L’Orchestre Philharmonique de Radio France proposait, en deux soirées espacées de quelques jours, les deux monuments de la littérature concertante pour piano que sont les concertos de Brahms. Le Premier (en ré mineur, op. 15) est l’œuvre d’un jeune homme de vingt-cinq ans qui n’a pas encore quitté l’Allemagne du Nord. Le Deuxième (en si bémol majeur, op. 83) a été composé plus de vingt ans plus tard, alors que Brahms vivait à Vienne depuis longtemps. On lit souvent que le Premier serait du Nord, et le Deuxième du Sud.
Au piano, un jeune musicien (vingt-sept ans) bourré de talent, comme la France en a rarement eu : Alexandre Kantorow. Il entretient avec ce compositeur une relation privilégiée, puisqu’on le retrouve, exclusivement ou pour une bonne part, dans ses trois derniers enregistrements en solo.
Au pupitre, l’immense (dans tous les sens du terme) John Eliot Gardiner. S’il a commencé par le répertoire baroque, Brahms a été l’un des premiers compositeurs romantiques qu’il ait abordés, enregistrant notamment, avec l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique qu’il venait de créer, un Requiem allemand historique, puisque le tout premier sur instruments d’époque. C’était il y a trente-cinq ans.
En « complément », un compositeur dont les rapports avec Brahms sont, autant sur le plan amical que musical, des plus riches : Dvořák, avec deux de ses symphonies qui ne sont ni les plus (Huitième et surtout Neuvième, dite « du Nouveau Monde ») ni les moins (les cinq premières, découvertes assez récemment) jouées : les Sixième (en ré majeur, op. 60), considérée comme le point culminant de la période slave du compositeur, et Septième (en ré mineur, op. 70), point de départ d’une trilogie de très haut niveau.
Pour les deux concerts, l’orchestre est exactement le même (sauf pour les instruments qui ne jouent que dans les symphonies de Dvořák, naturellement), relativement allégé, avec les cordes dans une disposition particulière : de gauche à droite, 5 contrebasses derrière 12 premiers violons, 6 violoncelles, 8 altos et 10 seconds violons.
Nous mettons quelques instants à nous faire à cette sonorité. En effet, dans l’entrée du Maestoso du Concerto n°1 de Brahms nous avons l’habitude d’entendre bien davantage les cordes (avec notamment leur trille tellement marquant, et qui reste en mémoire pendant toute l’œuvre). Mais une fois que nous y sommes bien installés, nous apprécions d’entendre aussi bien les bois. Dans cette introduction, John Eliot Gardiner ménage d’impressionnants contrastes, entre un premier thème franchement brutal, et un second tout en tendresse. Alexandre Kantorow joue le jeu de la « Symphonie concertante avec piano», instaurant des dialogues merveilleusement complices avec les vents. À l’unisson avec la direction de Gardiner, son jeu peut passer tout à coup de la violence à la douceur. Son toucher est admirable dans tous les registres.
Le Philhar’ fait entendre de sublimes lumières du Nord dans l’Adagio. Kantorow est tout en délicatesse, en sobriété, comme un rêve lointain. Gardiner convie les musiciens à aller au plus loin de leurs possibilités expressives. Ce qu’il obtient d’eux est mémorable.