Dossier Liszt (5) : les Années de Pèlerinage...  quarante années d'errance 

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 "J'ai voyagé dernièrement dans de multiples pays nouveaux, j'ai vu nombre d'endroits différents et visité nombre de lieux sanctifiés par l'histoire et la poésie ; j'ai eu le sentiment que les aspects variés de la nature et les scènes qui s'y rattachaient ne passaient pas devant mes yeux comme de vaines images, mais qu'elles remuaient dans mon âme des émotions profondes, qu'il s'établissait entre elles et moi une relation vague mais immédiate, un rapport indéfini mais réel, une communication inexplicable mais certaine, et j'ai essayé de rendre en musique quelques-unes de mes sensations les plus fortes, quelques-unes de mes impressions, mes perceptions les plus vives". 

 C'est ce que nous lisons en préface du premier volume des Années de Pèlerinage qui ont occupé quarante et une années de la vie créatrice de Franz Liszt qui, déjà, dans un petit recueil de trois pièces intitulées Apparitions daté de 1834, avait éveillé son chant à la sensibilité de la nature. 

Bien avant Wagner, dont il donna une grande part de ses dernières années à diffuser l'oeuvre, Liszt pressentait la nécessité de l'oeuvre d'art totale, celle qui célébrerait les noces des arts plastiques, la poésie, la littérature et la musique. En 1865 il imaginait de fonder une Académie des Arts. Et pourtant, il n'a composé qu'un seul opéra, de jeunesse, Don Sanche ou le Château de l'Amour, qui fut créé le 17 octobre 1825, lors de ses heures de gloire à Paris, puis représenté trois fois avant d'être oublié3

Dossier (4) : Liszt et l'orgue

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Si les œuvres pour piano ou pour orchestre de Liszt et leur place dans le XIXe siècle ont depuis longtemps été correctement évaluées, sa musique d’orgue, elle, ne semble avoir de réelle répercussion qu’auprès des organistes, et encore, peu d’entre eux ont-ils une connaissance approfondie de celle-ci et savent-ils en apprécier les lignes directrices ! On peut la diviser grosso modo en deux périodes : d’une part, les trois grandes pièces composées entre 1850 et 1863 (Fantaisie et fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam », Prélude et fugue sur B. A. C. H. et Variations sur « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen ») et, d’autre part, une série d’œuvres plus courtes dont la composition s’étend jusqu’à sa mort en 1886. On citera pour mémoire les transcriptions d’après Bach, Lassus, Wagner, Nicolai ou Chopin, et les œuvres vocales où l’orgue joue un rôle plus ou moins important (telle la Via Crucis, d’une densité remarquable).

Dans les trois grandes pièces, Liszt se montre conforme à l’idée caricaturale que l’on se fait de lui : grandiose, virtuose, spectaculaire, tourmenté et brillant. Composée en 1850, la Fantaisie et fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam », paraphrasant longuement le choral des trois anabaptistes du Prophète de Meyerbeer, est une fresque monothématique monumentale, en trois sections enchaînées. Par l’ampleur des moyens techniques nécessaires et par l’originalité et la longueur de la forme, le parallèle avec la Sonate en si mineur pour piano semble évident. Avec le Prélude et fugue sur B. A. C. H., de 1855, Liszt veut, comme Schumann, rendre hommage à Bach. Mais contrairement à lui, il ne s’attaque pas à ce projet avec les outils de Bach -le contrepoint, notamment- mais avec des fulgurances nouvelles, déjà expérimentées dans l’œuvre précédente, et que seul un pianiste accompli pouvait oser. Ne nous y trompons pas : si le titre mentionne une fugue, nous n’en trouvons réellement que l’exposition, vite submergée par les traits virtuoses. Enfin, en 1862, Liszt entreprend les Variations sur « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen », sur l’ostinato chromatique du premier chœur de la Cantate BWV 12 de Bach, par ailleurs fort proche du Crucifixus de la Messe en si. Comme dans le Prélude et fugue sur B. A. C. H., l’élément chromatique sert admirablement le langage de Liszt et lui permet ici de développer le contenu émotionnel attaché au texte (« Larmes, plaintes, soucis, craintes, angoisses et détresse sont le pain amer des chrétiens ») dans une forme alliant passacaille, variations, récitatif dramatique et, pour conclure, le choral Was Gott tut das ist wohlgetan. Le sens théologique de celui-ci (« Ce que Dieu fait est bien fait ») entre en résonance avec les interrogations du début de l’œuvre et annonce la sobriété des recueils à venir.

Le Casse-Noisette revisité par Christian Spuck et le Ballet de Zurich

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Piotr Illich TCHAÏKOVSKI (1840-1893) : Casse-Noisette et le Roi des Souris. Ballet de Zürich et Junior Ballet ; Chœur d’enfants et SoprAlti de l’Opéra de Zürich ; Philharmonia Zürich, direction Paul Connelly. Chorégraphie et direction artistique : Christian Spuck ; dramaturgie : Michael Küster et Claus Spahn. 2019. Livret en allemand, en anglais et en français. 110.20. Un DVD Accentus ACC20449.

Premier enregistrement mondial des Psaumes de Lewandowski

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Louis LEWANDOWSKI (1821-1894) : Dix-huit psaumes liturgiques, pour solistes, chœur mixte et orgue. Lucia Megyesi Schwartz, mezzo-soprano ; Rozsa Kiss, soprano ; Viola Thurnay, alto ; Gabord Pivarcsi, ténor ; Szabolcs Hamori, basse ; Marton Levente Horvath, orgue ; Chœurs de la Radio hongroise, direction Andor Izsák. 2020. Livret en anglais et en allemand. Textes des psaumes en allemand avec traduction anglaise. 81.24. Deutsche Grammophon 483 7724.

Le Beethoven du futur ? 

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour orchestre en Ut mineur Op.30, No2b (Arr. Garrett Schumann et Yaniv Segal) ; A Fidelio Symphony (arr. Yaniv Segal) ; Gabriel Prokofiev (né en 1975) : Beethoven9 Symphonic Remix. Gabriel Prokofiev, électronique ; BBC National Orchestra of Wales, Yaniv Segal. 2018-Livret en anglais-81’57. Naxos. 8.574020. 

Le monde d’après II - La gratuité sera-t-elle le second clou du cercueil de la culture ? 

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Nous poursuivons la scénarisation possible du monde tel qu’il pourrait être à la sortie de la crise du Covid-19. L’épidémie va sans aucun doute déboucher sur des transformations majeures et le domaine de la musique classique ne devrait pas être épargné par des métamorphoses. Nous attirons votre attention sur le fait qu’il ne s’agit que de scénarios, cela ne veut pas dire que ce qui est écrit peut se produire, ni même que nous souhaitons cette évolution. Après un premier texte sur la démondialisation de la musique classique, nous évoquons ici des conséquences de la gratuité telle qu’elle s’est imposée dans cette période de confinement. 

L’Organisation Mondiale de la propriété intellectuelle, institution spécialisée des Nations Unies dont le siège est à Genève, vient de lancer, via son Président Francis Gurry, une alarme quant aux conséquences de la multiplication de l’accès gratuit des contenus culturels : livres, concerts et autres. La gratuité qui s’est multipliée en cette période de confinement pose des problèmes liés aux respects de la propriété intellectuelle et des droits des différents acteurs professionnels. Cette prise de position survient au moment de l’entrée en vigueur du Traité de Pékin signé en 2012 et qui prévoit une meilleure protection des artistes de l’audiovisuel. Etrange coïncidence !

JoAnn Falletta à propos de The Passion of Yeshua de Richard Danielpour et de l’exploration du répertoire symphonique. 

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Nous avions rencontré, à l’automne 2018, la cheffe d’orchestre JoAnn Falletta à l’occasion d’un concert au Concertgebouw Amsterdam. Alors que cette infatigable exploratrice du répertoire est au coeur de l’actualité discographique, elle nous présente The Passion of Yeshua du compositeur Richard Danielpour dont elle fait paraître le premier enregistrement au pupitre de son Orchestre Philharmonique de Buffalo (Naxos). 

Vous venez de publier, en première mondiale, l’enregistrement de The Passion of Yeshua du compositeur Richard Danielpour. Pouvez-vous nous présenter cette partition ?

Ce merveilleux oratorio de Richard Danielpour est le récit des dernières heures de la vie du Christ sur terre, à travers les Écritures. Cette oeuvre est inspirée de la Passion selon Saint Matthieu de Bach, mais la partition de Richard est doublement différente : il célèbre la foi juive du Christ en utilisant la langue et les traditions hébraïques (par exemple le Seder et le Kaddish) et il intègre également les voix de femmes qui ont été exclues du récit de la Passion -Marie, la mère de Dieu, et Marie-Madeleine. Il s'agit d'une œuvre profondément spirituelle qui cherche à trouver un lien entre les religions juive et chrétienne dans une musique d'une extraordinaire beauté.

Quels sont les défis interprétatifs à surmonter dans une telle oeuvre qui requiert solistes, choeurs et orchestre ? 

Richard a atteint un merveilleux équilibre entre les voix solistes, les duos, les récitatifs, les chœurs à la fois étonnants et beaux et les interludes orchestraux. Il est important pour le chef d'orchestre de maintenir la tension dans le drame de ce récit, et de laisser la place à une interprétation intensément personnelle des personnages.

Dossier Liszt (1) : un compositeur au carrefour d'un siècle

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Pendant deux tiers de siècle, où que l'on se tourne, qui que l'on considère, toujours, il est là, toujours on tombe sur lui, sur sa haute et mince silhouette, sur son profil noble et impérieux, sur sa longue chevelure, tant le passage graduel au gris, puis au blanc, semble jalonner le passage même de ce siècle, le dix-neuvième, dont il est l'épicentre ou le nombril. 

Liszt: le "z" semble siffler à nos oreilles comme un fouet, et pourtant il n'apparaît pour la première fois que vingt ans à peine avant la naissance de notre compositeur. Son père, Adam, installé en Hongrie, l'ayant ajouté à son patronyme bien allemand de List, car les Hongrois prononcent le s "sch", et seule l'adjonction du "z" donne notre son "s". Et en effet, l'ascendance tant de son grand père que de sa mère est purement allemande ! On parlait allemand au foyer familial. Le village natal du compositeur, Raiding, se trouvait à l'époque en Hongrie. Depuis 1919, il fait partie de l'Autriche, mais il est tout proche de la frontière, dans cette province du Burgenland dont la petite capitale s'appelle Eisenstadt, bien plus proche de Vienne que de Budapest. Eisenstadt ? Les Esterhazy. Ne cherchez pas plus loin. Joseph Haydn est du coin. Rohrau, son village natal, est proche de Raiding mais se trouvait déjà du côté autrichien de la frontière. Et les Liszt travaillèrent eux aussi au service de cette illustre famille princière autrichienne au nom hongrois. L'enfant Liszt comme l'enfant Haydn fut élevé par les chants des Tziganes nombreux dans la région. 

Franz (Ferenc en hongrois, François en français) se revendiqua toujours comme Hongrois, mais il ne parlait pas le hongrois et le comprenait fort peu ! Il fut élevé en allemand mais habita Paris dès l'âge de douze ans, et Paris demeura son principal port d'attache durant plus d'un quart de siècle. Ses écrits sont presque tous en français, mais il ne maîtrisa jamais parfaitement cette langue et faisait des fautes, de même qu'en allemand d'ailleurs. Plus tard, durant la dernière partie de sa longue existence, celle de l'"Abbé Liszt", passée en bonne partie à Rome, l'italien devint sa troisième langue usuelle. En fait, Liszt a été le premier compositeur totalement européen et international, un apatride au sens le plus noble du terme, mais nullement un déraciné, seulement un arbre dont les multiples et puissantes racines se jouaient des frontières.