Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

2023, quatre-centième anniversaire de la publication des Hymnes de Jehan Titelouze

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Depuis 2018, Sébastien Bujeaud prépare une thèse de musicologie sur Jehan Titelouze (c1563-1633), que l’on peut considérer comme le père de l’école d’orgue française, notamment grâce à son recueil de douze Hymnes (1623) dont nous commémorons le quatre-centième anniversaire. Un magnifique album enregistré par Léon Berben est à la hauteur de l’événement. Le compositeur a bien sûr attiré l’attention de la science et a connu nombre d’études et d’articles, mais c’est la première fois qu’il est le sujet d’une telle synthèse monographique. À la faveur de ses récents travaux, sous la direction de Philippe Vendrix, le doctorant, rattaché au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (Université de Tours), a bien voulu échanger avec nous : pour nous aider à mieux cerner Titelouze, sa vie, son art, et la singularité esthétique de son œuvre.

Les recherches et publications de Jean Bonfils, Denise Launay, Maurice Vanmackelberg, Willem Elders, Norbert Dufourcq contribuèrent dès les années 1960 à mieux connaître l’existence, les talents et le génie de Titelouze. Pourriez-vous retracer les grandes étapes de son ascension, depuis sa naissance à Saint-Omer jusqu’à sa consécration à la cathédrale de Rouen ? Vos investigations ont-elles révélé des faits majeurs sur son parcours, ou contredit des vérités établies de sa biographie ?

Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité pour parler de mes recherches, à l’occasion de cet anniversaire des Hymnes. D’après ce que nous disent les sources audomaroises, Titelouze est issu d’une famille de ménétriers, amateurs et professionnels, d’origine toulousaine et non anglaise, établis à Saint-Omer depuis plusieurs décennies. Grâce aux riches archives rouennaises, j’ai pu établir sa présence à Saint-Martin-sur-Renelle à Rouen dès 1583, avant qu’il ne soit nommé organiste de la cathédrale en 1588. Titelouze fut expert en facture d’orgues dès ses débuts rouennais, il bénéficia donc à Saint-Omer d’une formation d’instrumentiste, en facture et reçut probablement les ordres mineurs. Il fut également organiste dans d’autres églises rouennaises, et sut se faire apprécier du chapitre de la cathédrale malgré des rappels à l’ordre pendant les troubles.

Titelouze fut naturalisé en 1604, pour pouvoir posséder des biens et des titres, prit l’habit de prêtre en 1609 (peut-être formé chez les Jésuites de Rouen rouverts en 1604) puis celui de chanoine en 1610. Je pense qu’il profita de la richesse culturelle de Rouen et de ses voyages à Paris pour compléter son savoir en théorie musicale et composition, en poésie, en liturgie et théologie en tant que chanoine ; la musique composée, son principal legs actuel, étant la dernière étape de sa riche vie et de ma thèse. Il voyagea de Poitiers à Amiens pour expertiser des orgues, et durant son canonicat puis sa retraite à partir de 1629, alla régulièrement à Paris pour publier ses œuvres, et élargir son entourage musical et savant.

Ma thèse est un rassemblement de sources éparses et une exploitation la plus exhaustive possible des archives, ce qui me permet une plus grande précision sur son ascension sociale et ses différentes activités. Je contredis les recherches antérieures à propos de sa formation, que je pense avoir été plus progressive, débutée à Saint-Omer puis renforcée à Rouen ; de même les archives précisent qu’il prit l’habit de prêtre en 1609 à Rouen et non dans sa ville natale. Les archives de la cathédrale de Rouen me permettent de le suivre jour après jour pendant son canonicat de 1610 à 1629, de noter ses absences, assez longues sans être indignes car il fut peu rappelé à l’ordre, les sujets à propos desquels il siège et décide. Je note trois mois d’absence fin 1622 pour aller à Paris faire éditer ses Hymnes, quatre mois en 1626 pour ses Magnificat et Messes. Outre ses expertises et voyages parisiens, Titelouze alla régulièrement dans ses prébendes dans l’actuelle Seine-Maritime, il participe au roulement de messes, offices et cérémonies à la cathédrale en tant qu’organiste exécutant et chanoine décideur, et devient un notable rouennais.

Titelouze prend même l’ascendant sur le Maître de chapelle nommé après le départ fracassant de H. Frémart en 1625, en s’occupant du financement des enfants et des chantres, en siégeant systématiquement au sujet de la musique et de la liturgie ; d’où ses messes publiées et les cérémonies qu’il dirigea pendant sa retraite. Je pense enfin qu’il dût aller à la Cour, à Paris et Saint-Germain-en-Laye, étant donné qu’il connaissait les Chabanceau de La Barre, organistes et clavecinistes du Roi.

Hans Abrahamsen et la Reine des neiges

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Depuis qu'il a écrit Winternacht en 1978, la référence à la neige est peu à peu devenue une constante dans la musique du compositeur danois. "Ça me prend", dit-il. "Ce qui me fascine dans la neige, c'est sa blancheur, ainsi que l'idée qu'elle puisse se transformer en glace". Mais Abrahamsen est aussi très conscient de "l'autre côté de l'hiver", précise-t-il, qui est qu' "après l'hiver vient le printemps. C'est précisément ce qui se passe à la fin de Winternacht, mais aussi à la fin de son opéra La Reine des neiges (2019) dont la production puis la sortie en DVD, dans sa version anglaise, par le Bayerische Staatsoper vient d'être primée d’un International Classical Music Award 2023. Dans cet esprit, Jesús Castañer du magazine espagnol Scherzo, membre du jury ICMA, a rencontré le compositeur.

Vous avez écrit votre premier opéra, La Reine des neiges (2019), à l'âge de 62 ans. Avez-vous pensé à faire un opéra auparavant ?

Oui. J'avais prévu d'écrire un opéra en 1988, mais je n'ai jamais réussi à trouver la bonne histoire, et je n'avais pas non plus développé une écriture vocale propre pour faire quelque chose comme ça. C'est lorsque je composais Schnee (10 Canons pour 6 instruments), entre 2006 et 2008, que j'ai lu le conte de fées Snedronningen (La Reine des neiges) de Hans Christian Andersen, et j'ai tout de suite vu les possibilités de cette histoire. J'en ai été très ému. J'ai même écrit un livret moi-même, mais ça n'a pas marché, et en fait je crois n'en avoir jamais parlé à personne. Mais certaines des idées de Schnee ont été inspirées par ce conte. Prenez par exemple le deuxième canon, qui dans l'opéra apparaît dans la scène où Kay et Gerda sont sur une place de la ville et il lui montre à quel point les flocons de neige sont fantastiques, puis ils tournent pendant que les autres enfants jouent avec la neige. Quand j'ai écrit cette musique pour Schnee, j'avais déjà cette image en tête. Naturellement, lorsque l'Opéra Royal m'a demandé en 2012 si j'étais intéressée par l'écriture d'un opéra, j'ai rapidement répondu : « Oui, La Reine des Neiges ».

En fait, le lien entre La Reine des Neiges et Schnee est si fort qu'à certains moments on peut avoir le sentiment que le premier est en quelque sorte contenu dans le second. Par exemple, le premier canon de Schnee apparaît dans le prélude de l'opéra et réapparaît vers la fin, lorsque Gerda est avec Kay dans le château et ne sait pas comment le réveiller. Mais alors que dans le Prélude la « réponse » était au début de la phrase, dans cette autre scène elle est à la fin. Tout comme dans Schnee. C'est alors qu'une larme tombe de l'œil de Gerda ; c'est-à-dire que la « réponse » est enfin trouvée.

C'est un point intéressant. Je n'y avais jamais pensé. En effet, dans Schnee, je travaille avec deux phrases canoniques : d'abord vient la « réponse », puis vient la « question », et à la fin de chaque canon cet ordre est inversé. Autrement dit, au début, nous avons déjà la réponse, mais nous devons d'abord nous lancer dans un voyage pour trouver la question. Et ce n'est que lorsque nous avons la question, à la fin, que nous réalisons que la réponse était en nous depuis le début, nous n'en étions tout simplement pas conscients. Parfois, nous avons les réponses, mais nous ne pouvons pas croire qu'elles soient si simples.

Le Printemps des Arts de Monte-Carlo 2023

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Le Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo est un des rendez-vous culturels les plus importants de la Principauté. Pendant un mois, du mercredi au dimanche, on découvre des œuvres sortant des sentiers battus rarement jouées en concert ainsi que des créations, ADN du festival. 

Pour sa deuxième saison en tant que directeur artistique Bruno Mantovani, continue avec sa thématique "Ma fin est mon commencement" opus 2, programmant la trajectoire des premières aux ultimes œuvres d'un même compositeur, avec cette année également un panorama d'oeuvres de compositeurs nord-américains du XXème siècle.

Le ton est donné dès le concert d'ouverture avec Bruno Mantovani  lui-même aux percussions, avec Julien Bourgeois dans Clapping Hands de Steve Reich ; compositeur qu'on retrouve le dernier weekend du festival dans des œuvres composées entre 1988 et 2003.

Michel Dalberto est un pianiste fort apprécié du public. Il déborde d'énergie et cette année il relève le défi du marathon pianistique, en se produisant trois jours de suite, en concert avec orchestre à l'Auditorium Rainier III, en récital solo dans la Salle Tortue du Musée Océanographique et en duo avec le baryton Edwin Crossley-Mercer au One Monte-Carlo.

A Genève, Alexandre Kantorow le magnifique 

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Comment peut-on avoir une telle maturité artistique à l’âge de vingt-cinq ans ? C’est la première réflexion qui vous vient à l’esprit en écoutant Alexandre Kantorow interpréter Brahms et Schubert. A Genève, en mai 2022, il interprétait le Deuxième Concerto en la majeur de Franz Liszt avec l’Orchestre de Chambre de Genève dirigé par Arie van Beek. Et grâce à une invitation de l’Agence musiKa, il y donnait donc un premier récital au Victoria Hall le 29 mars. 

Plutôt que de présenter la Troisième Sonate en fa mineur op.5 de Brahms que choisissent la plupart des pianistes, il opte pour la Première en ut majeur op.1 dont il souligne le caractère orchestral avec un thème récurrent qui en relie les mouvements. Avec une indomptable énergie, il attaque l’Allegro initial dont il déploie les tutti à la Beethoven sans rendre anguleux le son qui se pare d’un lyrisme profond dans la séquence con espressione. Le da capo des accords péremptoires du début débouche sur un poco ritenuto rêveur chanté en tierces, alors que la coda s’appuie sur une basse solide afin de soutenir un fugato triomphant. L’Andante a la solennité d’un choral se basant sur une mélodie populaire « Verstohlen geht der Mond auf », ornementée par une main droite vaporeuse qui se corse graduellement d’élans lyriques. Par la précision du trait, le Scherzo propulse les grappes d’accords avec une véhémence cinglante qu’atténuera le Trio dont la ligne de chant s’allégera par un rubato subtil, alors que le Final tient de la chevauchée infernale avec sa déflagration d’octaves qui s’apaise par les échos d’une ballade nordique, avant de conclure par une stretta d’une rare puissance.

Beethoven, Penderecki et Mahler pour clôturer la première semaine du Festival Beethoven à Varsovie.

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La première semaine du Festival Beethoven à Varsovie s’achève avec le concert de l’Orchestre Symphonique de la radio nationale polonaise à Katowice. Au programme de cette soirée, l’Ouverture des ruines d'Athènes, op. 113 de Beethoven, la Symphonie n° 6 "Chinesische Lieder" (Lieds chinois) de Krzysztof Penderecki et Das Lied von der Erde de Mahler. La phalange polonaise est dirigée par le chef polonais Jacek Kaspszyk. Il est accompagné de Joanna Kravchenko à l’erhu, du ténor allemand Thomas Mohr et du baryton allemand Thomas E. Bauer.

Le concert débute avec l’Ouverture des ruines d'Athènes, op. 113 de Beethoven. Cette œuvre, rarement jouée, commence dans un climat mystérieux. Le suspens se dissipe peu à peu pour finalement laisser place à un beau solo du hautbois avant d’entamer une petite cadence seule. Un tutti éclatant suit cette intervention soliste. Les interventions en pizzicato des cordes sont d’une grande précision. Il y a du contraste notamment avec des sforzandos appuyés. Après une belle intervention des bois, un tutti orchestral reprend de plus belle. Un piano avec un crescendo bien construit semble nous amener à la fin de l’œuvre mais un piano subito apparait avec un nouveau crescendo pour conclure réellement cette pièce. 

La deuxième œuvre du concert met Krzysztof Penderecki et sa Symphonie n° 6 "Chinesische Lieder » en valeur. Cette pièce, en huit mouvements, est composée pour orchestre symphonique, baryton et ehru. Ce dernier est un instrument traditionnel chinois à cordes frottées que l’on ne peut que très rarement entendre en concert symphonique. 

Dès les premières notes, nous sommes transportés pour un voyage en Chine avec des sonorités typiquement chinoises. L’orchestre interprète cette partition avec minutie. Dans chaque mouvement, inspiré d’un chant chinois, le chef polonais parvient à trouver un caractère différent. Le baryton allemand Thomas E. Bauer maîtrise parfaitement sa partition et partage ses émotions. Entre les différents mouvements, il y a quatre intermezzos interprétés par Joanna Kravchenko à l’erhu. Ces moments sont une parenthèse enchantée dans cette œuvre puisque la jeune musicienne originaire de Gdańsk fait preuve d’une grande sensibilité. Notons également la place importante de la percussion avec l’utilisation de nombreux instruments tel que le marimba ou encore les crotales ainsi que d’autres instruments que l’on ne rencontre pas si souvent comme la flûte alto par exemple. L’exécution intimiste et mélancolique de cette œuvre, dont l’orchestration se rapproche d’un orchestre de chambre, est vivement applaudie par le public. 

Un concert engagé à Bozar avec Eva Ollikainen

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En cette période de conflit entre la Russie et l’Ukraine, le thème des réfugiés est plus que jamais d'actualité. Le Belgian National Orchestra, dirigé par la cheffe finnoise Eva Ollikainen, a décidé d’aborder ce sujet difficile lors de son concert de ce vendredi 31 mars 2023. 

Pour débuter, l’orchestre belge a interprété la Symphonie n°8, “Inachevée”, de Franz Schubert. Créée en 1865, elle se compose uniquement de deux mouvements au lieu des quatres habituels. Acte délibéré, abandon, idéal musical atteint ? Nous ne le saurons jamais. De couleur assez sombre et dramatique, cette Symphonie est parfaitement à sa place en introduction d’un tel concert. Oeuvre passionnelle et d’un lyrisme extrême, ce fut une belle entrée en matière pour le BNO. Les musiciens, appliqués, nous ont livré une très jolie prestation. Les pianos atteints par l’orchestre étaient très soignés et emplis d’une tension dramatique poignante. Les différents solistes, au hautbois, à la clarinette et à la flûte, ont joué leur rôle à la perfection. Les violoncelles, bien qu'un peu timides lors de la première entrée de leur thème, ont eux aussi transmis beaucoup d’émotions dans leurs parties plus exposées. La cheffe, comme les musiciens, semblait transportée par la musique et bougeait, littéralement, avec elle. 

Festival Beethoven à Varsovie : récital et concert orchestral

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L’édition 2023 du Festival Beethoven se poursuit ce samedi 1er avril à midi dans la somptueuse salle de bal du Château royal de Varsovie. Ce concert est organisé dans le cadre du partenariat avec le Concours International pour Violon Henryk Wieniawski. En effet, ce récital fait partie des prix que le gagnant de la compétition obtient. En 2022, c’est la violoniste japonaise Hina Maeda qui est primée pour la 16e édition de ce concours. Elle est donc en récital aujourd'hui accompagnée par le pianiste polonais de renommée internationale, Michał Francuz. Au programme, trois oeuvres : la Sonate pour piano et violon en mi mineur, K. 304 de Mozart, la Fantaisie brillante sur Faust, Op. 20 de Henryk Wieniawski et la Sonate N°5 pour violon et piano, Op 53 de Mieczysław Weinberg.

Le récital débute, sous l’œil bienveillant de Madame Penderecka, avec la Sonate pour piano et violon en mi mineur de Mozart. C’est une œuvre en deux mouvements : Allegro et Tempo di minuetto. Le premier mouvement débute avec les deux artistes à l’unisson. Nous sentons une belle complicité entre la violoniste et le pianiste. Des passages d’une douceur certaine contrastent avec des passages bien plus intenses, avec un jeu plus accentué. La construction musicale aboutie offre de belles nuances. Le deuxième mouvement, Tempo di minuetto, est d’une intensité émotionnelle touchante. L’introduction est interprétée avec sensibilité par Michał Francuz tout comme Hina Maeda quand elle rejoint le pianiste pour reprendre le thème. Ce mouvement est d’une tendresse bienvenue.

Missa Solemnis au Festival Beethoven à Varsovie

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En ce moment se déroule la 27e édition du Festival Beethoven à Varsovie. Entre le 26 mars et le 7 avril, 15 concerts sont donnés. Créé et dirigé par Elżbieta Penderecka, le festival propose aussi bien des concerts symphoniques que des concerts de musique de chambre. Ils ont principalement lieu à la Philharmonie de Varsovie. Cette année, le public peut écouter des orchestres venant de Corée du Sud, d’Espagne ainsi que les principales phalanges polonaises. Le thème de cette année est « Beethoven- Entre l’Est et l’Ouest ».

Au programme du concert de ce vendredi 26 mars, une pièce majeure du répertoire sacré : la Missa Solemnis en ré majeur, Op. 123 de Beethoven. Cette oeuvre monumentale est interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, le Chœur du Philharmonique Karol Szymanowski de Cracovie, la soprano Polina Pastirchak, l’alto Ulrike Helzel, le ténor Patrik Reiter et la basse Łukasz Konieczny. Tout ces artistes sont dirigés par le chef d’orchestre américain Leonard Slatkin. Piotr Piwko a quant à lui préparé le chœur.

Rentrons immédiatement dans le vif du sujet. Le Kyrie, dont le début avec cet Assai sostenuto est grandiose, ne manque pas d’intensité notamment avec l’entrée du chœur après une petite introduction orchestrale. Dans l’Andante, assai ben marcato, les solistes du soir fusionnent en toute simplicité avec le chœur. Ce Kyrie se termine avec le retour de l’Assai sostenuto. Tout comme au début, l’harmonie fait preuve de justesse dans ses interventions et solos.

Iván Fischer et le Budapest Festival Orchestra

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Le Budapest Festival Orchestra (BFO), fondé par Iván Fischer,  entame sa quarantième saison. La phalange hongroise se produira sous la baguette de son fondateur mais aussi avec des chefs d'orchestre et des solistes tels que Lahav Shani, Paavo Järvi, Gérard Korsten, Yefim Bronfman, Anna Vinnitskaya et Veronika Eberle. Iván Fischer a accordé un entretien exclusif à notre collègue Dávid Zsoldos du média hongrois Papageno (membre du jury des ICMA). Lors de cet entretien, il aborde son parcours avec son orchestre, mais aussi la manière de faire s'il commençait à monter un orchestre aujourd'hui.

Vous souvenez-vous de la sonorité de l'orchestre du festival lors de sa première saison ?

Parfois, je travaille avec des orchestres de jeunes et mes souvenirs me reviennent, et je me rends compte que c'est ainsi que sonnait le BFO dans les premières années. L'enthousiasme de la jeunesse a quelque chose de charmant et de captivant, mais en même temps, bien sûr, il est indiscipliné et parfois irrépressiblement rapide. La plus grande différence réside peut-être dans la manière dont nous gérons le temps. À l'époque, l'orchestre était comme un véhicule à moteur turbo, ou un cheval de course, il aurait été comme au galop tout le temps. Aujourd'hui, il est comme un cheval sensible, qui détecte et réagit à chaque mouvement et lit dans les esprits.

Dans quelle mesure les séances de travail locales prévalent-elles encore dans une scène musicale qui s'internationalise de plus en plus ? Peut-on entendre l'école hongroise de cordes, mondialement connue, dans le son du BFO ?

Je pense que oui. Bien qu'il y ait une différence significative entre l'école de violon de Transylvanie et la tradition de Budapest, le BFO est une combinaison des deux. Et n'oublions pas que notre école de violon est liée à l'école russe, créée à Saint-Pétersbourg par Lipót Auer. De nombreux professeurs de musique -Loránd Fenyves, Zoltán Székely, János Starker, et d'autres- ont emmené l'expérience de cette école jusqu'en Amérique. L'école hongroise des cordes est encore plus clairement audible ici, mais le fossé se rétrécit.

Quels sont les solistes et les chefs invités qui ont eu la plus grande influence sur le développement de l'orchestre ? 

Au cours des 40 années d'existence du BFO, les visites de quelques artistes invités ont laissé une marque particulièrement profonde. J'aimerais commencer la liste par Sándor Végh, qui a pratiquement ouvert les yeux d'une génération d'instrumentistes à cordes. Parmi les solistes, Zoltán Kocsis, György Pauk, András Schiff, Leonidas Kavakos, et parmi les chanteurs Christine Brewer et László Polgár ont eu la plus grande influence sur nos musiciens. Mais Gábor Takács-Nagy, Jordi Savall, Reinhard Goebel et bien d'autres ont joué un rôle important dans notre développement.

Hoviv Hayrabedian, baguette d’avenir 

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Le jeune chef d’orchestre Hoviv Hayrabedian est le fondateur et le chef d’orchestre de l’Orchestre BruMe - Bruxelles Méditerranée. Cet ensemble  est un orchestre à géométrie variable dont la particularité est de réunir des musiciens issus essentiellement de Belgique et du sud de la France. Nous rencontrons Hoviv Hayrabedian en prélude au concert qu’il donnera le 8 avril à Tour et Taxis.  

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer l’orchestre BRU-ME ? Comment la musique peut-elle caractériser cet axe Bruxelles/Méditerranée ?

Cela fait plusieurs années que je travaille sur ce type de projets. J’avais d’abord créé un ensemble vocal à Marseille puis, en 2019, j’ai monté un orchestre pour jouer la  Symphonie n°4 de Mahler lors de l’ouverture du Festival Courants d’Airs à Bruxelles. En 2021, j’ai été choisi pour diriger une série d’orchestre dans le cadre du plan de relance post COVID 19 de la DRAC PACA. J’ai profité de l’occasion pour fonder l’orchestre BruMe. 

Je m’intéresse beaucoup à la notion d’exil. Les compositeurs des 20e et 21e siècles dont je me sens le plus proche sont presque tous des “exilés”. Je pense notamment à Stravinsky, Xenakis, Ohana, Moultaka ou Petrossian. Il y a quelque chose de tribal qui m’attire dans leur musique, une sorte de souffle primitif et en même temps avant-gardiste, que je reconnais chez Haydn, Beethoven et Liszt. J’ai l’impression que le point commun entre tous réside dans le fait qu’ils se sentaient citoyens du monde. Le nord et le sud ne sont pas géographiques. En France on parle de Paris et Marseille, mais aux États Unis par exemple, il s’agit des côtes est et ouest. Ce qui me fascine, ce sont les échanges et comment ils influencent notre musique. 

Comment choisissez vous les répertoires que vous programmez ? 

Plus jeune, mes choix étaient complètement régis par mes émotions. Si j’aimais une œuvre, il fallait absolument que je trouve un moyen de la programmer. Ce fut le cas avec la 4e de Mahler que j’ai jouée quand j’étais clarinette solo de l’orchestre de la francophonie à Montréal en 2017, puis avec Scheherazade plus tard. Ce dernier exemple est un peu particulier puisque nous l’avions programmé en avril 2020 et reporté en 2022 à cause de la pandémie. Lorsque j’y suis revenu, j’ai fait un gros travail de recherche sur la pièce et j’ai eu l’idée de l’associer avec une sorte de pendant moderne. C’est ainsi qu’Alex Recio Rodriguez a écrit une pièce pour l’orchestre que l’on a créée en Avril 2022. Depuis je travaille sur cette idée de mise en regard. 

J’aime aussi beaucoup le concept de cycle. Par exemple, nous avons donné la 1ère Symphonie de Beethoven en juillet dernier et nous donnerons la 2e le 8 Avril prochain à Bruxelles. Je réfléchis à programmer les 9, associées à des œuvres en création. Ces confrontations vont nous permettre de créer un son d’orchestre propre.