Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Lukás Vondráček clôture les Flagey Piano Days en beauté

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C’est sur un récital d’Elisabeth Leonskaja qu’auraient dû se conclure les Flagey Piano Days de cette année. Mais la grande pianiste russo-autrichienne s’étant vue contrainte d’annuler un récital attendu avec impatience, c’est un brillant remplaçant que parvinrent à trouver les organisateurs en la personne d’un Lukás Vondráček qu’on avait somme toute assez peu entendu chez nous depuis son triomphe amplement mérité au Concours Reine Elisabeth en 2016.

On connaît la formule de ces journées, où chaque pianiste propose un récital d’environ une heure sans entracte. Nous pouvons déjà vous révéler que Vondráček dépassa assez largement ce cadre, mais nul dans la salle n’aura songé à s’en plaindre tant la prestation du pianiste tchèque fut d’un bout à l’autre convaincante dans un récital aussi finement conçu que superbement interprété.

On lui saura d’abord infiniment gré d’avoir mis à son programme des pièces de musique tchèque que l’on n’entend guère -et c’est bien dommage- en dehors de leur pays d’origine. C’est ainsi que Vondráček ouvrit son récital par une sélection de quatre morceaux tirés des Six Pièces pour piano, Op. 7 de Josef Suk, dont il fit entendre des versions pleine de tendresse (comme dans la Chanson d’amour qui ouvre le cycle), de lyrisme et de simplicité dans les Idylles et la Dumka, mais aussi de délicatesse comme dans cette Humoresque qui fait curieusement songer à Chabrier dans sa subtilité.

« Plugged in », la musique s’entend mieux avec les yeux

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A la Philharmonie Luxembourg, l’espace Découverte, c’est la petite salle dédiée aux assemblées restreintes et aux musiques expérimentales (les premières répondent souvent aux secondes) et je m’y installe à temps pour écouter l’interview de deux membres de l’Eunoia Quintett (un nom en cinq voyelles et une seule consonne qui évoque la beauté de la pensée), menée par Lydia Rilling (qui prend dès le 1er mars la direction artistique du Donaueschinger Musiktage) -ma connaissance de l’allemand est telle que je regarde plus que je n’écoute, me repérant au non-verbal et à certains mots suffisamment germaniques pour me laisser deviner leur sens : qu’importe, cette mise en bouche joue efficacement le rôle de préliminaires.

Judgeheads, la première des quatre compositions au programme de ce soir, écrites pour l’ensemble bâlois à la large palette de timbres, est née de l’imagination d’Andreas Frank (Allemagne), qui dispose les musiciens en un grand V, dont la voix est la pointe : chevillée à son pupitre (d’accusée ?) et violemment éclairée, elle mélange allemand, français, anglais (d’autres émettent des onomatopées) pendant qu’électronique et percussions sont manipulées par des mains -de petits écrans carrés à l’avant-plan nous cachent les instrumentistes aux extrémités du V- dont les alter ego saccadent les mouvements en ombres chinoises sur un deuxième rang de carrés blancs-, et que trombone et violoncelle permutent leurs places.

Rauque, guttural, comme se frayant un chemin (celui de la voix qui s’exerce, qui vocalise), le chant qui entraîne chacun des interprètes est le fil rouge du travail de Santiago Diez Fischer (Argentine) dans Birds for a while : lente et subtile progression d’une musique en suspension, où les instruments sont plus ou moins préparés (la baguette dans les cordes du violoncelle, les gestes directement dans le corps du piano, les percussions tout en chuintements), incantation à la légèreté des sons, la pièce, organique, fascine.

Feu d'artifice cinématographique avec l'Orchestre National de Cannes

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Ce concert, reporté déjà à deux reprises du fait de la situation sanitaire, arrive à point nommé pour célébrer l'élévation de l’Orchestre de Cannes au rang d’Orchestre national par le Ministère français de la Culture. Notons que la phalange cannoise est la seule formation symphonique de la Côte d’Azur à bénéficier de ce label. Cette promotion n’est qu’une juste récompense pour le travail du chef d’orchestre Benjamin Lévy, qui a entamé sa cinquième saison à la tête de l'Orchestre de Cannes. Par son dynamisme au pupitre et par la qualité d’une programmation qui se plait à sortir des sentiers battus, il a vivifié cet orchestre et fédéré son public.   

Ce concert se déroule dans un des lieux les plus connus de la ville côtière : le Palais des Festivals et il met l’accent sur le cinéma avec en soliste le mandoliniste Vincent Beer-Demander, dédicataire de plusieurs concertos qui revisitent ainsi l'image de la mandoline. Le programme du concert mettait l’accent sur des œuvres concertantes au cœur d’un prochain album du soliste, de l’orchestre et du chef. 

A Genève, Matthias Pintscher le magnifique !  

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Pour son concert du 9 février, l’Orchestre de la Suisse Romande invite le compositeur et chef d’orchestre allemand Matthias Pintscher, actuellement professeur de composition à la Juilliard School de New York et directeur musical de l’Ensemble InterContemporain à Paris.

Dans un français parfait, il s’adresse au public genevois pour parler de l’œuvre qu’il va diriger, Neharot, commandée par la Suntory Foundation for the Arts, le Los Angeles  Philharmonic, la Staatsoper de Dresde, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et l’Orchestre de la Suisse Romande. Composée en 2020, elle a été créée le 27 août 2021 au Suntory Hall de Tokyo sous la direction du compositeur. Durant le printemps 2020, la chape de plomb du confinement s’est abattue sur New York. Matthias Pintscher élabore sa partition comme un requiem pour grand orchestre en lui donnant pour titre le mot hébreu ‘neharot’ qui veut dire la rivière et les larmes. Sa judaïcité s’exprime en cette lamentation qui s’écoule comme les rivières souterraines à l’intersection du lieu où a été érigée la Cathédrale de Chartres. Dès les premiers accords des deux harpes surgissent de cinglants tutti martelés par la percussion qui se résorbent en sonorités aussi mystérieuses qu’envoûtantes. Puis de déchirantes éruptions annoncées par un tuba menaçant finissent par se dissiper pour laisser place à un solo de trompette dialoguant avec un hautbois éploré. En sourdines, les cuivres développent un choral empli d’espérance, tandis que vibre la machine à vent sur fond de cloches lointaines. Une oeuvre impressionnante par la qualité de l’écriture et l’impact émotionnel qu’elle exerce immédiatement sur le public.

Mozart sur le rocher avec l'OPMC

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L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo a organisé un mini-festival Mozart qui a connu naturellement un très grand succès et qui deviendra un rendez-vous annuel dans les prochaines saisons. Pour le dernier concert, l’affiche était prestigieuse avec la participation de la soprano Cecilia Bartoli et du pianiste David Fray alors que l'OPMC était placé sous la direction de Kazuki Yamada, son directeur artistique et musical. 

Le concert commence par la Symphonie n°1 en mi bémol majeur K16, composée par le prodigieux Mozart à l'âge de 8 ans. Elle est fort peu jouée en concert et elle reste cantonnée aux intégrales discographiques. Kazuki Yamada à la tête de son orchestre nous fait revivre l'imagination exubérante du jeune Mozart, par une interprétation énergique et tout en fraîcheur. 

A l’OSR, un Franck sidérant  

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Au cours de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande a la judicieuse idée de mettre en valeur ses propres solistes. C’est pourquoi, au programme du 3 février, Jonathan Nott, son directeur artistique, inscrit au programme la Symphonie Concertante en mi bémol majeur K. 297b de Mozart qui a pour solistes le hautboïste Simon Sommerhalder, le clarinettiste Michel Westphal, le bassoniste Alfonso Venturieri et le corniste Jean-Pierre Berry. Au brio élégant du tutti qui recherche les contrastes de phrasé, le quatuor des vents répond avec autant de verve en étirant le legato, tandis que le hautbois et la clarinette échangent des trilles pimpants sur le soutien du cor et du basson. L’Adagio est emporté par une veine lyrique généreuse alors que le Final est guidé par un hautbois caustique s’appuyant sur le support du cor et du basson qu’ornementent les arabesques virtuoses de la clarinette.

En début de programme, Jonathan Nott avait présenté l’orchestration tardive que Maurice Ravel lui-même avait réalisée de son Menuet Antique pour piano. De l’exposition foisonnante de coloris vivaces, il émousse les angles par l’intervention des bois qui enveloppent d’un coloris pastoral le trio médian, alors que la reprise du motif initial déploie à nouveau la richesse de la palette orchestrale.

A Genève, le Mozart de Mitsuko Uchida   

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Pour la première fois, le Service culturel Migros invite la pianiste japonaise Mitsuko Uchida, fille de diplomates, qui a passé son adolescence à Vienne pour y faire ses études musicales. Dès le début des années quatre-vingts, elle s’impose comme une grande interprète de Mozart ; et depuis deux décennies, elle s’ingénie à diriger de son piano ses concerti, avec les résultats à demi-convaincants qu’occasionne cette pratique adoptée par un très grand nombre de solistes. Néanmoins, tel  est le cas pour les trois concerts donnés à Berne, Genève et Zurich où elle dialogue avec le Mahler Chamber Orchestra.

Dans le 23e Concerto en la majeur K.488, elle développe l’introduction en un esprit chambriste qui lui fait rechercher les contrastes d’éclairage. Le solo donne l’impression de se fondre dans le tutti, car les instruments à vent produisent un son trop grand. Il faut en arriver à la cadenza pour percevoir le jeu perlé d’une artiste qui s’écoute beaucoup lors de l’enchaînement des traits de virtuosité. Dans l’Adagio, elle cultive en profondeur le ton de la confidence susurrée à fleur de clavier, contrastant avec le Final exubérant qui produit un effet immédiat sur le public.

A Genève, Jonatan Nott, flamboyant chef de concert

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Le lendemain de la première dElektra au Grand-Théâtre de Genève, l’infatigable Jonathan Nott dirige l’Orchestre de la Suisse Romande dans un programme Schumann-Brahms présenté au Victoria Hall le 25 janvier, à la Salle Métropole de Lausanne, le lendemain. Et il faut bien admettre qu’au concert, il possède un magnétisme et un rayonnement que la fosse de théâtre semble engloutir, au point de se demander si l’on a affaire au même chef. 

Le programme débute par l’un des ouvrages de Robert Schumann souvent relégués dans les fonds de tiroir, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur qui a pour soliste Frank Peter Zimmermann, l’artiste en résidence de la saison. Dans l’introduction orchestrale, le chef s’ingénie à assouplir le phrasé dans une optique qui la rapproche du Vivace de la Symphonie Rhénane. Le violon lui répond par des traits interrogatifs en demi-teintes qui se chargent peu à peu d’une sève pathétique foisonnante. Le Langsam médian se développe en un choral qu’énoncent les cordes graves suggérant au soliste un ton de confidence recueillie alors que le Final ‘alla polacca’ brille par une élégance racée qui suscite l’enthousiasme du public. Visiblement touché, Frank Peter Zimmermann propose en bis une page de Bach, une Sarabande en si mineur dont les doubles cordes rehaussent l’expression méditative.

Stanislav Kochanovsky, retour triomphant à Monte-Carlo

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Le mois de janvier monégasque se clôture avec un concert très attendu sous la direction du prodigieux chef d'orchestre Stanislav Kochanovsky, un musicien que tous les orchestres s’arrachent. Il avait déjà fait forte impression, au printemps dernier, lors de sa première venue au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo. 

Le programme commence par la très rare  Suite sur des poèmes de Michelangelo Buonarotti de Dimitri Chostakovitch  avec en soliste le grand baryton Matthias Goerne. C'est la première exécution à Monte-Carlo de ce chef-d'œuvre du compositeur russe. Matthias Goerne est naturellement excellent   : la voix est superbe, toute en nuances, passant de l'intimité des pianissimi à l'ardeur des forte. Le timbre est chaleureux et il  apporte une intensité et une spiritualité particulière. Les mélomanes russes présents dans la salle confirment que sa diction est parfaite, aspect souvent rare ! Stanislav Kochanovsky dirige l'orchestre avec une maîtrise absolue, une gestique claire, élégante et magnétique.

Mikhail Pletnev : Chopin à Monte-Carlo

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Le grand Mikhail Pletnev était l’invité de la riche saison des récitals de piano organisée dans le cadre de la saison de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo. Chaque récital de Pletnev est une expérience unique par les options interprétatives qui questionnent le texte et interrogent l’esprit. Pletnev est un musicien authentique et un des pianistes les plus imaginatifs d'aujourd'hui. 

Ce récital consacré à Chopin est une performance fantastique, subtile et émouvante, extrêmement brillante et en même temps introvertie et très concentrée. Son âme et l'âme de Chopin se confondent comme deux ruisseaux qui se rejoignent pour former un fleuve. Ses belles sonorités pleines de poésie, de noblesse, d'éloquence et de passion tissent une toile magique dans laquelle on est entraîné. Il interprète la musique avec une simplicité de style, bon goût, avec un legato approprié,  sans fioritures vulgaires ou ornements excessifs. On aime tout de ce jeu magique : le phrasé si original, la dynamique pertinente, le ton lumineux, l'intensité, la qualité, la subtilité, la modestie, la lecture attentive de la partition sont d'une perfection tout simplement incroyable.