répertoire. Il m'a mise au défi de trouver des partitions qui seraient des joyaux à découvrir. J'ai décidé de me concentrer sur la musique européenne post-romantique tardive. Je me suis mise à regarder partout, je lisais d'innombrables livres et articles et j’écoutais tout ce que je pouvais trouver ! La recherche des musiques injustement négligées est devenue pour moi une force directrice dans ma vie musicale. L'orchestre et moi-même nous sommes sentis très privilégiés de pouvoir enregistrer ces raretés et de les présenter aux mélomanes du monde entier.

Beethoven Labyrinthus : Nouveau spectacle du Centre de Musique de chambre de Paris

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Un nouveau concept de la musique classique qui réinvente les formes de concerts

Le Centre de Musique de Chambre de Paris, créé à l’initiative du violoncelliste Jérôme Pernoo et inauguré en novembre 2015, vise à promouvoir la musique de chambre et les jeunes interprètes professionnels. Les musiciens, qui sont à l’aube de leur carrière professionnelle et, pour la plupart, encore étudiants, se voient offrir des occasions de se produire dans des conditions extrêmement formatrices : jouer sans partition les œuvres-clés du répertoire dans un spectacle-concert avec mise en espace, ce qui nécessite des coordinations bien rodées. Le même spectacle, sous forme de récits en musique, est présenté à la Salle Cortot à Paris (quartier général du Centre) chaque jeudi, vendredi et samedi à 21 heures pendant trois semaines consécutives soit neuf fois. Ces représentations -car ce sont de véritables représentations- sont précédées de préparations intensives non seulement de l’interprétation mais aussi d’approfondissement du contexte historique et artistique, pour que chaque musicien puisse entrer en immersion totale dans l’univers de l’œuvre et du compositeur. En première partie de ces spectacles, on peut entendre à 19 heures 30 un concert court (45 mn environ) concentré soit sur une seule œuvre, soit sur un seul compositeur. Entre les deux concerts, « freshly composed », un séance de dix minutes pour une ou plusieurs pièces de musique de chambre écrites par un(e) (très) jeune compositeur et présentées par son auteur(e). Nous avons ainsi entendu quelques œuvres dont l’opus 1 de Thomas Prechal, 14 ans (!)