Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Beethoven, Penderecki et Mahler pour clôturer la première semaine du Festival Beethoven à Varsovie.

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La première semaine du Festival Beethoven à Varsovie s’achève avec le concert de l’Orchestre Symphonique de la radio nationale polonaise à Katowice. Au programme de cette soirée, l’Ouverture des ruines d'Athènes, op. 113 de Beethoven, la Symphonie n° 6 "Chinesische Lieder" (Lieds chinois) de Krzysztof Penderecki et Das Lied von der Erde de Mahler. La phalange polonaise est dirigée par le chef polonais Jacek Kaspszyk. Il est accompagné de Joanna Kravchenko à l’erhu, du ténor allemand Thomas Mohr et du baryton allemand Thomas E. Bauer.

Le concert débute avec l’Ouverture des ruines d'Athènes, op. 113 de Beethoven. Cette œuvre, rarement jouée, commence dans un climat mystérieux. Le suspens se dissipe peu à peu pour finalement laisser place à un beau solo du hautbois avant d’entamer une petite cadence seule. Un tutti éclatant suit cette intervention soliste. Les interventions en pizzicato des cordes sont d’une grande précision. Il y a du contraste notamment avec des sforzandos appuyés. Après une belle intervention des bois, un tutti orchestral reprend de plus belle. Un piano avec un crescendo bien construit semble nous amener à la fin de l’œuvre mais un piano subito apparait avec un nouveau crescendo pour conclure réellement cette pièce. 

La deuxième œuvre du concert met Krzysztof Penderecki et sa Symphonie n° 6 "Chinesische Lieder » en valeur. Cette pièce, en huit mouvements, est composée pour orchestre symphonique, baryton et ehru. Ce dernier est un instrument traditionnel chinois à cordes frottées que l’on ne peut que très rarement entendre en concert symphonique. 

Dès les premières notes, nous sommes transportés pour un voyage en Chine avec des sonorités typiquement chinoises. L’orchestre interprète cette partition avec minutie. Dans chaque mouvement, inspiré d’un chant chinois, le chef polonais parvient à trouver un caractère différent. Le baryton allemand Thomas E. Bauer maîtrise parfaitement sa partition et partage ses émotions. Entre les différents mouvements, il y a quatre intermezzos interprétés par Joanna Kravchenko à l’erhu. Ces moments sont une parenthèse enchantée dans cette œuvre puisque la jeune musicienne originaire de Gdańsk fait preuve d’une grande sensibilité. Notons également la place importante de la percussion avec l’utilisation de nombreux instruments tel que le marimba ou encore les crotales ainsi que d’autres instruments que l’on ne rencontre pas si souvent comme la flûte alto par exemple. L’exécution intimiste et mélancolique de cette œuvre, dont l’orchestration se rapproche d’un orchestre de chambre, est vivement applaudie par le public. 

Un concert engagé à Bozar avec Eva Ollikainen

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En cette période de conflit entre la Russie et l’Ukraine, le thème des réfugiés est plus que jamais d'actualité. Le Belgian National Orchestra, dirigé par la cheffe finnoise Eva Ollikainen, a décidé d’aborder ce sujet difficile lors de son concert de ce vendredi 31 mars 2023. 

Pour débuter, l’orchestre belge a interprété la Symphonie n°8, “Inachevée”, de Franz Schubert. Créée en 1865, elle se compose uniquement de deux mouvements au lieu des quatres habituels. Acte délibéré, abandon, idéal musical atteint ? Nous ne le saurons jamais. De couleur assez sombre et dramatique, cette Symphonie est parfaitement à sa place en introduction d’un tel concert. Oeuvre passionnelle et d’un lyrisme extrême, ce fut une belle entrée en matière pour le BNO. Les musiciens, appliqués, nous ont livré une très jolie prestation. Les pianos atteints par l’orchestre étaient très soignés et emplis d’une tension dramatique poignante. Les différents solistes, au hautbois, à la clarinette et à la flûte, ont joué leur rôle à la perfection. Les violoncelles, bien qu'un peu timides lors de la première entrée de leur thème, ont eux aussi transmis beaucoup d’émotions dans leurs parties plus exposées. La cheffe, comme les musiciens, semblait transportée par la musique et bougeait, littéralement, avec elle. 

Festival Beethoven à Varsovie : récital et concert orchestral

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L’édition 2023 du Festival Beethoven se poursuit ce samedi 1er avril à midi dans la somptueuse salle de bal du Château royal de Varsovie. Ce concert est organisé dans le cadre du partenariat avec le Concours International pour Violon Henryk Wieniawski. En effet, ce récital fait partie des prix que le gagnant de la compétition obtient. En 2022, c’est la violoniste japonaise Hina Maeda qui est primée pour la 16e édition de ce concours. Elle est donc en récital aujourd'hui accompagnée par le pianiste polonais de renommée internationale, Michał Francuz. Au programme, trois oeuvres : la Sonate pour piano et violon en mi mineur, K. 304 de Mozart, la Fantaisie brillante sur Faust, Op. 20 de Henryk Wieniawski et la Sonate N°5 pour violon et piano, Op 53 de Mieczysław Weinberg.

Le récital débute, sous l’œil bienveillant de Madame Penderecka, avec la Sonate pour piano et violon en mi mineur de Mozart. C’est une œuvre en deux mouvements : Allegro et Tempo di minuetto. Le premier mouvement débute avec les deux artistes à l’unisson. Nous sentons une belle complicité entre la violoniste et le pianiste. Des passages d’une douceur certaine contrastent avec des passages bien plus intenses, avec un jeu plus accentué. La construction musicale aboutie offre de belles nuances. Le deuxième mouvement, Tempo di minuetto, est d’une intensité émotionnelle touchante. L’introduction est interprétée avec sensibilité par Michał Francuz tout comme Hina Maeda quand elle rejoint le pianiste pour reprendre le thème. Ce mouvement est d’une tendresse bienvenue.

Missa Solemnis au Festival Beethoven à Varsovie

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En ce moment se déroule la 27e édition du Festival Beethoven à Varsovie. Entre le 26 mars et le 7 avril, 15 concerts sont donnés. Créé et dirigé par Elżbieta Penderecka, le festival propose aussi bien des concerts symphoniques que des concerts de musique de chambre. Ils ont principalement lieu à la Philharmonie de Varsovie. Cette année, le public peut écouter des orchestres venant de Corée du Sud, d’Espagne ainsi que les principales phalanges polonaises. Le thème de cette année est « Beethoven- Entre l’Est et l’Ouest ».

Au programme du concert de ce vendredi 26 mars, une pièce majeure du répertoire sacré : la Missa Solemnis en ré majeur, Op. 123 de Beethoven. Cette oeuvre monumentale est interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, le Chœur du Philharmonique Karol Szymanowski de Cracovie, la soprano Polina Pastirchak, l’alto Ulrike Helzel, le ténor Patrik Reiter et la basse Łukasz Konieczny. Tout ces artistes sont dirigés par le chef d’orchestre américain Leonard Slatkin. Piotr Piwko a quant à lui préparé le chœur.

Rentrons immédiatement dans le vif du sujet. Le Kyrie, dont le début avec cet Assai sostenuto est grandiose, ne manque pas d’intensité notamment avec l’entrée du chœur après une petite introduction orchestrale. Dans l’Andante, assai ben marcato, les solistes du soir fusionnent en toute simplicité avec le chœur. Ce Kyrie se termine avec le retour de l’Assai sostenuto. Tout comme au début, l’harmonie fait preuve de justesse dans ses interventions et solos.

Iván Fischer et le Budapest Festival Orchestra

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Le Budapest Festival Orchestra (BFO), fondé par Iván Fischer,  entame sa quarantième saison. La phalange hongroise se produira sous la baguette de son fondateur mais aussi avec des chefs d'orchestre et des solistes tels que Lahav Shani, Paavo Järvi, Gérard Korsten, Yefim Bronfman, Anna Vinnitskaya et Veronika Eberle. Iván Fischer a accordé un entretien exclusif à notre collègue Dávid Zsoldos du média hongrois Papageno (membre du jury des ICMA). Lors de cet entretien, il aborde son parcours avec son orchestre, mais aussi la manière de faire s'il commençait à monter un orchestre aujourd'hui.

Vous souvenez-vous de la sonorité de l'orchestre du festival lors de sa première saison ?

Parfois, je travaille avec des orchestres de jeunes et mes souvenirs me reviennent, et je me rends compte que c'est ainsi que sonnait le BFO dans les premières années. L'enthousiasme de la jeunesse a quelque chose de charmant et de captivant, mais en même temps, bien sûr, il est indiscipliné et parfois irrépressiblement rapide. La plus grande différence réside peut-être dans la manière dont nous gérons le temps. À l'époque, l'orchestre était comme un véhicule à moteur turbo, ou un cheval de course, il aurait été comme au galop tout le temps. Aujourd'hui, il est comme un cheval sensible, qui détecte et réagit à chaque mouvement et lit dans les esprits.

Dans quelle mesure les séances de travail locales prévalent-elles encore dans une scène musicale qui s'internationalise de plus en plus ? Peut-on entendre l'école hongroise de cordes, mondialement connue, dans le son du BFO ?

Je pense que oui. Bien qu'il y ait une différence significative entre l'école de violon de Transylvanie et la tradition de Budapest, le BFO est une combinaison des deux. Et n'oublions pas que notre école de violon est liée à l'école russe, créée à Saint-Pétersbourg par Lipót Auer. De nombreux professeurs de musique -Loránd Fenyves, Zoltán Székely, János Starker, et d'autres- ont emmené l'expérience de cette école jusqu'en Amérique. L'école hongroise des cordes est encore plus clairement audible ici, mais le fossé se rétrécit.

Quels sont les solistes et les chefs invités qui ont eu la plus grande influence sur le développement de l'orchestre ? 

Au cours des 40 années d'existence du BFO, les visites de quelques artistes invités ont laissé une marque particulièrement profonde. J'aimerais commencer la liste par Sándor Végh, qui a pratiquement ouvert les yeux d'une génération d'instrumentistes à cordes. Parmi les solistes, Zoltán Kocsis, György Pauk, András Schiff, Leonidas Kavakos, et parmi les chanteurs Christine Brewer et László Polgár ont eu la plus grande influence sur nos musiciens. Mais Gábor Takács-Nagy, Jordi Savall, Reinhard Goebel et bien d'autres ont joué un rôle important dans notre développement.

Hoviv Hayrabedian, baguette d’avenir 

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Le jeune chef d’orchestre Hoviv Hayrabedian est le fondateur et le chef d’orchestre de l’Orchestre BruMe - Bruxelles Méditerranée. Cet ensemble  est un orchestre à géométrie variable dont la particularité est de réunir des musiciens issus essentiellement de Belgique et du sud de la France. Nous rencontrons Hoviv Hayrabedian en prélude au concert qu’il donnera le 8 avril à Tour et Taxis.  

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer l’orchestre BRU-ME ? Comment la musique peut-elle caractériser cet axe Bruxelles/Méditerranée ?

Cela fait plusieurs années que je travaille sur ce type de projets. J’avais d’abord créé un ensemble vocal à Marseille puis, en 2019, j’ai monté un orchestre pour jouer la  Symphonie n°4 de Mahler lors de l’ouverture du Festival Courants d’Airs à Bruxelles. En 2021, j’ai été choisi pour diriger une série d’orchestre dans le cadre du plan de relance post COVID 19 de la DRAC PACA. J’ai profité de l’occasion pour fonder l’orchestre BruMe. 

Je m’intéresse beaucoup à la notion d’exil. Les compositeurs des 20e et 21e siècles dont je me sens le plus proche sont presque tous des “exilés”. Je pense notamment à Stravinsky, Xenakis, Ohana, Moultaka ou Petrossian. Il y a quelque chose de tribal qui m’attire dans leur musique, une sorte de souffle primitif et en même temps avant-gardiste, que je reconnais chez Haydn, Beethoven et Liszt. J’ai l’impression que le point commun entre tous réside dans le fait qu’ils se sentaient citoyens du monde. Le nord et le sud ne sont pas géographiques. En France on parle de Paris et Marseille, mais aux États Unis par exemple, il s’agit des côtes est et ouest. Ce qui me fascine, ce sont les échanges et comment ils influencent notre musique. 

Comment choisissez vous les répertoires que vous programmez ? 

Plus jeune, mes choix étaient complètement régis par mes émotions. Si j’aimais une œuvre, il fallait absolument que je trouve un moyen de la programmer. Ce fut le cas avec la 4e de Mahler que j’ai jouée quand j’étais clarinette solo de l’orchestre de la francophonie à Montréal en 2017, puis avec Scheherazade plus tard. Ce dernier exemple est un peu particulier puisque nous l’avions programmé en avril 2020 et reporté en 2022 à cause de la pandémie. Lorsque j’y suis revenu, j’ai fait un gros travail de recherche sur la pièce et j’ai eu l’idée de l’associer avec une sorte de pendant moderne. C’est ainsi qu’Alex Recio Rodriguez a écrit une pièce pour l’orchestre que l’on a créée en Avril 2022. Depuis je travaille sur cette idée de mise en regard. 

J’aime aussi beaucoup le concept de cycle. Par exemple, nous avons donné la 1ère Symphonie de Beethoven en juillet dernier et nous donnerons la 2e le 8 Avril prochain à Bruxelles. Je réfléchis à programmer les 9, associées à des œuvres en création. Ces confrontations vont nous permettre de créer un son d’orchestre propre.

Leonhard Baumgartner, lauréat du Discovery Award des ICMA 2023

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Le jeune violoniste autrichien Leonhard Baumgartner est le lauréat du Discovery Award 2023 des International Classical Music Awards en collaboration avec  l'International Music Academy Liechtenstein. Âgé de 16 ans, ce  jeune homme a déjà remporté des prix au Concours international Mozart de Zhuhai ou au Grand Prix au Concours international de musique de Stockholm. Il était également Wiener Symphoniker Talent et il a fait ses débuts en tant que soliste dans le Concerto n° 5 de Vieuxtemps avec le Wiener Symphoniker au Konzerthaus de Vienne en 2022. Ses études l'ont mené aux universités de musique de Graz, Vienne et Munich. Ses principaux professeurs sont Regina Brandstätter depuis 2019 et, depuis octobre 2022, Dora Schwarzberg et Ingolf Turban. 

Qu’est-ce qui vous a orienté vers le violon ?

Quand j'avais deux ans, j'écoutais mon père pratiquer l'alto. Plusieurs fois il a posé l'instrument et j'ai essayé de faire du pizzicato et aussi de l'arco, ce que mon père n'appréciait pas vraiment. Mais quand j'ai demandé à avoir un violon, il m'en a acheté un pour mon troisième anniversaire. Puis j'ai commencé mes premiers cours de violon avec une enseignante qui se spécialisait dans les classes maternelles en suivant la méthode Szilvay. A cette époque, jouer du violon était juste pour le plaisir. Puis j'ai commencé aussi à chanter dans une chorale et toute cette implication dans la musique est devenue plus sérieuse et surtout plus excitante pour moi.

Qu'est-ce que vous aimez spécifiquement  dans la pratique du violon ?

Il y a beaucoup d'aspects que j'aime, principalement la large gamme de sons et le développement du son sur des notes simples. Le violon me permet de jouer différents types de musique. Et quand je suis sur scène, je suis entièrement concentré sur la musique, j'essaie d'être totalement absorbé par la musique. Bien sûr, je dois penser à la musique et c'est quelque chose que je fais avant et après la représentation. Ou même avant et après la pratique. Quand je joue, je me concentre totalement sur le son.

Alors quelle est votre idée du son ?

Je pense que chaque musicien est à la recherche de l'idéal et du bon son. Développer un son est quelque chose qui est influencé par beaucoup de choses, la situation momentanée, la salle, le type de musique. J'ai joué récemment en quartet et nous avions tous les mêmes cordes. C'est important aussi, donc il y a beaucoup de facteurs et la décision du son à choisir doit être adaptée à beaucoup de choses et bien sûr à la musique que vous jouez.

A Genève, William Christie interprète de Haydn

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Pour le sixième concert de sa saison 2022-2023, le Service Culturel Migros a la judicieuse idée d’inviter, pour trois concerts à Genève, Berne et Zürich, William Christie et Les Arts Florissants qui se produisent rarement en Suisse.

Depuis sa fondation en 1979, l’ensemble a acquis une renommée internationale en exhumant les grandes œuvres de Lully, Rameau, Marc-Antoine Charpentier, Couperin ou Campra qui constituent le Grand Siècle français. Mais continuellement, William Christie s’ingénie à en élargir les horizons, ce qui explique le choix du dernier oratorio de Joseph Haydn, Die Jahreszeiten (Les Saisons) Hob. XXI : 3. Sur un livret du baron Gottfried van Swieten inspiré d’un gigantesque poème de James Thompson, l’ouvrage a donné bien du fil à retordre au compositeur qui jugeait le texte banal et l’imitation des cris d’animaux, de mauvais goût. De cette célébration de la vie rurale, il aurait pu tirer un Singspiel de saveur populaire ; mais il a préféré regrouper en une série de vignettes l’évocation de la nature et des sentiments qu’elle suscite en chacun. Néanmoins, l’extraordinaire originalité de la partition a connu un succès immédiat dès la création au Palais Schwarzenberg de Vienne le 24 avril 1801 puis lors des reprises de mai à la Salle de la Redoute. 

Vilde Frang, violoniste : l'important était de laisser la musique se faire"

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Vilde Frang est l’une des violonistes majeures de notre époque. Son récent enregistrement des concertos pour violon de Beethoven et Stravinsky (Warner) a été primé d’un International Classical Music Awards 2023 dans la catégorie “Concertos”. L'artiste répond aux questions de Gábor Mesterházi de Papageno (Budapest), membre du jury des ICMA.

Ma première impression, en écoutant votre enregistrement du Concerto de Beethoven, a été que c’était une performance très naturelle mais aussi très personnelle 

Avec le Concerto de Beethoven, j’avais en tête que je ne devais rien casser. C’était plus un processus psychologique qu’un processus d’apprentissage : l’important était de laisser la musique se produire. Sentir que je ne suis qu’une petite partie de ce processus, une partie de la partition orchestrale. C’est comme si j’apprenais toujours à voler, cette musique est très fraîche et propre à jouer.

Le chef d’orchestre de l’album est Pekka Kuusisto. Avez-vous déjà travaillé ensemble?
En tant que violoniste, je connais Pekka Kuusisto depuis longtemps. Pour moi, c’est un vrai héros, je le respecte beaucoup. La façon dont il joue est si naturelle, j’ai tellement appris de lui – et maintenant il m’a donné le même naturel dans l’accompagnement. Une fois, alors qu’il devait monter sur scène en tant que chef d’orchestre, la seule chose inhabituelle à son sujet était qu’il était en smoking. Je l’ai à peine reconnu... L’orchestre, l’Orchestre philharmonique de chambre allemand de Brême, a également joué avec beaucoup d’enthousiasme. Ce fut une expérience formidable d’enregistrer ces œuvres.

Les enregistrements ont été réalisés en 2021 et 2022, respectivement. Cela n’a pas du être une période facile ?

Et nous avions presque abandonné, le coronavirus avait rendu tous les enregistrements incertains. Le Concerto de Beethoven a été enregistré en janvier 2021, mais avec l’enregistrement du Concerto pour violon de Stravinsky, nous avons dû attendre l’été 2022. Mais je pense que cela valait la peine d’attendre que ces deux enregistrements se réunissent!

Une autre interprétation du concerto pour violon de Beethoven vient d’être publiée, interprétée par Veronika Eberle et dirigée par Simon Rattle, qui présente de nouvelles cadences du compositeur Jörg Widmann, alors que dans votre cas le compositeur n’est autre que Beethoven... Cependant, les timbales sont également incluses dans les deux enregistrements.

Ce n’est pas très connu, mais Beethoven a également écrit une version pour piano du Concerto pour violon, et comme pour tous ses concertos pour piano, il a également écrit sa propre cadence pour celui-ci – c’est lui qui a également agencé cette cadence avec les timbales. Le Concerto pour violon a longtemps été joué avec des cadences romantiques, en particulier celle de Joachim, jusqu’à ce que Wolfgang Schneiderhan dépoussière l’idée de Beethoven et la retravaille pour le violon. Cette cadence  a été popularisée par Gidon Kremer. De nos jours, la plupart des violonistes l’utilisent, bien qu’avec des coupes, car elle est particulièrement longue et lourde. Je l’ai juste fait un peu plus court. Alors que le concerto est classique, la cadence n’est pas seulement romantique, mais aussi carrément sauvage – c’est un Beethoven très différent.

Mahan Esfahani, Bach mais aussi les autres

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Le claveciniste irano-américain Mahan Esfahani (Téhéran, 1984) a remporté un ICMA 2023 dans la catégorie Baroque Instrumental avec un album intégralement dévolu à Bach (Hyperion). Mahan Esfahani ne laisse jamais personne indifférent. Ni quand il joue de la musique, ni quand il parle. Étudiant en musicologie et en histoire à l’Université de Stanford, c’est précisément là qu’il reçoit ses premières leçons de clavecin d’Elaine Thornburgh. De là, il est allé à Boston pour parfaire sa formation musicale avec Peter Watchorn. Il l’a achevée à Prague, sous les auspices de la claveciniste tchèque Zuzana Ruzickova. Il a vécu à Milan et à Londres (dans cette ville, pendant dix ans), avant de s’installer à Prague. Bien que le terme « résidence fixe » soit quelque peu relatif, puisqu’il voyage en permanence à travers le monde pour donner des concerts. Eduardo Torrico du magazine espagnol Scherzo, membre du jury de l’ICMA, a réalisé l’interview suivante avec l’artiste.

Vous avez récemment donné un concert à Trente avec l’orchestre La Scintilla, ce qui m’a étonné car vous jouez rarement avec des orchestres sur instruments d’époque.

Je joue beaucoup de Bach avec orchestre mais, comme vous le dites, ce sont des orchestres modernes. C’est un choix artistique. La Scintilla est un cas particulier, car j’ai une relation étroite avec son chef d’orchestre, Riccardo Minasi, que je considère comme un grand musicien, que cet orchestre joue ou non avec des instruments originaux. Pour moi, l’important est la musicalité et la qualité, pas les instruments. Au Barbican Center de Londres, j’ai récemment joué l’Offrande musicale de Bach. Pour ce travail, vous avez besoin d’une flûte, d’un violon et d’une basse continue. J’ai demandé Richard Boothby à la basse continue, qui est un joueur expérimenté de viole de gambe. Ensuite, j’ai demandé Adam Walker, flûte solo de l’Orchestre Symphonique de Londres, et Antje Weithaas, qui joue du violon moderne. La raison est assez simple : ce sont des interprètes avec qui j’aime jouer de la musique de chambre, et je ne fais pas attention à d’autres questions. Mon opinion est que je ne devrais pas évaluer si l’instrument est moderne ou antique, car ma vision est beaucoup plus large. C’est simplement un choix, comme quelqu’un qui choisit d’être religieux ou de ne pas être religieux.

Votre choix personnel a-t-il quelque chose à voir avec le fait que, en plus de jouer de la musique Renaissance et baroque au clavecin, vous jouez également des compositeurs modernes et contemporains tels que Ligeti, Saariaho ou Takemitsu sur cet instrument ? Ce n’est pas courant chez les clavecinistes d’aujourd’hui.

Pour être honnête, je ne prête pas beaucoup d’attention à ce qui est normal chez les clavecinistes d’aujourd’hui. Mais si vous me dites que ce n’est pas normal, je vous crois. Bien sûr, j’aime la musique baroque et de la renaissance. Je pense qu’ils sont fantastiques, mais je ne veux pas me fixer de limites. Quand j’ai enregistré pour Hyperion l’album intitulé “The Passinge Mesures”, avec des œuvres de virginalistes anglais, je me suis rendu compte que ma sœur, qui est pianiste, pouvait jouer ces œuvres sans recourir à un clavecin ou à un virginal. Je crois, d’un autre côté, que ceux qui aiment la musique ancienne sont ouverts d’esprit et ne se soucient pas tellement de l’instrument utilisé pour jouer cette musique.